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Dionaea Rex [D]
 MessageSujet: Dionaea Rex [D]   Dionaea Rex [D] EmptyJeu 5 Sep - 4:11

Uriel Rudraksha
Uriel Rudraksha

[C] Var Ulfur

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Dionaea Rex
~ Uriel s'efforçait d'adopter une réaction des plus neutres en entendant la réponse qui venait de lui être donnée. Dubitatif, il hésitait entre une grosse farce et une incompétence totale doublée d'une débilité profonde. Il resta interdit quelques instants.

_ Vous avez fait... Quoi ? »

Son interlocuteur, un homme doté d'une corpulence que l'on pourrait qualifier d'excessivement forte au vu de la manière dont sa salopette faisait concurrence à un filet de pêche, le regarda comme si ce qu'il venait de dire était pourtant simple et qu'il ne saisissait pas pourquoi le mage n'avait pas compris. Il répéta alors, comme si tout ceci était extrêmement normal.

_ Ouep, des plantes carnivores géantes. Peut-être un peu magiques, j'y connais rien moi dans tout ça. Mais ce qu'il y a de sûr, c'est que depuis une semaine elles sont devenues bien plus grosses et aussi plus... Euh... Enfin, comment dire... Amicales ? »

Uriel souleva un sourcil. Quand il avait entendu parler du besoin d'un jardinier de recruter un mage orienté nature pour un problème un peu étrange de « bestioles un peu trop envahissantes », il ne s'était pas vraiment attendu à trouver ce genre de situation. Des fois vraiment, il se demandait ce que les gens avaient dans la tête. En particulier en cet instant précis, où la bonhommie relative du type couplée à son absence totale d'inquiétude face à ce qui semblait pourtant être un danger bien tangible l'agaçait légèrement. Uriel poussa plus avant l'interrogatoire. Il avait la fâcheuse impression que s'il ne posait pas lui-même les bonnes questions, il risquait de se retrouver avec de belles surprises à découvrir.

_ Amicales. Hm hm. Dites m'en plus. »

Le gros bonhomme le regardait d'un air suspicieux, comme si pourtant tout était parfaitement clair mais qu'il n'osait poser les mots sur l'espèce de « truc » qu'il avait créé. Comme si le simple fait d'en parler pouvait le faire surgir de nulle part.

_ Ben, disons que, j'ai déjà eu des spécimens récalcitrants ou un peu dangereux, vous voyez, mais j'ai toujours su les mater. Vous savez, ma femme et moi on a un genre de don pour ces choses-là. Un talent rare comme dirait l'autre. Mais là, ça dépasse tout ce que j'ai pu faire pousser avant. Elles ont des têtes aussi larges que des cochons, et un appétit pas moins important. Et... Bon, on a commencé à s'inquiéter quand Félix a disparu. Les enfants ont trouvé son collier à la lisière des ronces, mais évidemment j'ai pas cru tout de suite que c'était possible. Et, enfin, je pouvais pas dire aux enfants que c'était la faute de mes plantes, ça leur aurait brisé le cœur. Ils aiment les plantes, vous comprenez ? Alors je leur ai dit qu'il avait trouvé l'amour, et qu'il s'était envolé pour un pays fait de soleil et de nourriture, là où il serait heureux... »

Un silence. Le genre de vieux blanc qui suit une blague ratée. Les paroles du type sonnent dans la tête d'Uriel, résonnant comme si elles entraient et sortaient d'une oreille à l'autre, mais qu'il n'arrivait pas à les imprimer dans sa matière grise quand elles étaient entre les deux. Il essayait de faire le tri entre l'utile et l'inutile, et entre le vrai et le faux. Des têtes comme des cochons ? What ? Il acquiesça vaguement de la tête.

_ Oui oui, bien sûr. C'est tout naturel. Pauvre petite bête, perdre un chat comme ça... »

Le type balaie l'air devant lui en gestes désordonnés, s'empressant de corriger Uriel et faisant blobloter la graisse de ses bras ce faisant.

_ Oh non non, Félix n'était un chat. Ma femme y est allergique. Elle nous fait des œdèmes et elle double de volume quand elle fait une crise. Grosse comme ça je vous dis. »

Et il écarte les bras. Au maximum. L'espace d'un instant, Uriel imagine une madame salopette au moins aussi grosse que son conjoint masculin. Un chat apparaît alors dans sa tête, et il essaie de se figurer comment il était humainement possible qu'elle double de volume.

_ Ah... Autant pour moi. Mais, dites moi donc mon brave monsieur. Félix, c'était quel genre d'animal ? »

Monsieur salopette le regarde, et il est, l'espace d'un instant, traversé par une onde de joie bienveillante qui le fait sourire, rendant ainsi son visage encore plus rond.

_ Oh, mais un cochon bien sûr. C'est très regrettable comme incident. Félix avait un flair pour les truffes, je vous le dis, comme ça. »

Il porte ses doigts à ses lèvres et les décolle en un smack sonore. Uriel cille, tandis qu'intérieurement, il bloque une nouvelle fois. Et puis, il envisage soudain des plantes carnivores avec des têtes effectivement grosses comme des cochons. Et d'un coup, il commence à se demander dans quoi il a fourré les pieds.

_ Mais, attendez un instant. Vous avez demandé de l'aide à l'école de magie ? Yafutorynne est quand même l'endroit par excellence où vous pouvez trouver une solution à ce genre de problème... »

Le gros homme se tord les doigts devant lui et adopte un air gêné en changeant d'appui. Nul besoin d'être spécifiquement perspicace pour percevoir le mal à l'aise dont il fait preuve, c'est aussi visible qu'une vache normande dans un couloir de hobbit. Il hésite, alors Uriel le pousse plus avant.

_ Oui ? »

Il observe nerveusement à droite et à gauche de la rue, avant de baisser la voix, comme de peur que quelqu'un ne surprenne ses dires alors qu'il n'y a pourtant personne à l'horizon.

