Je rentrais à Era les épaules un peu moins lourdes, mais toujours aussi tendues. Le regard bas, le noir me couvrant tout bonne humeur quotidienne; je n'étais pas encore passée par-dessus ce qui s'était passé. J'étais encore considérée comme une recrue parmi le Conseil. Mon manque d'expérience dans le domaine de la justice, mes peurs, mes craintes et mes chagrins me ramenaient toujours sur terre, me frappant comme un mur de brique psychologique. Ils le remarquaient que j'étais faible d'esprit, physiquement et magiquement. J'avais besoin d'entraînement sur tous ces points, mais malheureusement, mon partenaire n'était pas là. Jerenn restait à Phantom Lord. Je fus celle qui avait quitté la Guilde pour retrouver un mage dont je suis tombée amoureuse contre mon gré. Je le regrettais à chaque seconde. Je regrettais les morts et les pleurs. Emil m'avait enlevé une charge de mes épaules, mais le pire restait gravé dans ma mémoire. Les souvenirs me tuaient à petits feux.
Les deux pieds à Era, je ne pus empêcher cette larme de glisser sur ma joue. Cette femme que j'avais vu à mon arrivée au Conseil était toujours au même endroit à passer son balai. Elle s'arrêta, prit une pause et m'observa. Mon regard croisa le sien, mais encore, j'évitais. J'allais me précipiter, mais son balai me bloquait la route. Je me tournais vers elle et elle secoua la tête. Je fronçais les sourcils et elle me demanda de la suivre. Dans sa maison, elle m'offrit une tasse de thé et quelques biscuits faits maison. Je ne pris rien, je n'arrivais même pas à m'asseoir sur le siège confortablement. Elle vint s'asseoir à côté de moi et ma face cachée fut révélée:
-Jeune fille, mettre fin à vos jours n'est pas une solution à vos problèmes, mais seulement une tentative de fuir ceux-ci... Il faut cesser de courir, de passer à côté de ce qui nous barre la route puisque tout cela s'accumule inconsciemment...
-Mais je...
-Non, laissez-moi finir. Je vous ai déjà vue une fois mettre les pieds ici. Vous sembliez si fière, si forte et maintenant, à peine quelques semaines plus tard, je vous ramasse à coups de balai. La vie au Conseil n'est guère chose facile mon enfant mais pour être capable d'en venir à bout, il faut d'abord que notre vie personnelle soit en ordre... Allez, racontez-moi votre histoire.
J'étais fragile, sensible, pitoyable. Je pleurais comme si on m'avait arraché les deux bras. Elle me tendit des mouchoirs et quand la tempête fut passée, je lui dis tout. Tout, complètement tout. Mon père, ma mère, Jerenn, Valentin, Laxus, Cobra, Emil, Agon, Violette, Mikio et encore Cobra... Tout... à la fin de mon histoire, la nuit était déjà tombée et mes épaules étaient retombées. Elle hocha la tête et partit à la cuisine en me demandant si je voulais encore du thé. Je n'y avais même pas touché... Elle en ramena tout de même avec une tasse supplémentaire. Elle vint se rasseoir, tasse dans une main, biscuit dans l'autre et expliqua:
-Tu as de très belles valeurs Sybilia et il ne faut pas laisser ton passé t'écraser comme un insecte. Ton père t'a élevée, t'a protégée, mais maintenant qu'il est mort, tu ne lui dois plus rien. Tu sais que tu ne le reverras pas, il ne reviendra pas, cesse de t'enchaîner comme une bête! Vis ta vie, sacrifie-toi pour les gens que tu considères comme ta deuxième famille. Ce sont eux qui te donnent de l'énergie, de la passion et de l'amour. Ne les perds pas, profite de leur présence, aime-les comme tu dois le faire, protège-les des dangers et des choses qui te dérangent. Tu vois mon balai là-bas? Cesse de faire comme si tu en avais un dans le derrière et sois toi-même. Ne tente plus de plaire à qui que ce soit... sauf à toi.
-Mémé je...
-Tu peux m'appeler Cécile tout de même!
-Cécile... merci... infiniment.
-Pas de problème ma petite. Écoute les conseils de tes amis et souviens-toi de ce que ton ami Jerenn t'a dit: «N'oublie pas de garder ton honneur intact.» L'honneur c'est très important, presqu'autant que ton bonheur personnel ma petite Sybilia!
-Mais je ne sais même plus sur quel chemin se situe mon honneur...
-Oh ça ma petite, il n'y a que toi qui le saura! Et cela, tu le trouveras près de tes amis... dans ton coeur. Le seul conseil que je peux te donner, c'est de ne pas mélanger l'orgueil avec honneur! Enfin, tu dois bien le savoir ce que c'est...
-Peut-être...
-D'ailleurs, depuis combien de temps tu n'as pas pris soin de toi, hein?
-Pris soin de moi?
-Allez viens avec moi je vais t'arranger ça.
Cécile m'amena avec elle dans la cuisine. Elle posa un miroir juste en face de moi, me mit une sorte de bavette pour éviter de me salir et sortit les ciseaux. C'était vrai... cela faisait longtemps que je n'avais pas fait ce genre de traitement à mon corps. Depuis mon départ de ma ville natale, je n'avais rien fait de tel. La dame mit ses doigts dans les trous des ciseaux et d'une main tremblante, elle coupait mes cheveux. Je fermais les yeux, apeurée du résultat que cela pouvait donner.
-Allons, allons! Il faut pas avoir peur! C'est au même principe que ta magie Sybi. Tu ne peux pas la craindre éternellement! Il faut aussi que tu cesse d'être gênée, que tu t'extériorises, que tu... deviennes une femme quoi! Tu as 19 ans et un jour ou l'autre, il faut que tu vives librement! Tiens, j'ai terminé. Comment trouves-tu cela?
-C'est... spécial...? Je vais m'y habituer... je pense.
-Ah bon? Pourtant, c'était la dernière mode à mon époque...
-Passe-moi les ciseaux! ... Tu en penses quoi maintenant?
-Ça fait... euh... jeune? Jeune de ton âge. Ça peut passer... je crois?
J'enlaçais Cécile de toutes mes forces et avec sincérité. Elle m'avait beaucoup aidée. Elle m'avait permis de voir le côté blanc et gris des choses. Elle m'avait appris que seule moi était maître de ma destinée, mais que je devais respecter mes valeurs. Je ne devais pas craindre qui j'étais ou qui j'allais devenir. Je voulais être libre, je voulais que les autres aussi le soient et peut-être que le Conseil n'était pas la meilleure des idées. Comment changer cela? Rester avec eux, faire mes preuves, leur prouver que sur de nombreux points ils ont tort et qu'ils doivent changer. S'ils ne sont pas d'accord, je trouverai le moyen de leur sonner les cloches, mais pour le moment, je devais obéir aux ordres, faire ce qu'on me dictait mais en appliquant mes propres pratiques. Je bus mon thé d'un trait et mangeais les biscuits avec appétit. Cécile me demandait d'attendre. Elle partit dans une autre pièce et me ramena des vêtements qui devaient me faire. C'était vrai. Si je voulais changer ces vieilles habitudes démodées et coincées, je devais passer à autre chose et ce, à 100%. Je me changeais devant elle, sans gêne et quittais la maison avec un sourire aux lèvres. Le collier de Valentin au cou, je le serrais avec amour au creux de ma main. C'était son anniversaire dans deux jours. Je voulais lui rendre visite et je n'allais manquer ça pour rien au monde...
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