Du sex appeal à revendre [Wilfried]

Notre périple à Minstrel nous avait tués. Enfin, c’était une façon de parler. Nous avions combattu avec tout ce que nous avions. Je ne pense pas que nous aurions pu faire mieux. Nous avons été stressé par les événements, nous avons saigné, nous avons utilisé toute notre énergie. Alan avait surveillé nos arrières à notre retour. Il avait entendu parler de nos combats de la Sorcière. Bien qu’il n’ait pas voulu se mêler à Minstrel, il n’avait pas le cœur de nous laisser crever en nous faisant attaquer par derrière. C’était lui notre chauffeur pour le retour et nous en avions profité pour fermer l’œil pendant tout le trajet. Nous étions restés trop longtemps là-bas et nous avions à peine dormi, à peine mangé aussi. On m’en voulait un peu de nous avoir plongé dans autant de chaos, de destruction, mais on me pardonna quand je leur répondais que c’était eux qui avaient répondu à l’appel. Je me demandais encore si j’avais survécu si j’y étais allé seul…

Jamais je ne me serais douté que des religieux aussi à cheval sur leur religion pouvaient être aussi puissants. Ils avaient tous acquis une seconde magie et ils méritaient leur titre de sage. Par contre, je me demandais bien comment ces assassins avaient réussi à les tuer aussi facilement. Je me disais que même avec une magie d’invisibilité, nous ne leur aurions pas échappé. Ils étaient intelligents, mais puissants, SURTOUT puissants. On a eu chaud aux fesses, mais c’était mission accomplie. J’en étais sorti avec le sourire aux lèvres et le cœur plus léger. Pendant le voyage de retour, le trou que j’avais en guise d’œil droit me faisait mal. Est-ce que c’était sa magie qui était encore en œuvre même après sa mort? J’en doutais, c’était juste psychologique. Du moins, je l’espérais.

Après cette bataille, je me dis qu’il nous manquait des troupes. Il nous fallait plus d’alliés, plus de mages à nos côtés qui sauraient nous prêter main forte. J’avais demandé à la Sorcière de pousser les recherches. Elle me répondit que nous aurions deux candidats possibles. Juste ça? Oui, depuis Minstrel, j’avais un doute. Ça me hantait, je n’étais plus certain de faire les bons calculs, que nous serions assez intelligents, assez stratégiques et assez puissants pour faire pencher le Conseil. J’avais défoncé un autre mur à coup de poing, frustré, encore. Je ne devais pas abandonner et avoir foi en mes hommes, avoir foi en leurs capacités et garder cette belle grosse tête que j’arborais à tous les jours de ma vie.

Un de nos gars encapuchonnés donna le lieu, la date et l’heure du rendez-vous à notre prochaine recrue. Je m’y rendis un peu d’avance, histoire de faire bonne impression comme à l’habitude. Cette fois, j’avais envie de changer de discours. Même si les motifs étaient toujours les mêmes, j’avais envie de dire quelque chose de différent, sachant qu’à chaque fois c’était redondant pour moi. Manteau noir sur le dos, le regard sombre, les bras croisés, adossé au mur à l’arrière d’un vieux magasin, j’attendis le gars en question. Tout aussi informé que lui, je ne connaissais ni son nom, ni son visage, ni sa provenance. Je savais pas non plus si c’était pour un boulot à temps ou une double affiliation avec nous. Patient, comme toujours, j’attendis avec assurance.

