L'attente était beaucoup trop longue, si longue que je ne trouvais pas cela normal. Étais-je en train de devenir fou à cause de cet endroit? Je secouais la tête, tentant de vaincre mon envie de succomber à l'avarice. Si forte, si puissante que je me levais debout. Pulsion divine qui me poussait vers elle. Onde de choc à en perdre l'équilibre, je me sens bercé, tiré vers ce précieux. Puis, mes yeux croisent le corps d'une personne de l'autre côté de la rive, une jeune femme, blonde, ravissante. Mon corps se raidit, prit dans une compétition perdue à l'avance et je m'élance, plongeant dans l'eau pour aboutir plus vite qu'Abigail. Je nage sans relâche, le plus vite qu'il m'était possible de le faire, mais c'était inutile, elle était déjà arrivée. À peine le chemin entamé, j'avais perdu la course. Mon corps continuait de lui-même, possédé par l'avarice.

Abigail s'élança d'un autre élan, décocha le poing qui provoqua une vague digne de celles qu'on voit dans les océans, une vague qui s'écrasa sur ma tête, me forçant à plonger. J'attendis avant de sortir et tousser l'eau que je venais d'avaler par cette attaque. J'avais oublié le coquillage. Enfin, l'avarice s'était dissipée, ayant remarqué que je m'étais débattu dans l'eau. Je sortis à mon tour, le corps plus lourd que lorsqu'il était sec. Je tordais le bas de ma chemise et passais une main dans mes cheveux. Je me déchaussais d'un soulier pour faire échapper l'eau qui s'était accumulée et le petit poisson qui s'était logé. La leader parlait d'une voix basse, me disant qu'elle me laisserait partir si je le voulais, mais qu'elle me combattrait si je désirais vraiment ce coquillage. Elle semblait y tenir plus que moi, mais en même temps... il brillait tellement... cette tentation démoniaque... non...

Je fermais les yeux et pinçais les lèvres. Je devais résister. Sa voix me tira de ma concentration, me forçant à la fixer aussi. Mon regard de flammes croisait son océan de tendresse. Elle me répétait ce qu'elle m'avait dit plus tôt. Je n'avais pas à être triste et qu'elle me protègerait. Ici, sur cette île? Ou bien dans la vie de tous les jours? Dans cette épreuve il ne pouvait y avoir qu'un gagnant. Qu'adviendra-t-il si nous sommes finalistes? Il faudra être rusé et se trahir l'un et l'autre? Je n'aimais pas ça. Je n'oserais pas faire de mal à Abigail... ça me brisait le coeur de devoir m'en prendre à la guilde même si c'est pour s'amuser...

« Abi... »

Que faire? Devais-je la croire en jouant le jeu jusqu'à ce que je sente que ma sécurité serait en danger? Devais-je partir, m'enfuir en prenant le risquer de devoir de me défendre seul contre un autre membre de la guilde? Devais-je tenter de lever le petit doigt pour lui prendre cet objet si... attirant? Je remis mon soulier et retirais ma chemise pour la tordre dans les deux sens avant de l'enfiler à nouveau. Elle devait attendre une réponse... une réponse plus ou moins satisfaisante, mais plutôt claire en soi:

« Je te laisse le coquillage. Je tenterai de couvrir tes arrières aussi... Je veux bien faire équipe avec toi si tu le veux bien aussi. »

Un brin de timidité avec toute la sincérité que je pouvais posséder. Combattre aux côtés d'Abigail, être à ses côtés pendant toute une journée, il n'y avait pas de mots pour décrire cela. À mes yeux, cette femme était une légende: de par sa beauté et son charisme que par sa force et son endurance. Si puissante femme que je me prosternerais s'il fallait le faire, mais on m'a dit de rester moderne et de ne pas jouer dans les extrêmes...

Le souffle de cette déesse sauvage s'embrase dans ses poumons en feux et chante la mélodie incendiaire. Une poudre grisâtre logée au fond des yeux, un faisceau incandescent nacré ombrage et attise un sinistre typhon dans ses iris voilées. Le menton timidement fléchit vers l'avant, des pétales de fer éclosent sur ses jambes comme des corolles de fleur poussiéreuses. Elle sentit cette frayeur insatiable se distiller dans ses veines, dévorant ses artères pour se transformer en une puissante adrénaline qui lui explosa comme une tornade en colère dans le ventre, emportant dans sa tumulte les vestiges fondamentaux, les paramètres archaïques même de sa magie : ses jambes.

Étendue désormais au sol, ses jambes paralysées dans cette prison d'écailles à la teinture acier, comme si elle lui était destinée. Abigail, victime de cette transformation, fixait le néant de ses yeux bleus ; là où le ciel se mélange à l'océan. Sa prison d'écaille fouettait l'air avec cette frénésie colérique, comme si cette queue était la brume que les rayons de soleil n'arrivent plus à déchirer. Son esprit se carbonise au contact du duel entre les forces du vent, comme si une puissante décharge énergétique était scellé dans cette coquille nacré.

