Nuances de gris. Les ténèbres ont différentes teintes que l’on ne distingue que lorsque nous sommes au plus profond de celles-ci. On apprend alors à suivre les courbes de l’obscurité. On se rend compte que même au fin fond des abysses, de légers reflets de clarté habillent les trainées de noirceur qui décorent notre espace vital. On dit que l’obscurité correspond à une absence de lumière mais pourquoi ne serait-ce pas l’inverse ? Quand on les regarde attentivement, ces ténèbres semblent se mouvoir selon leur propre volonté et modeler la trajectoire de la lumière selon leurs préférences, pour l’écarter du jeu le plus possible. Parce qu’un Game Over est tombé et il n’y a plus de cœurs en stock.

Ses paupières s’ouvrent et toutes sortes de lumière l’aveuglent. Le son met un certain temps à reprendre ses droits. Musique, gloussements, et autres bruits agressifs comme le son de verres qui s’entrechoquent viennent s’ajouter aux images foisonnantes d’aguicheuses en petite tenue, d’ivrognes en sueur et de joyeux lurons en pleine accolade festive. Plus près, le son de vêtements qui se froissent mène son regard aux premières loges, là où le balcon est le plus proéminent. Sympathiques ornements qui se balancent si près qu’on pourrait les toucher avec nos yeux. Mais lui n’y prête aucune attention. Plus aucune fille ne l’intéresse. Elle est transparente, malgré ses atouts indéniables. Lui se fond dans ce canapé trop moelleux pour un torse aussi rugueux. Les bras écartés, il se laisser aller à la chaleur qui danse sur son corps fatigué…

Il a oublié l’intérêt de son existence. Et songer à faire partie de l’oubli n’est pas une option envisageable, malheureusement pour lui. Alors il laisse le temps filer, tandis que la danse s’enivre. L’indifférence est le charbon qui met le feu aux braises de désir qui étincellent dans le regard de cette inconnue qui restera sur sa faim même après les douze coups de l’horloge. Il se surprend à admirer cette fille si dévouée à sa cause pendant quelques millièmes de seconde, oubliant rapidement la raison de cet éveil intellectuel éphémère. Alors il laisse son regard vide errer çà et là dans cette aire de débauche, où l’interdit n’existe pas et où les apparences trompent l’œil pour mieux appâter ce qui ne peut voir qu’au contact. Il sent que son esprit est léger, que son haleine est corsée, mais son corps est prisonnier, il n’arrive pas à se libérer. De cette cage dorée. De cet espoir perdu qu’il ne peut effacer. Les ténèbres ont cette mauvaise manie de ressasser les souvenirs qui devraient être scellés. Alors il ne reste plus qu’une chose à faire. Sombrer.