Une autre chope emplie de cette mousse alcoolisée à la liqueur de coco claqua sur le comptoir, en échange sonna la monnaie que le colosse devait au gérant du bar. Le rhum ici était mélangé dans un cocktail local délicieux, parmi les succulents ingrédients le Léviathan avait reconnu le lait de coco et la mandarine, du reste le secret de la maison demeura intact. Il l’appréciait tant qu’il en abusa sans vergogne, il en eut fallu un certain nombre pour venir à bout de la lucidité de l’ancien marin aussi celui-ci ne se perdit point dans les méandres de l’alcool. Il riait, ce qui était d’une rareté sans nom en ces périodes où il ne trainait qu’en compagnie de mages. Il avait choisi cet établissement pour différentes raisons, sa réputation mal famée et peu fréquentée des mages en étaient deux essentielles. Il pouvait ainsi se laisser aller aux plaisirs de l’alcool et des femmes, avec toute modération. En effet, s’il appréciait être entouré par de multiples dames aux décolletés plongeant, infâmes lapines aux arrière-pensées néfastes, il n’était guère intéressé par plus, tout du moins, pas ce soir. Le simple fait de passer une bonne soirée en compagnie de gens lambda pour qui le mot magie n’était pas du quotidien lui faisait un bien fou, il avait bien l’intention d’en profiter.

Sa soirée fut ruinée par l’arrivée d’un élément incongru, cette silhouette discrète emmitouflée de la tête au pied dans un manteau. On savait de loin qu’il posait par sa simple attitude un mur entre lui et les autres habitants fêtards de la taverne, personne n’alla lui chercher des noises. Lui, en revanche, décida de faire des siennes et vint s’adresser à l’antimage. Wilfried le jaugea d’un sourire supérieur imbibé d’alcool et tenta de s’éviter ce qu’il sentit comme des ennuis arrivant à grand pas en recalant le jeune homme frêle et discret. Il lui affirma de but en blanc ne pas jouer dans la cours des pédérastes, malheureusement cela ne perturba guère d’un cil l’interlocuteur. Celui-ci jeta un regard si sombre à la demoiselle aux hanches posées sur les jambes du Neptus qu’elle prit la fuite vers ses amies superficielles. L’amiral se racla la gorge pour marquer son agacement.

Wilfried, irrité par ce contre temps : Bon, c’est quoi la baleine?
Interlocuteur sombre, visiblement ignare du vocable maritime : Nous aimerions te proposer un job.
Wilfried, après une gorgée de rhum : Un job? Ca paie bien? Parce que j’en ai déjà un figure toi.
Interlocuteur sombre, persistant : Eagle’s Claw serait jalouse de nos prix. Un mage comme toi…

L’homme n’eut pas le temps de finir sa phrase qu’il fut soulevé du sol, épris de la désagréable sensation qu’était celle d’avoir des pieds qui ne touchaient plus le sol. S’il n’était pas bourré par la boisson, le Léviathan était suffisamment déshinibé pour se permettre ce genre de manœuvre en plein milieu de la taverne. Un silence s’installa suite aux cris suraigus des demoiselles en détresse, tous espérèrent que la tension se dissipât et que la soirée reprît un cours normal. Le colosse dévisagea l’effronté de son unique œil, sévère.

Wilfried, grave : Je ne suis pas un mage. Je ne fais pas de job de mage, alors maintenant, dégage.
Interlocuteur sombre, titubant une fois relâché : Réfléchis-y bien. Tu pourrais…

La phrase en suspens, l’intrus comprit qu’il était de trop. Il glissa un papier dans le vêtement du vétéran de Bellum et s’en fit, sur quelques derniers mots qui volèrent aux oreilles de l’albinos tels des papillons flatteurs.

Cet évènement s’était déroulé il y a quelques jours déjà, des jours durant lesquels l’esprit de Wilfried fut tourmenté, perturbé et mis à contribution. Les propos de l’épouvantail en mousse se répétait, incessants, le Neptus se remettait en question et finit par prendre une décision qui le mena là où, selon lui, il devait être. Il jeta un dernier coup d’œil au papier qu’il froissa enfin dans sa poche, continuant sa traversée de la capitale. C’était la première fois qu’il mettait les pieds ici et c’était encore pire que Rinaul, il y avait tant de… Le mot lui provoqua une nausée. Il n’avait guère foulé le sol de ville aussi développée depuis son séjour à Suikoden. Les souvenirs lui revinrent en tête, distillés entre nostalgie et regret, il aurait pu vivre une vie tranquille au-delà des mers. Il eut un sourire ironique à constater qu’il avait été chassée de cette ville par la pègre mais que cette fois ci, il était celui du côté sombre.