Après avoir reprit un temps soit peu ses esprits, Abigail cambra ses reins pour tenter de s'asseoir, toujours peu habituée d'avoir les attributs du poisson, elle s'efforçait d'apaiser les tremblements en gardant sa tige cartilagineuse pétrifiée, comme si elle s'était enracinée au sol. Ses yeux, témoins de cette surprise abjecte, cherchèrent ceux de Diego. Jusqu'à ce qu'elle constate un détail encore plus que gênait : Les courbes de sa poitrine totalement dévoilée à cause de cette transformation, elle eût comme réflexe stupide d'enlacer l'un de ses bras autour son buste nu.

_ Diego...

Ses paroles étaient corrosives, comme si elle lui calcinaient les gorges vocales et lui incendiaient le palais. Elle plaqua son bras libre contre son front qui implosait d'incompréhension. Elle s'avança vers le lac – le coquillage toujours en main – avant d'y entrer totalement. En effectuant quelques mouvements de hanches, Abigail resta outrée de la rapidité qu'elle pouvait exercer sous l'eau. Son abjecte frayeur incomprise se mua en une sorte d'espièglerie innocente. Elle nagea vers Diego, ressortant juste ses épaules.

_ Diego, j'ignore ce qu'il s'est passé. Je crois que... j'ai perdu mes esprits pendant un instant et que cette forme est temporaire. Ou du moins... Je l'espère. J'ai entendu quelque chose, et je crois qu'il faut que je passe par le lac pour y accéder. Continue ton chemin de ton côté, et surtout, fais attention à toi. D'accord ? Le Battle Royal est toujours en cours.

Sur ces dernières paroles, elle s'éloigna avec un sourire pour le rassurer. Et enfin, elle plongea, elle s'entraîna pendant plusieurs minutes à trouver les mouvements les plus amples pour être rapide. L'eau était son alliée, sa meilleure défense et attaque : mais le Battle Royal était toujours en route. Et l'eau était déjà mariée à un autre mage de Blue Pegasus. Après quelques entraînements vifs et rapides que s'était fait subir Abigail, elle explora le lac en écoutant un possible chant. Elle focalisa sa concentration sur ses sensations physiques, ses perceptions mentales, si elle était apparemment ses nymphes des eaux, ses sirènes à la stature sensuelle mais aux crocs dévastateurs, Abigail craignait que sa transformation empiète sur ses valeurs et qu'elle perde le contrôle d'elle-même.

Elle secoua la tête sous l'eau : ne pas songer au pire : Continuer.

un chemin aquatique nouveau s'ouvrait à elle,
sûrement pour rejoindre la mer.
Abigail s'y engouffra.

J’attendais sa réponse dans le calme, garde baissée, totalement à mon aise. La réponse ne vint pas et la malédiction s’abattait sur Abigail comme la foudre. Lentement mais sûrement, ses jambes se retrouvèrent fusionnées, l’une sur l’autre, une couche d’écailles brillantes naquirent à la surface de sa peau, une nageoire fragile transforma le bout de ses pieds. Ses vêtements tombèrent trop facilement, mais elle se couvrit juste à temps, bon réflexe. C’est ainsi qu’Abigail devint une sirène. Elle rampa jusqu’à l’eau pour s’y réfugier et cacher son corps dénudé. J’étais subjugué, les mots me manquaient, la gorge nouée dans l’émotion, les yeux écarquillés, l’idée de ne plus retrouver Abi m’attristait plus que tout.

Plongée jusqu’au buste, elle m’adressa la parole et tentait de me faire comprendre que je devais poursuivre sans elle. Elle plongea sous l’eau pour disparaître de ma vue. Non… hors de question. J’enlevais en vitesse le surplus de vêtement que j’avais pour m’alléger et me mis à courir vers le lac. Le plat des paumes collées, je plongeais à mon tour sous l’eau pour la retrouver. Abi, c’est pas dans un moment pareil que j’allais te laisser filer en douce comme ça… Je nageais vers les profondeurs, les yeux ouverts pour tenter de repérer un signe de sirène. Puis, il y avait ces voix féminines qui résonnèrent dans me tête, ces voix qui me rappelaient ces sirènes qui m’avaient encerclé. Une vision? Avais-je eu une vision un peu plus tôt de leur présence ici? Avaient-elles subi toutes le même sort qu’Abigail et elles étaient piégées ici?

Je nageais jusqu’à ce que je juge que je ne pourrai pas remonter à la surface, jusqu’à ma limite du manque d’oxygène et retournais à la surface. Je replongeais à nouveau en ayant dans l’esprit que je n’allais pas abandonner ces femmes dans leur triste sort. J’allais les sauver. Tant pis pour le Battle Royal, cela pressait d’avantage que de me battre contre les autres…