_ Ben, c'est à dire... Vous savez, c'est pas la première fois que j'ai ce genre de soucis. Enfin, ce genre-là si, mais je veux dire, c'est pas la première fois que j'essaie des petites expériences au fond du jardin avec ma femme et que ça... Comment dire. Dérape ? J'ai déjà eu des soucis avec mon élevage de plantes carnivores. Bon, ma fille s'en est tiré avec une vilaine plaie sur la jambe, mais pas grand chose. Mais quand j'élevais des champignons sauteurs avec du terreau magique, la dernière fois, ils ont envahi le quartier et euh... Enfin, je voudrais pas que ça se sache. J'aimerais conserver mon accès au cercle de l'amicale des horticulteurs de Yafutorynne. Vous comprenez ? Et par les dragons, cette école de magie est tout sauf une bonne idée pour ça. Surtout que le terreau magique, ça dépend ce qu'on y ajoute, mais euh... »

De ce qu'avait appris Uriel, les champignons sauteurs étaient une espèce extrêmement prolifique qui explosaient quand on les touchait en se répandant en spores qui pouvaient éclore et pousser en une nuit, se fixant sur le bois et les autres plantes pour s'en nourrir. Il n'imaginait pas ce que pouvait donner ce genre de truc dopé aux hormones quand la version basique était déjà suffisamment nuisible comme ça. Il compléta alors la phrase de son interlocuteur avec ce petit quelque chose de dédaigneux mais délicat dans la voix.

_ Illégal ? C'est le mot que vous cherchez peut-être. »

Le gros acquiesce. Le voilà bien avancé. Des plantes carnivores avec des têtes grosses comme des cochons, qui dévoraient lesdits cochons et qui avaient été créées par une espèce de jardinier fou qui mélangeait la magie à ses plantes. Un instant, Uriel se demanda ce qu'il pouvait bien apporter au type. Et, surtout, s'il en avait vraiment envie.

_ Oh, ne vous en faites pas pour votre... Petit secret. Disons que ça justifiera un extra et la garantie de ne pas voir cette information divulguée là où il ne faut pas. Si c'est quelque chose d'illégal, malheureusement, ça change tout de suite la donne. Cela dit, on peut tout à fait s'arranger. Vous comprenez ? »

Oui, oui. Bien sûr qu'il comprend. Il comprend surtout qu'il a besoin d'un mage pour le débarrasser d'une épine dans le pied bien ennuyeuse et qu'il ne faut pas que la chose s'ébruite.

_ Mais, dites m'en plus. Comment c'est arrivé, et qu'est-ce que vous projetiez de faire exactement au juste ?  »

Il n'aime pas ce type dans la façon irresponsable qu'il a de jouer à Dieu en manipulant la magie et les plantes, sans même vraiment savoir ce qu'il faisait au final, brisant les cycles naturels et instinctifs, comme tous les autres humains.

_ Et bien et bien, vous savez, il est d'usage parfois dans le coin de mélanger son terreau avec, hm, un petit coup de pouce magique... Quelqlues ingrédients ici et là, et ni vu ni connu, on obtient des spécimens beaucoup plus rapidement, qui sont plus résistants et bien plus vigoureux. Vous devriez voir les Lys que ma femme a fait pousser, de vraies merveilles et... »

Il l'interrompt, sans lui laisser le temps de diverger plus avant. La voix est tranchante et froide comme une lame.

_ Vous voulez que je les tue. »

Ce n'est pas une question, simplement une constatation logique. Imperceptiblement, Uriel fronce les sourcils et se sent devenir plus menaçant à l'intérieur. Non, il n'aime pas ce monsieur. Un instant, son interlocuteur ne répond pas, suspendu dans sa précédente phrase, la bouche ouverte, comme s'il avait oublié tout le reste.

_ Hum... Non. Enfin, oui. Mais ce n'est pas si simple. Elles sont hargneuses et résistantes et, surtout, elles repoussent à une vitesse folle. J'ai essayé de contenir leur croissance, croyez-moi, mais je n'y arrive plus, et je ne pourrais bientôt plus camoufler la jungle qui pousse au fond du jardin. Enfin, surtout si elles commencent à envahir les voisins... Mais c'est regrettable vous savez, j'aime beaucoup mes bébés. Et puis... Enfin, il y a un dernier petit détail qu'il vous faudrait peut-être savoir. »

Uriel réfléchit. Il se voit mal venir prendre la vie de ces plantes carnivores. Même si elles sont dangereuses. Ce n'est pas son rôle, ni son problème, et ce n'est pas avec de l'argent qu'il acceptera d'aller à l'encontre de sa philosophie. Mais, c'est plus un problème pour Altiel et Syla que pour lui et ses alliés. Il n'est pas vraiment l'homme de la situation, s'attendant à trouver des bestioles animales plutôt que des expériences végétales ratées. Cela dit, l'homme à la salopette ne le sait pas, et il devine dans ses petits yeux marrons qu'il place beaucoup d'espoir en lui, ce mage qu'il vient de dégotter. Il enchaîne, avec ironie.

_ Hm, laissez-moi le plaisir de deviner. Elles sont une armée increvable, elles crachent de l'acide et en plus elles sont intelligentes et pondent des œufs dans le corps des gens ? »

Le petit monsieur le regarde avec un air désorienté, comme s'il ne saisissait pas le concept d'humour noir et qu'il était étranger à l'ironie. Il agite son regard de droite à gauche, toujours surveillant les environs, jetant même un œil derrière lui, en direction de sa maison où, de loin, tout semblait à priori normal, comme pour s'assurer qu'elle n'ait pas encore été détruite.

_ Euh, de l'acide, non. Mais du venin oui. Enfin, pas toute. Juste la reine. »

Uriel écarquille les yeux comme un cabillaud tout juste étalé chez le poissonnier.