De même qu’il n’avait mis les pieds à Magnolia, l’expatrié n’avait pas encore eu affaire à des guildes clandestines. Oh, il savait bien de quoi il s’agissait, il avait d’ailleurs pour elles un certain respect puisque ces organisations illégales avaient le mérite de reconnaitre une chose : les mages étaient tous des hommes pourris jusqu’à l’os. Il savait également que l’on en comptait probablement quelques-unes parmi les alliées de la guilde qui l’embauchait, il n’était toutefois pas au fait des petits papiers de la gouvernance. Tout ceci éveillait en lui une curiosité diplomatique et politique, le système de ce pays était des plus extraordinaire pour lui, plonger de ce côté de la barrière ne pouvait être que bénéfique quant à la perfection de son point de vue à ce propos. Tout élément de noir et blanc devait être mélangé en harmonie afin de rester critique, de même que le Léviathan n’oublierait jamais de garder les deux pieds sur terre.

Wilfried, neutre : Mes salutations.

Comme à son habitude, le guerrier n’était vêtu que de son attirail inspiré de cultures multiples, de même que son manteau était inutilement fixé qu’au niveau du cou. Son torse ainsi exhibé, sa spontanéité et son naturel pouvaient répondre au manteau noir et ample de la personne qui l’attendait dans cette impasse. Du haut de ses deux mètres, le colosse arrêta sa marche et dévisagea sans grâce l’homme qui l’attendait là. Cette mise en scène était-elle vraiment nécessaire? Il jugerait par la suite des évènements si cet homme à la carrure respectable n’était en réalité qu’un émodépressif en collant noir, comprendre un héros de l’ombre au costume ridicule, un mégalomane narcissique sans charisme à la recherche d’un idéal inexistant, ou encore un réel individu qui valait la peine qu’on lui accordât du temps. Pour le moment, la seule chose qui résonnait dans la tête du pirate était les derniers mots de l’interlocuteur sombre.

Tu pourrais annihiler les mages, faire disparaitre toute trace de magie de ces terres.

Encore ce soleil tapant qui me les chauffait. Je bouillais, ma tête s'en prenait une raclée et mon teint... non pas mon teint. J'avais l'impression que je pouvais me faire cuire un oeuf sur les pectoraux. Je soupirais, mais je ne bougeais pas. On avait fait en sorte que le rendez-vous se fasse ici et pas ailleurs, alors je devais respecter ça. Et la pluie, elle était passée où? J'avais l'impression qu'il ne pleuvait jamais dans ce pays, mais pourtant, le végétation était abondante dépendamment de la région. Je levais la tête vers le ciel et vis quelques nuages, mais rien qui puisse amener la pluie par ici. Saleté, ce gars qui organise les rendez-vous, je vous jure qu'il va avoir à faire avec moi! D'ailleurs, je ne l'ai jamais vu de ma vie, mais on disait qu'il était fiable et des rumeurs stipulaient qu'il aurait une certaine relation parentale avec la Sorcière... J'haussais les épaules en me disant que je m'en foutais carrément de ce gars-là...

Puis, voilà de la compagnie. En voyant ce type approché, je fronçais les sourcils. Bordel qu'il me ressemblait! Il avait ma taille, mon physique, il lui manquait un oeil lui aussi, mais contrairement à moi, il avait l'oeil gauche d'amputé. Tout comme moi, il aimait bien montrer son torse et couvrir ses épaules. Il me dévisageait comme je le dévisageais. C'était pas pour les mêmes raisons. Il devait douter, se demander pourquoi il était-là, pourquoi on l'avait convoqué. Il me salua, disons, poliment, et je répondis d'un signe de tête. Il attendait des réponses, que j'ouvre la bouche pour lui expliquer tout ça, lui révéler le nom de notre groupe parce qu'on ne veut pas être aussi visibles qu'une guilde, mais frapper comme si c'était le cas. J'arborais un rictus, me détachais de mon soutien dorsal. Je regardais derrière lui pour m'assurer qu'il n'y avait pas d'espion et me voilà parti pour lui révéler:

