Je pense n'avoir jamais fait attention au paysage que nous avions en haut de notre repère. Au milieu de la forêt de Kunugi, reposait notre cachette à l'intérieur d'un rocher gigantesque qui surplombait arbres et petites collines. Assis sur le sommet de cette proéminence rocheuse, j'observais, j'écoutais et je reposais mon âme dans les derniers instants d'existence qu'il lui restait. Au loin, le soleil entamait déjà son couché, laissant derrière lui une traînée orangé rouge. Une magnifique couleur qui de là où je venais, annonçait une nuit sanglante et délirante. Enfin, si je venais bel et bien de là où je pensais. Ce monde était recouvert de mystères aussi surprenants qu'étranges. Et ma vie en étant un, même pour moi. La forêt était si calme, tout comme mon âme...

Je me levais, observant ce magnifique paysage une dernière fois, restant figé là au sommet, avant de descendre le long de la paroi sous le regard lointain des animaux de la forêt. Mes pas se faisaient lents et hésitants, pour la première fois de ma vie j'éprouvai ce que les hommes appelaient le doute. Je ne savais pas où j’avançais, offrant à mon cœur une incertitude glaciale qui l'effrayait presque... Je rentrais dans mon repère, enchaînant couloirs sur couloirs. Un vrai labyrinthe cet endroit, où même un dieu serait capable de se perdre s'il n'avait pas de pouvoir. Au bout de quelques minutes de marche dans une obscurité certaine, j'arrivais enfin devant l'entrée de la cachette, dans une énorme cavité.

« Tu es en retard, dépêches toi. Il t'attend depuis un moment... »
« C'est son problème, je l'ai payé alors il peut bien attendre un peu. »

J'entrais dans le bâtiment principal de notre repère, là où tous ceux que j'avais rencontré jusqu’ici étaient regroupés. Au centre, un vieil homme aux airs aigris attendait avec impatience. Ils s'écartèrent pour me laisser passer, tandis que je m'approchais du vieux, déposant à ses pieds le butin qu'il avait exigé. Sans même m'adresser un seul mot, il se rua sur le magot pour le saisir. Vérifiant son contenu au cas où j'essayerais de l'enrouler, il reposa le sac à ses pieds puis m’ordonna d'un signe de la tête de me mettre au centre d'un cercle magique complexe qu'il avait fait lui même. Tous se passa si vite... En y repensant, ce qui avait déclenché cette avalanche de doutes et d'incertitudes, n'était arrivé que récemment.

Tout commença à cause de cette invitation chez un riche trop riche. Il avait voulu nous utiliser pour un spectacle où nous devions nous entre-tuer, sauf qu'au final ce fut lui qui goutta au tranchant de ma lame. Mais ses derniers mots, perturbèrent à jamais ma vie... Je n'étais pas celui que je pensais être, voilà ce qu'il avait affirmé. En lisant les documents que je lui avais volé, je m'aperçus rapidement qu'il avait dit la vérité, ce sale serpent. J'avais donc fait appel à un mage psychique pour lire au fond de mon esprit, mais cet enfoiré demandait des joyaux très spéciaux comme paiement... J'avais donc dû me rendre dans la demeure du propriétaire et les lui voler. Pas une mince affaire. Finalement, j'y étais. Proche de mes réponses. A côté de la vérité. Je n'avais qu'à attendre et d'ici quelques minutes j'aurais mes réponses...

Une fois au centre du cercle magique, tous mes compagnons reculèrent et observèrent attentivement le vieil homme s'approcher de moi et placer sa main sur mon front. Il m'annonça froidement que cela risquait de piquer un peu, d'un ton un peu ironique. Je devais donc m'attendre à une douleur horrible. Merveilleux. Comme s'il suffisait de si peu pour me faire reculer. J'avais pris une décision et je voulais des réponses. Il n'y aurait pas de marche arrière. Le cercle magique se mit à briller intensément d'une lumière bleue et un cri de douleur s'échappa sauvagement de ma gorge. Je sentis tous mes muscles se contractaient dans des pulsations délirantes et incessantes. J'avais l'impression qu'une personne tenait fermement ma gorge entre ses mains, m'étouffant à petit feu. Mes yeux perdirent leur magnifique couleur, pour se teinter dans un blanc total et effrayant. Soudain, je ne sentis plus rien. Rien à part cette impression de flotter dans le vide.

« Tu en as mis du temps. Alors ? Ça fait quoi de revenir ici ? »

Je restais muet comme une carpe, face à l'apparition de cette entrée fracassante. Un aigle en feu qui venait d’apparaître dans une explosion de flammes soudaine, au milieu d'un vide aussi noir que les ténèbres. En plus de cela, il parlait et semblait me connaître. A peine j'eus le temps d'ouvrir la bouche, qu'il s'approcha de moi et m'écrasa sous son regard. J'étais comme paralysé.