_ Qu... Quoi ?! »

Alors il éclate de rire, nerveusement. Tout ceci n'est qu'une grosse farce de débile orchestrée pour la fête des fleurs. C'est ça, hein ? Allez, dites le... Mais le jardinier conserve avec presque acharnement cet air flasque et dénué de la lucidité humoristique qu'il tentait d'éveiller en lui précédemment.

_ ... »

_ ...Vous êtes sérieux ? »

_ Vous voulez voir ? »

Oui. Oui il était sérieux ! Ou comment passer de quelques « grosses bestioles envahissantes » à une espèce d'armée de plantes carnivores aussi grosses que des cochons, avec une reine, du venin et une prolifération aussi virulente et douloureuse que les carrières des mauvais boys-band du Sorcerer ! Impossible, il nageait en plein délire ! Il tourna la tête vers la façade de la petite demeure de chaume, de bois et de torchis qui affichait son air jovial à la face du monde, dans cette rue pavée bordée de petite maisons avec jardins fleuris de la manière la plus agréable qui soit. Soudainement, cette apparente perfection lui évoqua plus quelque chose proche du sourire de psychopathe qu'une bienveillante sensation de chaleur dans la poitrine. Furieusement, il retint un frisson, se disant que, peut-être, il était possible que le gros monsieur avec sa salopette ne soit en réalité rien d'autre qu'un taré qui nourrissait ses plantes avec des corps humains. Voir même peut-être qu'il
était la plante. Et lui la proie.

Il chassa ces pensées dégénérées de son esprit et sembla reprendre sa lucidité, son interlocuteur attendant une réponse. Il soupira, résigné.

_ Vous savez, honnêtement, je m'attendais à des bestioles, pas ce genre de choses. Cela dit, au point où on en est, je peux toujours jeter un coup d’œil et voir ce que je peux faire. »

Bizarrement, la réponse ne semble pas satisfaire le jardinier, et il avance ce qui lui semble être d'une logique implacable.

_ Et bien, que sont des plantes carnivores grosses comme des cochons à part des « bestioles » ? Je ne saisis pas très bien votre propos... »

Uriel le regarde, interdit. Puis lui fait son plus beau sourire artificiel, même si, à l'intérieur, il est plus proche de la consternation qu'autre chose.

_ Oh mais c'est bien ce que je dis mon bon monsieur. Allons donc voir ces fameuses bestioles. »

Comme si cette explication lui suffisait, il parut soulagé, et invita Uriel d'un geste de la main à le suivre. Il passèrent la clôture de bois peint et traversèrent les parterres de fleurs qui faisaient la devanture et la fierté de la famille. Il le fit entrer en sa demeure. Aussitôt, trois choses percutèrent son esprit. Deux marmots, vecteurs inévitables d'ennuis. Un garçon et une fille, qui jouaient avec un petit bouledogue court sur pattes, la face écrasée, dont il attira aussitôt l'attention, intrus dans son paysage familier. La deuxième chose, ce fut l'énormité incroyable de la femme qui s'affairait à une table, en train de consigner des choses dans un carnet, et qui releva les yeux à son entrée. Presque aussitôt, Uriel se demanda si elle n'était pas
déjà en train de faire un œdème et si elle n'était pas déjà au double de son volume habituel au vu de sa taille formidable. La troisième, enfin, ce fut effectivement l'odeur animale de cochon qui persistait dans l'air malgré le décès de celui-ci.

Une famille d'ogres, voilà ce que c'était.

Instantanément, ce fut l'agitation. L'animal court sur pattes vint renifler l'odeur suspecte d'Uriel, avec sur les talons ses deux compagnons infernaux qui le regardaient avec timidité mais espièglerie, et, ensuite, le tremblement tout à fait perceptible du pas lourd et pesant de la maîtresse de maison qui s'approchait de lui, faisant fuir par la même occasion le chien qui s'était intéressé à lui. Bizarrement, Uriel se méfiait, il ne savait pas trop bien pourquoi.

_ Et bien Martin, qu'est-ce que tu nous ramènes donc là ? »

Sa voix était aussi épaisse qu'une pâte à pain réticente.

_ Ah, j'ai dégotté un mage pour notre, hm, affaire. »

La grosse femme lui tendit la main et serra celle d'Uriel avec la force de trois hommes, manquant la lui broyer. Néanmoins, elle respirait la sympathie et lui offrit un large sourire.

_ Enchanté jeune homme, Marge. C'est pas qu'on vous attendait avec impatience, mais, on vous attendait avec impatience. »

Le mage sourit d'un air un peu gêné, essayant d'ignorer la chaleur douloureuse dans sa main.

_ Bonjour madame... »

Presque aussitôt, les gamins s'excitèrent de plus belle, comme si leur héros favori venait soudain de débarquer. Oh non, ce n'était pas un bon présage, pas du tout même. Ils se mirent à crier tous en même temps.

_ C'est lui ?! C'est lui ?! C'est lui ?! Le mage qui va envoler Drusilla dans les cieux de la nourriture et du soleil pour rejoindre Félix ? Hein dis papa ? »

Uriel avait peur des gosses. Pas qu'ils étaient effrayants en soi, mais surtout parce qu'il devenait absolument incapable de savoir comment il fallait les gérer pour éviter leurs inévitables catastrophes. Ce qui, à la réflexion, les rendait effrayants.Cela dit, en cet instant, si son sourire se crispa comme un masque qu'il essayait d'éviter de briser, ce qu'il venait d'entendre le portait à croire qu'il se tramait encore de nouvelles choses pas très nettes. Il se tourna vers son horticulteur préféré et lui lança une interrogation insistante du regard. A laquelle il se contenta d'abord de répondre aux enfants.

_ Oui les enfants, mais allez jouer pour l'instant. Il pourra vous faire un tour de magie tout à l'heure. »

Et ils s'en allèrent. Avec leur chien. Enfin « ils s'en allèrent » n'était juste que dans la mesure où ils se contentèrent de faire trois mètres et de se cacher derrière un meuble pour les espionner. Alors son gros en salopette se pencha vers lui pour lui chuchoter d'un air embarrassé à l'oreille.