Nous sommes un groupe de mages du nom de Crimson Hounds qui recrute dans le but de nous en prendre au Conseil prochainement. On ne recrute pas n'importe qui, mais seulement ceux qui sont jugés comme étant loyaux et qui ont cette façon de pensée du Conseil dont nous avons tous en commun: Nous voulons le faire tomber. On ne compte pas exterminer tout le monde, on veut juste leur faire comprendre que leur manière de penser n'a pas sa place à Fiore ou n'importe où dans le monde. On veut seulement notre liberté, appliquer notre magie comme bon nous semble, sans restriction, sans fichage qui te qualifie de "type bien" dans leurs dossiers à la c*n. Alors, le job t'intéresse ou pas?

Je me tenais prêt. Bien que j'aie forcé la main à la Sorcière, j'espérais seulement qu'elle n'avait pas forcé la mise juste pour me faire plaisir, mais parce que ce gars-là pourrait faire le boulot comme n'importe qui à Crimson. Et là, je me rendis compte que j'avais oublié un détail important...

Sinon, si tu appartiens déjà à une Guilde, y'a toujours moyen d'être relié à nous, de nous révéler des infos importantes pour notre coup. Si le job à temps plein te plaît, fais-le moi savoir aussi...

Aussi imperturbable que le vaste océan, Wilfried attendit calmement que l’homme eût terminé son discours. On pouvait au moins le remercier d’aller droit au but sans se perdre dans des fioritures et autres tournures de langages futiles. Dès ses premiers mots, il avait gagné l’appréhension de l’antimage qui retint un soupire le temps de tout écouter. Les mots clés vinrent tinter dans ses oreilles : Conseil, loyaux, tomber, monde. Liberté, penser et exterminer également, trois mots qui mélangés dans une seule sauce n’avait jamais formés un met raffiné. En réfléchissant bien aux termes utilisés et à la question indirectement posée, on pouvait également conclure que ce groupe qu’il nommait Crimson Hounds n’avait rien d’une guilde, chose qui parut bien étrange à l’œil du Neptus. S’ils n’étaient pas une guilde clandestine, qui étaient-ils? Il conclut de lui-même qu’il s’agissait d’une organisation rebelle, si le Conseil n’était pas la source du gouvernement politique de Fiore, il jouait un rôle non négligeable quant à la législation de la magie. Pensaient-ils vraiment pouvoir défendre leur droit en l’écrasant? Les doigts du colosse vinrent se poser sur ses tempes, la paupière abaissée il poussa un soupire exaspéré. On en revenait toujours au même mot, les mages, les mages, les mages, encore les mages, toujours les mages. Il n’avait rien à faire de leur problème de liberté, il était même content de savoir qu’ils se sentissent opprimés, aussi sa réponse ne se fit pas attendre.

Wilfried, dédaigneux : Je ne suis pas intéressé.

C’était vrai, après tout pourquoi viendrait-il plus en aide à un groupe de mages plutôt qu’à un autre. Déjà qu’il était difficile pour lui d’accepter le fait d’être membre d’une guilde, alors qu’une organisation de bénévoles venus souhaiter le meilleur du monde entre les mains des pires abrutis, rien n’était joué pour l’attirer. Il reprit une pose un peu moins blasé avant de détailler l’homme devant lui. Ils présentaient un certain nombre de point commun, cependant il pouvait assurer avec confiance que ce péquenaud n’avait pu connaitre la guerre. Outre l’absence de cicatrice, il jugea par ailleurs que ce borgne mal coiffé avait dû subir un accident fâcheux d’une autre nature, il manquait au recruteur cette aura sereine mais ferme que l’on retrouvait chez les vétérans.

