De retour à Rinaul, avec cette fois-ci des intentions bien moins pures, l’amiral lorgnait avec dégoût l’ambiance festive qui régnait en ville. Pourquoi s’extasient-ils devant ça? Ce cracheur de feu tourbillonnant entre ses bâtons embrasés, dont les pirouettes endiablées évoquaient la suprématie de l’élément destructeur, quel mérite avait-il? Un numéro truqué par un mage artificier, il suffisait au Léviathan d’un bras pour lever le voile sur la supercherie mais il n’en fit rien. Il était encore chassé par l’image de sa rencontre avec dames Nywell et Misto, deux jeunettes qui avaient tenté de lui apprendre la vie. Il se demandait ce qui avait bien pu lui prendre d’accepter un défi aussi ridicule avec sa patronne, tout comme il se demandait pourquoi, diable pourquoi avait-t-il fallu qu’il rejoignît une guilde de mage ? Afin de combler le tout, le pirate était fauché, et pas à moitié étant donné qu’il refusait l’hébergement de sa guilde, il avait donc choisi un boulot un peu plus sale que d’ordinaire mais qui, au moins, payerait bien.

Le colosse s’avançait sans trop savoir où il allait, surplombant la foule du haut de ses deux mètres, mais avec un objectif bien précis, le coffre du festival. Il marchait d’un pas lent et détendu, observant tout ce qui se déroulait dans cette cité artistique. L’odeur des stands de douceurs flairée par Anubis rendait le petit animal encore plus sautillant que d’ordinaire, ce qui poussa le soldat à s’arrêter à l’un d’entre eux afin de s’offrir un encas. Après tout, se disait-il, après ça j’aurais de quoi tenir pendant un petit moment. Malgré le monde qui se bousculait dans les rues de la ville, l’homme n’eut pas trop de mal à s’imposer avec sa carrure monstrueuse. En revanche, une fois la spécialité locale pointée sous son nez, il fut pris de nausées devant tant de sucre dégoulinant et se contenta d’acheter un sac de petites billes sucrées pour son fennec plus gourmand que lui. La demoiselle du stand, quoiqu’un peu intimidée par les cicatrices du combattant, sembla plus en confiance lorsqu’elle vit le petit mammifère détaler le long du bras de celui-ci pour rejoindre sagement son épaule.

Vendeuse, délicatement : Et voilà pour vous. Bon appétit au petit fouineur.
Wilfried : Merci beaucoup. Dis-moi, tu ne saurais pas où je peux trouver les organisateurs du festival? Le maire par exemple?
Vendeuse : Oulà, aucune idée monsieur.
Wilfried : Pas grave. Merci.
Vendeuse : Mais vous devriez faire un tour par la grande place, au bout de l’avenue, le festival bat son plein là-bas. Il parait même qu’il y a un spectacle d’illusionnisme.

Le Léviathan hocha la tête et se mit en route. Il n’avait pas tellement de meilleure piste, autant espérer qu’il en apprendrait plus par là-bas. Ses pas frappèrent à nouveau les pavés, son œil se perdit à nouveau sur les scénettes de vieux bois disposées ici et là. Les passants s’arrêtaient ici et là pour contempler des tableaux tous aussi inintéressants les uns que les autres. Pour une première impression sur le pays de Fiore, rien de bien positif dans la manière de penser de l’expatrié de Bellum. Tous naïfs, tous admiratifs, tous insouciants. Cette manière de considérer la magie ne lui plaisait guère, pas plus que ce climat de paix incessant. A croire qu’ils ne connaissaient pas l’insécurité. Cela n’avait rien de critiquable, il aurait pu se réjouir pour eux, mais c’était un climat dans lequel il n’avait pas eu la chance de grandir, peut-être bien en ressentait-il une pernicieuse rancune.

Arrivé au bout de l’avenue, le démon des mers grommela. Tout ce qu’il y avait là, c’était une vulgaire scène plus grande que toute les autres et encore plus de monde affalés devant comme s’il s’agissait de l’attraction du siècle, quitte à être comprimés comme des sardines en conserve. Le pirate cracha négligemment et resta en retrait de la foule pour réfléchir à la suite de l’opération. Il n’eut pas à chercher bien longtemps, la solution se présenta à lui de manière si évidente que le destin y était forcément pour quelque chose.

Garde : Regarde, c’est le Léviathan!
Garde : Oh mais c’est pas vrai! Vous êtes revenus pour le festival finalement?

Wilfried se tourna en direction des deux gardes qui s’approchaient de lui en trottinant. Effectivement, il était connu de la garde locale étant donné qu’il était celui les ayant entrainés récemment. Un sourire hypocrite se dessina sur son visage, ne jamais faire confiance à un démon.

Wilfried : Ouais. C’est plutôt original comme petite fête. Vous travaillez dur j’espère.
Garde : Oui, bien mieux depuis votre passage.
Garde, soupirant : Mais c’est injuste, je pensais qu’on serait de repos pour admirer le spectacle, mais en fait on est de garde sur le bâtiment de réserve.
Wilfried : Vraiment? C’est pas de chance. Je vous raconterai à quel point c’était sublime.
Garde, contrarié : Ca, c’est vraiment pas généreux de votre part.
Wilfried, après un faux rire : Aller, je vous accompagne.

Ils se mirent en route, les gardes enjoués d’avoir des nouvelles de celui qu’ils considéraient comme leur supérieur. Scrupules, vermine de la volonté. Heureusement pour son bien-être, l’albinos ne connaissait pas le remord, il fit semblant de prendre des nouvelles de l’équipe, de la capitaine et de leurs familles pour les occuper tandis qu’ils le menaient jusqu’au butin. Une véritable distraction pour le Léviathan dont le sentiment de réussite croissait à chaque pas le rapprochant de sa paye. La suite fut d’une simplicité enfantine. Alors que les deux gardes discutaient avec les deux précédent pour les informer que la relève était arrivée, le représentant d’Eagle’s Claw envoya son petit animal futé s’introduire dans le bâtiment par un mouvement de tête. Anubis, s’il était peu costaud, avait toujours été un allié fidèle et rusé. Il sut attendre quelques temps que les autres gardes quittent les lieux, suivi ensuite de Wilfried qui lança le signal par cette simple phrase lourde de mensonges.

Wilfried : Bon courage les mousses. Que la mer vous épargne ses tempêtes.

Puis il contourna le bâtiment et attendit jusqu’à entendre un bruyant brouhaha à l’intérieur. Il se faufila ensuite jusqu’à l’entrée, où les gardes n’étaient plus. Comme c’était prévisible, ils étaient partis voir ce qui se passait. Le corsaire entra discrètement, sourit monstrueusement à la vision des deux ahuris devant la pile de matériel effondrée. Il se dépêcha de les assommer à l’aide du manche de son drôle de trident afin qu’ils ne le vissent pas. Il n’était pas nécessaire de se mettre des autorités à dos si rapidement. La bâtisse plutôt petite permit au voleur de mettre rapidement la main sur le coffre et de s’enfuir avec son butin. La tâche fut plutôt aisée vu l’engouement que provoquait le festival et la localisation excentrée du bâtiment, il suffisait de quitter la ville par la sortie la plus proche pour n’éveiller aucun soupçon. C’est ce que fit Wilfried, un sourire satisfait aux lèvres, en félicitant son petit compagnon d’un bonbon acheté plus tôt.