_ Oui alors euh... Pour éviter les problèmes, j'ai bien dû leur inventer une autre petite histoire. Ils aiment les plantes, vous comprenez, et pour sûr, la disparition de Drusilla leur aurait fait de la peine. Donc je leur ai dit qu'il fallait un mage pour l'envoler dans le ciel rejoindre Félix. Hop, ni vu ni connu. Ils seront pas là pour vous voir faire, mais si vous pouviez jouer le jeu... Ça nous arrangerait ma femme et moi, vous comprenez. »

La bouche d'Uriel s'ouvrit un instant, comme s'il était sur le point de parler. Et puis rien ne vint, et elle restait ouverte. Il ne savait pas ce qui le choquait le plus. La supercherie bancale qu'il avait montée à ses enfants ? Le fait que ses enfants soient tombés dans ladite supercherie ? Le fait qu'il venait d'insinuer qu'il allait les divertir avec
un putain de tour de magie ? Ou bien le fait que... Non attendez, cette plante démoniaque s'appelle vraiment Drusilla ? Mais... Mais quoi ?! Au fond de lui, il sentit l'influence moqueuse de deux de ses mentors s'infiltrer en lui, lentement mais sûrement, à mesure que la situation devenait de plus en plus cocasse. Il les refoula sans ménagement et clôtura l'accès à son esprit sans même leur demander leurs avis. Il avait une certaine tolérance, mais là, il était déjà proche de la limite. Finalement, il ne parvint qu'à articuler quelques mots, qui l'écorchèrent quand il les prononça. Il eu une impression aussi froide et solennelle que s'il signait son testament.

_ Oui... Je comprends... »

Non il ne comprenait rien du tout. Et encore moins comment il pouvait encore être ici et ne pas avoir tourné les talons depuis déjà un bon moment. L'homme qui l'avait accompagné jusqu'ici fit un signe de tête à sa femme en désignant leurs enfants et elle comprit aussitôt que, pour garder intact le mystère, il ne fallait pas qu'ils assistent à l'envolée de Drusilla.

_ Bon bon bon, on va vous laisser travailler jeune homme. Aller les enfants, venez avec moi, la magie c'est dangereux hors de question que vous restiez à côté. »

Et elle les embarqua sans autre forme de procès, malgré leur protestation commune, suivit par le bouledogue à la face écrasée. Vu son jeune âge, ça ne l'aurait pas étonné qu'ils l'aient acheté pour remplacer Félix. Le pauvre, d'ici à ce que lui aussi s'envole, il n'y avait qu'un pas. Et d'ici à ce que les enfants de Martin l'horticulteur ne veuillent aussi s'envoler, une idée.

_ Vos enfant ont l'air charmants. »

C'était plus une ironie prononcée à voix haute pour lui-même qu'un véritable compliment. C'était en soit totalement mesquin et injustifié, mais il y trouva une certaine forme de réconfort. Son interlocuteur ne sembla pas remarquer la pensée réelle derrière la parole et il se dit qu'il valait mieux qu'il évite ceci-dit, s'il ne voulait prendre une main de la taille d'un jambonneau dans la face.

_ Oui hein ? Oh, ce sont nos petites fiertés à ma femme et moi. De vrais bouts de joie. Je vais vous montrer Drusilla. Suivez-moi c'est par-là. »

Ainsi Uriel chemina-t-il à travers la maisonnée, d'une allure chaleureuse et agréable il fallait le reconnaître, jusque la porte de derrière qui menait au jardin. Encore plus fournit que la devanture, c'était une véritable débauche de couleurs, d'odeurs et de bruits, entre les végétaux qui poussaient ici et là dans un désordre organisé - mais dont la clef échappait néanmoins au jeune homme bien que le tout soit harmonieux - les insectes et les oiseaux à foison, il se surprit à apprécier la découverte de l'endroit, et a en effet devoir saluer un talent qu'il avait crû, au premier abord, exagéré comme le reste. Mais il n'en n'était rien, et c'était un petit îlot de paradis qu'il eut le privilège de découvrir et de sentir. Il se sentit se détendre, inconsciemment, et prendre le temps d'écouter les explications passionnées du jardinier, qui repartait de plus belle dès qu'Uriel posait une question. Finalement, c'était effectivement une surprise, mais pas aussi funeste que ce qu'il aurait cru. Il fut sincèrement impressionné. Mais le jeune homme ne tarda pas à découvrir que, non, Martin l'horticulteur n'exagérait jamais semblait-il. Du moins pas en matière de plantes. Ce qui l'amena, plus tard, à reconsidérer la possibilité effective de sa femme au double de son volume. Mais c'est une autre histoire et, pour le moment, ce qu'il avait sous les yeux défiait de loin ce qu'il avait imaginé.

C'était une serre. Ou du moins ce qui avait eu la prétention d'en être une, et on eut dit que ce n'était plus désormais qu'une cage de verre humide et un peu abîmée dans laquelle avait fleurit une jungle miniature. L'enclos, comme l'avait alors appelé le gros monsieur en salopette, tenait plus d'une dépendance de la maison à en juger par sa taille qu'une espèce de carré délimité par trois clôtures. Non, Drusilla était un monstre, et même la citrouille championne de la catégorie poids lourds faisait office de nain de jardin à côté. A travers les vitres rendues floues par la buée de l'humidité et un verre déjà pas forcément très propre à la base, c'était de véritables tentacules végétales couvertes d'épines qu'il apercevait. Dans un coin, même, il lui sembla voir quelque chose bouger.

_ Et voilà la bête, Drusilla ! »

Uriel n'aurait même pas été étonné que de voir qu'elle réagissait à l'entente de son nom. Mais il était bien trop occupé à essayer de retenir sa mâchoire ouverte pour pouvoir se faire cette réflexion.