La déception vint s’abattre sur les épaules du guerrier qui n’en montra aucune once, bien trop attelé à rester neutre et insensible devant cet inconnu. L’indic s’était permis de se jouer de lui, de ficeler ses pensées de sorte à ce qu’il morde à l’appât et le colosse, telle une brute sans cervelle, avait mordu. Il était conscient que son talent inné pouvait être un atout de taille pour ce groupuscule terroriste, après tout quoi de mieux qu’un antimage pour venir à bout d’un groupe de mage? Il pensa un moment qu’il n’avait pas plus de raison de faire partie de ce groupe que de la guilde neutre à laquelle il appartenait, exception faite de la promesse à sa bien-aimée décédée. Une langue vint lécher son cou musclé, l’amiral soupira à nouveau.

Wilfried, fatigué : Je t’avais dit de rester éloigné.

Le fennec à cinq queues couina avant d’éternuer. Le Neptus ne souhaitait pas mêler Anubis à ces affaires impropres, la boule de poil rousse étant un véritable symbole de la pureté pour cet homme enfermé dans son passé. Son regard dur et hostile vint à nouveau se poser sur le mystérieux employeur, refusant tout commentaire sur cette scène qu’il ignora alors pour continuer l’échange.

Wilfried, négociateur : Qu’est-ce qu’un ancien soldat marin comme moi a à y gagner?

Le corsaire testait sans le cacher son interlocuteur. Tout en soulignant ses points forts, il se plaçait dans une position où son engagement dans le groupe n’était pas assuré. Il espérait ainsi non seulement monter sa valeur, et donc être payé comme il se doit, mais aussi obtenir des informations complémentaires. Il y avait forcément des choses qui ne lui étaient pas dites, il pourrait peut-être en obtenir une partie dès à présent tout en sachant qu’il ne pouvait tout obtenir sans faire ses preuves. Les idées fleurirent une à une, si bien que l’albinos ne sût laquelle cueillir. Si l’homme le séduisait par quelques points, Wilfried doutait fort de la capacité d’un groupe quelconque à renverser le gouvernement spartiate de Bellum. D’un autre côté, renverser le conseil avait ceci d’alléchant qu’il serait un premier pas dans l’extermination des mages. Rien n’empêcherait l’antimage de retourner sa veste une fois cet objectif commun accompli, quelle qu’en soit la raison, il ne craignait personne.

Il était difficile de peser le pour et le contre de cette offre, même pour quelqu’un de sans attache comme le démon des mers, lui mieux que quiconque savait que mettre un pied dans ce genre de boue mafieuse était quelque chose de dangereux. Il n’était pas dupe, une fois mais pas deux, si jamais ce refus devait se conclure sur un affrontement au péril de sa vie, Wilfried serait sans pitié. Calixte était morte, ce serait un affront que de la rejoindre si tôt alors qu’elle s’est tuée à la tâche de ressusciter son mari. Il ne se laisserait pas poignarder une deuxième fois.

S’il y a bien une chose que je respecte chez la Sorcière, c’était qu’elle ne se trompe jamais. J’avais beau avoir mes doutes de gars anxieux et complètement perdu, mais je devais cesser de remettre en question les aptitudes de mon équipe. Ils m’avaient fait la morale l’autre jour parce que je fonçais dans le tas sans réfléchir et que jamais, au grand jamais je venais les harceler pour quelque chose de mineur. L’affaire de Shiro les avait mis dans tous leurs états et pourtant, j’avais réussi à en venir à bout. Des deux côtés nous possédions ces défauts, mais avec le temps, je crois que ça se dissipera.

La recrue me répondit qu’il ne serait pas intéressé. Ah ouais? Il faut dire qu’il n’exprimait pas grand-chose de l’extérieur et il n’y avait que d’autres choix de le croire. Par contre, il y a une chose qu’il ne savait pas, c’était que j’avais des experts à mes côtés et qu’il n’était pas possible de me mentir ou de me trahir sans que je le sache. J’avais le goût de le cogner, mais encore une fois, je travaillais sur moi-même. Je devais cesser ces crises d’impulsivité de rage qui me prenaient dès que quelque chose ne me plaisait pas. J’affichais tout de même un sourire amusé au gars. À quoi il jouait? Il voulait que je le supplie de me rejoindre? C’était loin d’être moi que de supplier quelqu’un à des exigences. Étant pour la liberté, ce serait contradictoire d’agir ainsi.