« Ne dis pas n'importe quoi, le morveux. Je ne suis pas un aigle, mais un phoenix.
Mise à part cela tu dois savoir une chose. Oublies tout. Tout ce que tu as fait. Tout ce que tu as accompli. Tous ceux que tu as rencontré. Tout ce que tu es. Tu vas commencer une nouvelle histoire. Tu as été pendant longtemps l'objet d'une belle manipulation. Depuis ta lointaine enfance, si mes souvenirs sont bons. Ou plutôt, depuis ta naissance. Alors écoute-moi bien. Je vais laisser le vieux libérer ta véritable identité qui a été enfermée au fin fond de ton âme, mais il te manquera toujours ce que moi j'ai. Une fois qu'il aura libéré ton esprit, nous devrons nous réunir comme le jour de ta naissance. »


Je n'eus même pas le temps d'en placer une, qu'une vague de douleur martela tout mon corps et mon esprit. Mes yeux se teintèrent enfin, mais dans une couleur totalement différente. Ils brillaient aussi intensément que de la braise... Mes muscles se contractèrent une dernière fois. La pire de toute... Un hurlement aussi sauvage qu'abominable se répandit dans toute la cavité. Subitement, le visage du vieil homme devint plus blanc qu'il ne l'était déjà. Son visage se mit à suer énormément et ses yeux laissaient transparaître la peur qui coulait dans ses veines.

« Mon... Monstre, monstre, monstre... Moonnstre !! »
Se mit-il à hurler sur moi, tout en tombant en arrière.

Le vieil homme venait de perdre la tête. Il avait vu des choses qu'il n'aurait jamais du voir. Je me levais lentement d'une force nouvelle, avançant vers lui alors qu'il était coincé dans un coin de la pièce. A peine à un mètre de lui, je tendais un bras vers l'avant dans un geste brusque. Un livre enflammé apparut quelques secondes après, flottant dans les airs devant moi et s'ouvrant de lui même. Les pages défilèrent dans une course rapide avant de s'arrêter sur une page où quelque chose d'étrange était dessiné. Étrange pour les autres cependant, pas pour moi.

« Phoenix Way, l'empreinte. »

Ils avaient tous reculé lorsque je m'étais levé, mais lorsque je prononçais ces mots, l'un d'entre-eux dégaina son arme dans un mouvement hésitant et tremblant. J'ignorais son geste ridicule, ne lui prêtant aucune attention pour le moment. Je me baissais légèrement, pour me mettre à la hauteur du vieux qui était recroquevillé contre son mur. Déposant sur sa poitrine, ma main qui était à ce moment-là glaciale.

« Oublies ce que tu as vu et reposes en paix. »

Ma main se mit à briller et à brûler ma victime là où elle était posée. Un cri étouffé s'échappa de sa gorge, avant que je fasse apparaître une dague enflammée dans mon autre main pour l'enfoncer dans sa poitrine, du côté de ses poumons. Alors qu'il lâchait son dernier soupir de douleur, je me levais et me tournais vers le courageux qui venait de dégainer son arme.

« Que se passe-t-il coussin ? Tu es effrayé par quelque chose ? »

J’avançais vers lui dans des pas bruyants et lourds, alors que ce dernier reculait jusqu'à percuter le mur derrière lui. Sur son visage, je pouvais facilement lire la frayeur qui l'animait. Il savait que j'avais découvert la vérité et cela ne le rassurait pas du tout, traître qu'il était.

« Tu as peur ? Tu as peut-être raison. Après tout, j'ai des raisons de t'en vouloir. Vous avez détruit ma vie pour me noyer dans une illusion dégueulasse. Malheureusement pour vous, j'ai fini par entendre des choses étranges et j'ai voulu des réponses. Pourtant tu es resté à mes côtés pendant que le vieux opérait sur mon esprit... Peut-être pensais-tu te débarrasser de moi après ? Ou pendant qui sait ? Mais l'opération a été trop courte pour que tu agisses... Et tu ne t'attendais sûrement pas à ce que je change. Hein ? Tu aurais profité de ma petite taille pour me tuer... »

Soudain, mon ancien « cousin » se jeta sur moi, arme à la main. Plantant sa dague dans mon épaule, il tenta de me repousser de toutes ses forces, alors que mon rire dérangé martelait son âme d'une folie certaine.

« Et oui, je ne suis plus aussi petit qu'avant. Pour couronner le tout, ma volonté est telle que ta dague, n'est qu'une piqûre face à ce qui t'attend. Regrettes et pleures, le jour où tu as le choix de me duper, toi et tous les autres chiens de ta race. »

J'attrapais sa gorge d'une main brûlante et puissante, pour y déposer l'empreinte dont j'avais enfin hérité. Je le jetais ensuite contre le mur, avant d'ordonner à notre médecin de bord d'aller le soigner pour qu'il ne meurt pas. Pendant ce temps, je me dressais face à ceux que j'avais épargné dans mon équipe, pour leur annoncer un petit changement de situation.

« Je ne tolérerais pas les traîtres, que ce soit bien clair. Un sort aussi funeste que le sien vous attendra, si vous êtes tentés de me trahir. Maintenant, faites vos bagages. Nous devons partir d'ici. »

Je me dirigeais ensuite vers les escaliers pour me rendre dans mon appartement, quand la petite fille accompagnée de son panda géant m'adressa la parole de sa voix enfantine.

« Il est passé où le blondinet ? »
« Il n'y a jamais eu de blondinet. Oublies le. »

Je partais sans rajouter un mot, aussi froid et distant qu'un mort. Les choses venaient de prendre une tournure imprévue et la suite de l'aventure allait s'annoncer des plus étranges. Car le passé je n'avais oublié, et les rancœurs j'avais préservé. L'extinction totale était la seule solution à laquelle je m'accrochais et nul survivant j'allais laisser dans mon sillage. Un démon écarlate venait de naître, plus dangereux que le fou blondinet qui venait de disparaitre définitivement.