_ Bon, on a fermé les portes de la serre et mis des battants de bois devant. Ça paraît impressionnant et dangereux comme ça, mais en réalité c'est juste pour empêcher les enfants de rentrer. Au chien aussi. Et à quelqu'un d'autre par mégarde, on sait jamais. Bon, peut-être aussi un peu pour éviter une catastrophe, en fait, comme on sait pas trop jusqu'où elle va aller, on a préféré. C'est qu'elle s'est déjà révélé violente, vous comprenez. »

Uriel se sentait mal à l'aise, pris au piège. L'ambiance sympathique qui l'avait détendu en traversant le parc de son interlocuteur venait de le quitter définitivement. Et combien de temps, alors, avant qu'il ne lui demande de rentrer dedans juste pour « jeter un oeil » ? Déjà, son regard fuyait vers ce qui lui semblait faire des sorties de secours convenables. Il pourrait s'envoler. Ou bien assommer le gros et... Non, beaucoup trop flasque, le choc serait amorti avant d'atteindre le crâne.

_ Attendez. Par violente, vous voulez dire, comme quand on frappe violemment quelqu'un avec une hachette ? Vous avez eu d'autres victimes à part Félix ? Drusilla a... A déjà mangé quelqu'un ?... »

L'espèce de sourire flasque plein de rondeurs et de bonhommie qui s'affiche presque en permanence sur le visage de l'horticulteur semble s'étonner d'une telle question, comme si un des éléments de la phrase d'Uriel était tout à fait incongru.

_ Oh euh... Une hachette ? Non, elle n'a jamais utilisé d'armes, c'est pas vraiment un truc de plantes ça vous savez... Enfin. Euh, sinon, elle a bien tenté de me manger moi, plusieurs fois, quand j'ai essayé de la tailler pour contenir sa croissance. En fait, justement en parlant de hachette, je crois qu'elle n'a pas trop apprécier la cisaille. Surtout depuis la dernière fois, où on a dû fermer la serre. J'ai même l'impression que ça contribue à sa croissance, vous comprenez ? Oh, et il y a eu ma femme, aussi. Ah ça par mes jardins ! J'ai bien crû que ma Marge d'amour allait rester coincée. Heureusement, c'est un sacré bout de femme, et elle a le caractère qu'il faut pour mater cette racaille verte. Elle l'a rendue toute docile, la Drusilla, vous auriez dû la voir ! »

Uriel observe la structure de verre, d'acier et d'humidité pendant qu'il lui parle. Il n'écoute qu'à moitié, à vrai dire, ayant déjà absorbé une quantité importante de choses étranges et pas normales du tout pour la journée de la part de ce type. Il fixe le bâtiment et tente d'imaginer la taille de la chose à l'intérieur. Lentement, il semble se tourner vers Martin Salopette, d'un air étonné, comme s'il prenait soudainement conscience de sa présence.

_ Votre... Femme... A maté Drusilla ? Elle, euh, enfin sauf son respect et le votre, elle doit avoir un caractère, euh, sacrément coriace pour parvenir à bout de ce truc, vu comme vous le me dépeignez. »

Salopette baisse la voix, regardant par-dessus son épaule comme pour s'assurer que ses paroles ne portent pas en de mauvaises oreilles.

_ Vous n'imaginez même pas, un vrai dragon. Mais, bon, c'est ma femme, et il faut y aller pour la faire rugir. ...Enfin non, pas rugir pardon, euh, enfin vous comprenez quoi. Je sais pas trop comment elle a fait, mais c'est la seule personne que Drusilla tolère. Et même, qu'elle semble affectueuse avec elle. Enfin, surtout ne lui répétez pas, mais, je commence à douter, je remets pas en cause sa main verte, mais je suis en train de me demander de plus en plus si c'est pas elle qui... Enfin... Félix était un peu encombrant parfois et...Bref, vous voyez quoi... »

Encombrant ?? Alors là, c'est l'hôpital qui se fout de la charité. Uriel se contenta de regarder son interlocuteur avec dans les yeux, cette petite lueur dissimulée qui aurait pourtant montré fort explicitement ce qu'il pensait de toute cette affaire. Il s'abstint, néanmoins, de faire le moindre commentaire, même si cela le démangeait furieusement.

Il trancha, catégorique.

_ Certes, mais ceci ne me regarde pas, monsieur. Je n'ai rien entendu et je préfère ne pas en savoir plus. »

Le type le regarde d'un air un peu confus. En lui pointait l'envie pressante pourtant de continuer à exposer la théorie du complot qu'il avait mise sur pied. Il n'avait même pas eut le temps de parler de sa suspicion sur les voisins.

_ Alors, vous pensez pouvoir faire quelque chose ? »

Son regard revenant sur le problème de taille qu'il avait, et c'était bien là le cas de le dire, il se contenta de conserver un air neutre, bien qu'un peu blasé. Hors de question de promettre ce qu'il ne pouvait pas donner.

_ Hm, je ne peux rien vous promettre, au vu de la... Proportion qu'a pris votre souci. Cela dit, je vais voir ce que je peux faire. »

_________________________________

La porte de ferraille et de verre s'ouvrit en un grincement crissant de rouille et d'aigus. Une langue de chaleur l'enveloppa alors tandis que la moiteur humide et brumeuse de la serre se déversait doucement par la porte ouverte. Il inspira, à pleins poumons. L'atmosphère lourde charriait l'odeur familière de l'humus en décomposition, de l'eau qui ruisselait goutte à goutte sur les feuilles des plantes grasses et du parfum délicat et subtil de fragrances inconnues et exotiques. A ses oreilles parvinrent le bruissement lent et silencieux du végétal qui pousse et la caresse de soie des feuilles qui oscillent, imperceptiblement, se frottant les unes contre les autres comme des amantes lascives. Ici et là, les taches d'or du soleil perçaient la voute de verre et de sinople du plafond, tombant en rayons épars sur le sol comme autant de pièces d'or éparpillées. La jungle, voilà ce que c'était, et déjà l'humidité présente dans l'air semblait vouloir faire coller sa chemise à sa peau. La jungle, oui, mais il y avait quelque chose de différent. Tout était envahi par une espèce de ronce brune et verte, aux épines solides et peu engageantes, et avait emporté avec elle tout ce qui n'était pas trop lourd ou fixé au sol. Ici et là, les vestiges d'autres cultures gisaient, pots et pépinières, armoires et outils, dans une végétation à la densité peu commune. Même l'allée qui permettait en temps normal de se déplacer était presque totalement encombrée. Mais, surtout, résonnait en ce lieu le silence, omniprésent, assourdissant, comme le souffle d'un prédateur sur la nuque, avant qu'il ne vous la brise.