Puis vint cette espèce de bestiole sortie de nulle part qui venait prendre l’attention de son maître. D’un air à la fois dégoûté et surpris, j’arrivais pas à comprendre la scène. On aurait dit une scène coupée d’un film qui vient s’insérer sans raison. Autant que j’en avais envie à la vue d’un chat, je voulais botter le c*l de ce truc-là. Le voilà qui se sauvait à petits bonds joyeux. Quand je vous dis que ça m’agace, son singe venait tout casser. Il faut croire qu’on avait tous nos petits secrets et qu’on n’en avait pas envie d’en parler. Le fait que son animal soit apparu aussi soudainement voulait sûrement dire quelque chose. Les animaux ressentent pas mal plus que les humains. Ça voulait peut-être rien dire non plus…

Il posa une question qui pouvait mettre n’importe qui dans l’embarras, mais moi, je l’entendais à toutes les semaines… S’il s’intéressait un minimum à ce que je pouvais lui dire concernant le groupe, c’était qu’il était prêt à embarquer dans l’aventure. La voix de la Sorcière résonna dans ma tête comme au fond d’une grotte pour me donner l’information nécessaire : Eagle’s Claw. Ah ouais, cette guilde qui était menée par des femmes depuis des générations… Je souris. Cette question venant de lui m’était la plus facile à répondre jusqu’à maintenant. Sans hésiter, toujours un sourire aussi fendant aux lèvres, je lui répondis :

Qu’est-ce qu’un ancien soldat marin comme toi avait à gagner de rejoindre Eagle’s Claw? Contrairement à nous, Eagle’s Claw est beaucoup plus visible et le Conseil n’a qu’à regarder par-dessus son épaule pour tous vous mettre aux arrêts. Vous avez quoi comme but? Vous laisser mener par le bout du nez par des femmes? C’est plutôt lâche comme excuse. Nous, on cherche la liberté, on veut bouger, nos gestes servent à quelque chose. On veut changer le monde carrément, mon gars. Si tu préfères rester à ton bar à picoler en attendant que le temps passe, c’est libre à toi… Si tu veux retourner là-bas sans faire affaire avec nous, c’est ton affaire, mais on ne reviendra vers toi que pour te couper la langue.

J’sais pas comment il aurait réagi à ce genre de réponse, mais ce n’était probablement pas à ce qu’il s’attendait. La Sorcière savait un tas de trucs à Fiore et même si cette guilde était dissimulée tout en haut d’une montagne, elle pouvait en faire ce qu’elle voulait de cette information. Il faut croire que dans sa boutique d’horloges, elle n’avait pas grand-chose à faire pour stocker ce genre d’informations dans son livre. J’avais aussi été provocateur sur mes propos, peut-être se sentirait-il blessé? Rien à foutre, je pouvais juste pas m’empêcher d’en ajouter :

Alors, qu’est-ce que t’attends? Tu me tournes le dos ou tu me serres la main?

Ma main était levée vers lui, bien placée pour qu’il la serre s’il le souhaitait.

Le démon des mers dans toute sa splendeur sournoise observait, notait, interprétait chacun des faits et gestes de celui qui se voulait être son patron. Il avait mis un certain temps à réagir, puis il avait souri avec un petit air supérieur. Cet homme avait ses qualités, l’assurance et la bonne information, semblerait-il, en faisait partie. Il n’y avait là aucun artefact de télépathie, Wilfried l’aurait senti et bloqué tout aussitôt, il faisait face à un mage, s’il se laissait aller à ses pulsions profondes, il l’aurait écrasé d’une botte et reprit sa route sans aucune résipiscence. Son regard se durcit à l’appel provoqué par Senji, il était vrai que le Neptus avait un fond machiste où résonnait en chœur ces paroles en l’air. Et pourtant.