Un craquement, le bois bouge et, partout, les tentacules végétales louvoient lentement comme les anneaux d'un serpent infini. Drusilla a senti sa présence, et il sait, d'instinct, qu'elle n'est pas comme les autres. Presque comme s'il pouvait la ressentir en sa chair. C'est étrange, nouveau, et dérangeant à la fois. Il s'avance, prudemment, un pas après l'autre, laissant derrière lui la porte ouverte, dans une ouverture clairement destinée à la fuite. Méfiant, il tâte du bout de sa lame nue les affleurement végétaux, comme pour tester leur réaction. Ce qu'il cherche, c'est surtout à apercevoir ces fameuses têtes larges comme des cochons, mais le foisonnement impressionnant de feuilles l'empêche de bien distinguer très loin.

Et puis, lovée là comme un chat dans son repaire, d'une couleur plus claire mais presque invisible dans ce camaïeu de verts et de bruns, il se fige. Une des têtes monstrueuses et difformes de la plante se trouve là, immobile, dressée vers le ciel comme une tour de beffroi silencieuse et immuable, dorant au soleil et bercée par le doux réconfort de celui-ci. Les longs crocs végétaux qui parsèment sa gueule largement ouverte semblent d'un tout autre calibre que les petites piques mollassonnes et fragiles comme des nouvelles pousses que connaît Uriel sur le modèle réduit. Ou plutôt devrait-il dire, le modèle de taille normale.

Alors il reste immobile, mais rien ne vient, et nulle volonté hostile à son égard ne se fait ressentir. Doucement, il passe la lame de son épée au dessus de la bestiole, pour voir si elle va réagir. Mais ce n'est pas le cas. Il devine cependant que cela serait tout autre s'il touchait un seul des poils sensible qui ornent la tête et la gueule de celle-ci. Sceptique, il se demande ce qu'il peut bien faire contre
ça. Pour le moment, il se contente de ne rien faire, et il reprend son avancée laborieuse, doucement, prudemment, comme si derrière chaque feuille se cachait la mort qui l'attendait, patiente, une rangée de crocs effilés comme des rasoirs en guise de sourire. Au milieu de cette cathédrale d'ombres et de lumière, il distingue néanmoins là un avantage certain. Se faufilant entre les ronces avec des mouvements agiles, il prend bien garde de ne pas se faire piquer par les épines et d'éviter les têtes dissimulées ici et là. Heureusement, leur taille ne joue pas en leur faveur pour qui a le temps d'observer. Ses os craquent et se déforment, il abandonne ses chaussures à mesure que ses jambes deviennent autre chose, mélange entre la patte et le pied, au bout duquel percent les griffes acérées, et que naît le duvet sombre sur sa peau. Il se sentirait presque chez lui, ici, à l'aise en quelque sorte, dans cet environnement couvert ou la chasse est un secret qu'il maîtrise. A l'affût, ses yeux scrutent les zones d'ombres, dans l'air flotte des parfums nouveaux qu'il discerne maintenant avec précision. Ses oreilles se meuvent, sentinelles de l'invisible, attentives aux craquements réguliers et omniprésents. Il y a quelque chose, ici, quelque chose de beaucoup plus gros qui attend. Il le sait, il le sent, comme attiré par le chemin parfumé qui lui montre la voie, l'esprit s'envolant ailleurs comme s'il était soudainement beaucoup plus conscient de la réalité qui l'entourait. Il renifle les effluves, il les aime. Un grondement sourd d'appréciation monte dans sa gorge tandis qu'il continue d'avancer, de ce pas félin, guidé par son instinct et la piste qu'il flaire. Étrangement, il ne rencontre pas tant d'opposition que ça. Il évite les gueules mortelles et les épines menaçantes, il se contorsionne pour passer dessus, dessous, et il se laisse bercer par l'atmosphère presque irréelle qui flotte dans la serre, comme s'il en faisait parti, dans une chaleur bienvenue.

Et alors elle est là, majestueuse, incarnation sanglante et fière, posée comme un trésor oublié au milieu de ses pairs, de gueules sur champ de sinople, comme la gloire du pourpre dans un ciel sanglant. Cyclopéenne dans ses dimensions, sa simple vue semble comme une révélation à Uriel, qui la fixe, sans plus se mouvoir, d'un œil jaune admiratif. Drusilla. Mais ce n'est pas juste une plante, non. Il l'entend respirer, il l'entend vivre, comme une partie du monde auquel il appartient lui aussi. Elle n'est pas belle, non, elle est magnifique. Et il s'enivre du parfum qu'elle dégage, délicate effluve entêtante, comme une odeur interdite. Il s'approche, fasciné, devant l'incarnat qui trône devant lui, renifle, fébrile, et respire à plein nez cette drogue aérienne qu'elle diffuse.

« Dans la jungle sans nom, loin au sud, nous appelons ce genre de créature la Mort Pourpre. »

Grave, rauque, la voix résonne dans son crâne en un écho incroyable, comme s'il s'était trouvé dans une cloche au moment où celle-ci sonnait. Il inspire, brusquement, car il avait cessé de respirer.

« Elles enivrent les sens, et troublent l'esprit. Le parfum qu'elles dégagent est un poison, c'est l'odeur de la mort. Elles le répandent alentours et attendent qu'une proie malheureuse passe en leur portée pour la dévorer. »

Il a chaud. Mais pas d'une chaleur de soleil, non, il brûle, et il lui est presque impossible de détacher ses yeux des pétales de rouge et d'émeraude. Il exécute un autre pas.

« Heureusement pour toi et le gras d'homme, ce n'est là qu'une réplique miniature. Un enfant. »

Il l'entend, mais ne l'écoute pas vraiment, tandis qu'il est devant la gueule dressée vers la lumière, gueule qui s'ouvre avec la lenteur et la subtilité sensuelle d'un souffle chaud dans le cou. Elle dévoile ses pétales, et la rangée d'épines féroces dressées comme des crocs à l'intérieur, dessinés pour déchirer les chairs tendres. La Reine se redresse, les tentacules se déploient, déjà, la végétation autour de lui semble se faire plus oppressante, et les lianes paraissent vouloir le faire sien.

« Uriel ? »

Il cille. C'est si rare, qu'elle prononce son nom. Il ne se souvient même pas de la dernière fois. Il regarde autour de lui l'espace d'un instant comme s'il ne comprenait pas, et il prend alors conscience de cette gueule ouverte, dardée comme un serpent là devant lui. Son cœur fait un bon dans sa poitrine, tandis qu'elle se jette sur lui, et que dans un dernier soupir il disparaît.

_________________________________

Il a froid, et la chaleur relative des nuits d'été dans le sud de Fiore ne résout en rien ce problème. Il le sent, jusque dans ses os, cet engourdissement qui le pousse doucement vers la torpeur s'il ne prend pas garde. Il ahane sous l'effort tandis qu'il s'efforce de faire le moins de bruit possible en traînant ce sac qui lui semble pourtant peser des tonnes. Le front parsemé de gouttelettes de sueur, il surveille, derrière lui, la masse imposante qui se détache dans la très faible clarté des étoiles, par cette nuit sans lune. Elle est là, dans toute sa monstrueuse splendeur, Reine d'épines et d'humus, être fait de feuilles, de racines et de crocs. Uriel darde sa langue violette et goûte, léger dans le vent que porte la nuit, des bribes de son parfum. Mais il ne se fera pas avoir, cette fois-ci, et il a la parade ultime a son envoûtement : la perte de l'odorat. Si ses yeux aveugles ne distinguent presque pas la chaleur qui émane de Drusilla, il perçoit, pourtant, très clairement les perturbations qu'elle crée dans le sol et dans l'air, et au vu de sa masse et de sa taille, c'est amplement suffisant pour la localiser. Il chuchote à voix basse, plus pour lui que pour elle, dans la mesure où elle ne peut pas réellement l'entendre. Ni lui répondre, d'ailleurs.

_ Aller, par-ici ma jolie, dépêche-toi un peu avant que quelqu'un ne nous voit. J'essaie déjà de te sauver la peau, ça me ferait mal au cul qu'en plus ça soit moi qu'on accuse de ton existence... »

Comme si elle l'avait compris, elle s'avance vers lui par ces mouvements de reptations étranges qu'adoptent ses tentacules, racines et ronces. Elle se déplace, la Reine au sommet, dans son cocon d'épine, tendue vers lui, gueule grande ouverte, presque comme sur un palanquin de chair verte et brune. Uriel s'est arrêté, et il attend qu'elle s'approche encore un peu, qu'elle fouisse le sol là où il vient de déposer du terreau magique de son gros en salopette et qu'elle l'assimile comme nourriture. Il regarde alentours, sentinelle aveugle dans la nuit, mais il ne perçoit que la chaleur lointaine d'une fenêtre ou deux encore éclairées un peu plus loin, dans une petite ferme au bord de la route. Mais sinon, personne, ni sur le chemin, ni dans les ombres. Parfois, son cœur s'emballe, et il perçoit un point ou deux émaner thermiquement, mais ce sont des prédateurs nocturnes, et aucun humain en vue pour le moment. Mais il ne lui faut pas perdre de temps, car tout ceci fait du bruit et laisse des traces. Tant qu'ils n'auront pas atteint la forêt, il sera facile de les pister, du petit village qu'il perçoit plus loin en contre bas jusque là où ils sont. Et alors, il n'ose imaginer la catastrophe.

_ Drusillaaa, viens ma mignonne, viens manger le bon terreau de papa salopette hein. »

Mais, cette fois-ci, aucune réaction notable. Elle est toujours là, elle bruisse toujours, mais elle ne se déplace plus. Il voit bien qu'elle n'aime pas trop ça, et qu'elle serait bien finalement resté dans sa serre, au chaud, mais ça, ce n'était pas possible.

_ ... Tu vas pas t'arrêter maintenant ? »

Sa pupille se dilate, malgré la cataracte, mais il ne s'affole pas et garde son sang froid. L'influence de la Blanche Dague n'est pas sans l'aider grandement pour ça. Il ouvre le sac, posé sur le sol, en pioche une bonne poignée de terreau merveilleux et la lance devant les gueules ouvertes du monstroplante. Mais toujours aucune réaction. Drusilla semble vouloir prendre racine ici, et ça, c'est pas bon du tout du tout. Alors il lâche le sac, son bras lui fait mal. Bandé dans un linge blanc, c'est la femme de monsieur salopette qui lui a fait le bandage, sur les blessures qu'il a subi quand il a tenté de fuir de la serre un peu partout sur le corps. Et même avec sa magie de déplacement, il s'est récolté de bonnes cicatrices qui, sans être trop profondes, devaient être traitées. En tout cas, il en avait perdu ses chaussures. Il sort un flacon accroché à sa ceinture, en retire le bouchon avec précaution. Si la fiole se brise, c'en est fini de son plan. Il dirige alors le bec vers Drusilla et appuie sur la petite boule pompeuse, libérant trois ou quatre jets de parfum avec un pschit sonore. Il sourit d'un air démoniaque. Lui aussi, il peut jouer avec elle.