Pourtant le corsaire savait qu’il avait été sauvé par une femme, sa femme. Il était conscient qu’il devait sa vie à celle qu’il avait alors suivi durant des années, il croyait corps et âme qu’elle fût capable de dominer Enca de sa force de roc, de son charisme courageux. Il avait bu à la coupe de ses idées révolutionnaires et justes, il s’était délecté du goût de la liberté, mais il avait aussi appris à quel point renverser cette coupe pouvait être délétère, aussi le discours du renard par l’odeur alléchée ne lui fit pas plus d’effet que cela. Il eut un rictus méprisant.

Wilfried, amusé : Je vois, vous êtes un troupeau d’homosexuels complexés par leur manque de virilité, une horde de matelots chastes qui rougissent à la moindre caresse mais qui veulent jouer dans la cour des grands. Des avant-gardistes, hm?

Aussi cinglante que pouvait paraître cette réponse, elle cachait le début d’un fil à tirer afin de tisser un début de lien, si fragile soit-il. Le marin eut une pensée pour Damaz Elandez, cet homme qui l’avait quelque peu marqué, puis il s’avança vers son alter égo brun pour lui serrer la main avec poigne. Il mima son air supérieur, le corsaire n’autoriserait pas que l’on s’introduise dans son territoire, il n’y avait pas de début aux manœuvres destinées à ne pas se faire marcher sur les pieds. La rencontre de ces deux caractères hauts en couleur était une collision difficile mais réservait sûrement des surprises des plus remarquables à l’avenir.

Wilfried, annonçant la couleur : Je suis des vôtres. Ca a intérêt à être bien payé si t’veux m’garder. Mais n’compte pas sur moi pour quitter Eagle’s Claw tout de suite, j’ai encore des comptes à régler là-bas.

D’une manière ou d’une autre, l’albinos sans attache était lié à cette guilde, il ne pouvait le nier sans hypocrisie vulgaire. La ronde des aigles était l’incarnation de sa promesse, la réalisation du dernier souhait de la personne la plus importante à ses yeux, il aurait du mal à s’en défaire quoi qu’il en dise. Il n’y avait pourtant là qu’une horde mages, aussi le Léviathan refoulait cet attachement, si petit fût-il, invoquer son combat contre Nywell n’était qu’un prétexte pour lui comme pour les autres. Il restait vrai néanmoins qu’il voulût faire ses preuves contre cette femme, qu’importe l’importance de sa position, qui jurait à toutes les divinités que les mages étaient une espèce supérieure. Le Léviathan n’était pas dupe, aussitôt après avoir lâché la main de son interlocuteur, il enchaina.

Wilfried, confiant : Par quel moyen qu’je dois faire mes preuves?

De la même manière qu’il avait éliminé le dénommé Midô pour prouver sa loyauté au capitaine Von Mojito, le colosse savait sans trop se mouiller qu’on lui demanderait de faire acte de bonne mesure afin de signer le pacte. Ce qu’il voulait savoir, c’était ce que l’on attendait exactement de lui, car se contenter d’envoyer des informations sur la guilde ne lui assurerait pas de la véracité de ces fuites. Son regard défiant croisa celui de son employeur, savait-il déjà de quoi il était capable? C’était difficile à dire, Wilfried avait été très discret sur ses capacités jusqu’à ce jour, à la guilde il ne lui semblait que personne ne savait réellement de quoi il était capable. Non, l’albinos n’était qu’un ours polaire et grognon parfois assis au bar, venu chercher sa mission et reparti dans un bref délai, toute personne tentant de lui adresser la parole recevait la plupart du temps un vent glacial et arctique.