Il se dépêche de ranger l'objet comme il faut, récupère la poignée du sac et attend, sur ses gardes, prêt à réagir le temps que les effluves parviennent jusque Drusilla. Alors elle frémit, il le sent dans le sol, cette vibration qui gronde de plus en plus comme un tonnerre en approche. Et puis la charge, frénétique, gueule grande ouverte en avant en poussant cette espèce de râle silencieux bizarre et dérangeant qu'il lui avait découvert quelques heures auparavant. Alors il court, comme un demeuré, charriant derrière lui le sac de terreau magique, aussi vite qu'il peut, en prenant garde à conserver une distance adéquate entre lui et la monstroplante. Ce n'était pas tant qu'il ne l'aimait pas, mais il avait fini par comprendre ce qu'entendait Martin l'horticulteur par « affective ». Uriel avait percé le secret de sa femme concernant Drusilla, grâce aux informations données par Huanchi. Drusilla était aveugle, comme lui en ce moment, mais elle communiquait par odeurs et phéromones. Aussi bien dans un sens, que dans l'autre. Et quel merveilleux hasard que de découvrir que le parfum aux Lys de cette chère madame salopette, était en réalité la raison pour laquelle Drusilla non seulement ne l'attaquait pas, mais en plus s'entichait d'elle. C'était ce qu'il venait de pulvériser dans les airs et sur lui, à l'instant, du Lys n°5, qu'on pouvait facilement trouver à Yafutorynne. Et c'était également la raison pour laquelle il était en train de courir, embarquant son sac de terreau destiné à l'amadouer, pour échapper aux avances amoureuses d'une plante géante hormonée, carnivore et empoisonnée.

Parce que, non, il n'avait aucune envie de la féconder.

Elle le poursuivit avec fureur sur une centaine de mètres environ, désireuse de le prendre en son sein pour lui faire des câlins et des bébés, et plus que toute autre raison, c'était pour celle-ci qu'Uriel courait vite. Il finit au bout d'un moment, à force de terreau magique - qui il en était certain l'avait déjà fait croître plus encore depuis le début de l'opération graines de tournesol - et, quand vraiment c'était nécessaire, à force de Lys n°5, par atteindre la forêt à l'endroit approximatif qu'il avait prévu l'après-midi. Il n'avait plus qu'à l'emmener dans la clairière qu'il avait repérée, et il aurait accompli sa mission. Il la ferait traverser une étendue un peu plus rocailleuse, pour brouiller les pistes, et charge ensuite à son commanditaire de camoufler les traces, aussi bien pour justifier la destruction de  sa serre que de sa clôture arrière que des traces de labourage sur le petit chemin qui mène jusque la colline en bordure du village. Évidemment, Martin l'horticulteur avait grandement approuvé l'idée d'Uriel, car si elle réussissait, il pourrait revenir voir Drusilla en cachette, armé de son flacon de n°5. Il ne voulait pas que sa femme soit au courant, alors il l'avait renvoyé chez sa mère avec les enfants et le chien, prétextant, l'expertise d'Uriel a l'appui, que c'était pour une raison de sécurité. Le mage n'avait cependant rien a cirer de la crédibilité de la chose, ce n'était pas son problème et charge à son gros en salopette de se démerder. Lui, tout ce qu'il voulait, c'était que Drusilla soit libre, et pas massacrée à cause de l'incompétence d'un imbécile.

Parvenu finalement à la clairière qu'il avait choisi, son sac de terreau quasiment vide, il avait marché une bonne partie de la nuit. Et il ne lui restait presque plus de parfum non plus. Drusilla commençait à peiner à avancer, et devenait plus furieuse depuis un moment, il avait failli écoper à plusieurs reprise de blessures sérieuses, s'en tirant avec juste des coupures sanglantes supplémentaires qu'il avait pansé vaguement avec les bandages de madame salopette. Elle allait encore lui faire la morale sur sa vie et le danger et bla bla bla. Bordel. Devant une Drusilla frémissante, il finit par déverser le reste du flacon sur un buisson qui allait se faire violer dans quelques secondes, avant de s'éloigner prudemment. La réaction ne se fit pas attendre, et la monstroplante s'empara de son nouvel amant avec le gabarit d'un ours qui tente de ne pas briser un œuf en marchant dessus. Il resta là un moment, pour observer. C'était la première fois qu'il faisait un semi de plante carnivores mutée à la magie, ça valait bien le coup d'admirer son œuvre, non ? Drusilla fouit le sol pour s'enfouir et s'enraciner bien profondément avec tout le confort dont elle avait besoin. En effet, elle avait grossi.

Il allait partir, quand, agissant étrangement, la tête royale d'un noir aux reflets pourpres dans la nuit s'éleva vers le ciel comme le donjon d'une forteresse de ronces et de mâchoires. Pris d'un doute, l'espace d'un instant il eut l'incongruité de se demander si elle n'allait pas s'envoler. Mais il chassa ces conneries de cieux de la nourriture et du soleil, et assista à ce qui allait en fait devenir son plus bel acte écoterroriste depuis longtemps, même s'il avait été, finalement, involontaire. La fleur rouge s'ouvrit au sommet de la tour végétale, bien haut dans les airs, et commença une longue série d'expulsion de petite graines rouges luminescentes, chacune dotée d'une petite touffe cotonneuse, pour se laisser porter par les vents. C'était irréel, et c'était beau. Bientôt, ce fut comme un amas de petites lucioles qui flottaient au dessus de la forêt, voie lactée miniature à la merci du vent, qui faisaient leur petit bout de chemin pour... Pour infecter toute la région ? Hm, peut-être. Pourquoi pas, ça pourrait être cool, après tout. Il ramassa une des graines posée non loin, pour l'examiner. Elle était assez grosse, mais légère comme une plume, et il sentait la vie qu'elle recelait à l'intérieur.

_ Adieu, Drusilla... »

Il la mit dans sa poche. Il n'avait plus qu'à rentrer maintenant, un sourire heureux sur le visage.


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