Rare étaient ceux qui l’avaient vu en pleine action, plus rare encore étaient ceux qui avaient réellement compris la nature même de ses capacités. Il était fort probable que ce nombre d’individu soit réduit à zéro, que quelques-uns le prenne pour une sorte de mage aux reflets ou illusions insensées, mais contre ce genre d’individu il fallait toujours se méfier. Peut-être que le réseau d’information de cet homme s’étendait bien au-delà des frontières de Fiore. Néanmoins, il voyait mal un quelconque informateur mettre les pieds sur Enca, cette terre désertique ravagée par la guerre, quant à Bellum… L’albinos réalisa alors qu’il avait jusqu’alors effectué une erreur de jugement. Il pensait qu’on s’était tourné vers lui pour ses capacités hors normes, mais il y avait en réalité très peu de chance pour que cet homme sût qu’en face de lui se trouvait un antimage. En ce cas-là, pourquoi s’était-il tourné vers lui, pourquoi cette organisation était-elle profondément intéressée à le recruter? Afin de ne pas se perdre trop longtemps dans ses pensées, il plaça en première hypothèse le manque cruel de main d’œuvre et des échos de missions réussies ici et là par le colosse, la suite des évènements lui répondrait d’elle-même.

Il fallait que je tombe sur un gars qui parlait sur la même longueur d'ondes que moi en plus! Il nous traitait d'homosexuels, une bande de dégénérés timides qui veulent prouver quelque chose. Je me mis à rire grassement, forcé. Il pouvait me tourner le dos et partir, mais il préférait riposter pour défendre plus ou moins sa guilde de m*rde. C'était tout ce qu'il avait comme arguments? Une raison de plus pour partir de-là mon gros... Ça me faisait penser à ma rencontre avec Damaz. Notre rencontre était bouillante d'insultes diverses, mais au fond, on arrivait à se supporter puisque rien n'était envoyé vers l'autre de manière personnelle, contrairement au gars devant moi qui me laissait paraître tout le contraire. Je n'eus à dire que ceci:

J'te vois bien dire ça devant les filles, tu te serais pris la claque du siècle...

Déjà, il était informé qu'on n'était pas qu'une bande de macaques sur stéroïdes, mais qu'on acceptait tous les genres d'individus, tant et aussi longtemps que ce qui les hante, rejoint nos propres cauchemars. Il poursuivit en disant qu'il était des nôtres et que j'avais intérêt à bien le payer. Pardon? Il veut que je le paye en couches pour bébés? Je veux dire, on paie pas grand chose mis à part par une claque dans le dos et quelques encouragements dans les moments difficiles, mais si c'était l'argent qui l'avait attiré, il frappait à la mauvaise porte et c'était pas ce genre de gars qu'on cherchait, mais quelqu'un qui suivait sa propre voie, et pas un type qui se laissait emporter par la vague. Il n'était pas prêt à quitter sa guilde tout de suite. Il avait sûrement mal saisi mon intro parce qu'il était pas obligé de partir...

Ouais bah, t'es pas obligé de la quitter entièrement non plus. Tu serviras juste à nous refiler des infos importantes qui circuleraient dans ton coin...

Je fis quelques étirements vers le haut, cognais la pointe de ma botte contre le sol et me passais une main dans les cheveux: Rester dans la même position pendant de longs instants, ça me causait des crampes... Et le voilà pressé. Il voulait connaître le test qu'il devait passer. Moi qui croyais qu'il voulait juste bavarder... Ça fera bouger un peu la ville: tant mieux. J'en pouvais plus, il me fallait du sang...

T'as une boîte de gardes à quelques centaines de mètre au Nord. Arrange-toi pour en trouver un sans te faire repérer, sans provoquer la panique. Ramène-moi le et interroge-le juste ici... T'as pigé? Ou j'dois répéter? On sait jamais, un aigle ça a pas l'air d'avoir d'oreilles...

Ce sourire moqueur. Même si c'était une phrase plutôt maigre, elle m'avait servie pour répondre à sa remarque d'un peu plus tôt qui me traitait d'homo'. J'ai déjà été le genre de gars timide, mais grâce à Enya, j'étais devenu un homme, un vrai...

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