« Brisée. C’est tout ce que cette jeune personne représente. Tout ce qu’elle essaye de cacher qui est pourtant si visible. Détruite. On ne saura pas par quoi, car elle ne le dira pas. C’est bien trop douloureux pour elle. Perdue. Elle vit au jour le jour parce que l’avenir lui fait peur. Tout lui semble compliquée, et pourtant si simple. Triste. La vie n’est qu’une vulgaire chose répétée sans cesse. Un ostinato. La mélodie de sa vie ne se résume qu’à une chose, exister. Elle ne vit pas. Elle ne vit plus, surtout. Parce qu’il y eut un temps de bonheur. Mais il n’a pas duré. Mais comme on dit, rien n’est jamais terminé car rien n’est jamais commencé. » C’est juste ce qu’il est écrit sur cette feuille blanche. Rien d’autre. Juste une écriture que je connais que trop bien. Celle d’une seule personne capable d’écrire ce genre de choses. Cette personne. Moi. Cette petite blonde toute frêle.
« Ils ont dit que j’étais inutile. Ils ont dit que j’avais péri. Ils ont dit que je n’étais qu’une erreur. Eux. Ceux qui ont donné la vie à une petite fille fragile. Cette poupée de porcelaine prête à se briser au moindre faux mouvement. Et ce faux pas, là, tu l’as fait. Toi, le seul coupable. Tu m’as brisée le jour où tu es parti. Plus aucunes nouvelles, seulement le poids de ta haine sur mes épaules. Cette aversion pour moi. D’un jour à l’autre. A cause de quelque chose que je n’ai pas fait C’est injuste. Je ne vis pas. Je survis. Je pensais être passée au-dessus de tout ça, au-dessus de toi. Ce n’est pas le cas. Tu me manques. Mais les gens ne savent pas. Alors je dis que j’ai une poussière dans l’œil. Tu m’as anéantie. Va crever, au pire. » La feuille se remplit. Blanche devenue noire. L’encre qui coule de plus, la rendant encore moins translucide. Depuis combien de temps est-ce que les larmes coulent ? Le temps défile et défile à en perdre sa notion. Est-ce possible que tout cela soit comme ça ? J’aimerais me réveiller et revoir tes beaux yeux. Ton sourire unique et ton rire contagieux. Stupide fille. Naïve et tout ce que tu veux. Jamais tu ne le reverras.
« On dit toujours que les retrouvailles sont toujours magnifique, mais est-ce que ce sera comme ça avec toi… ? Toi qui me voues ce sentiment de haine. Ce serait plutôt soldé sur un échec. Je suis un échec, de toute façon. Maman et Papa le répétaient sans cesse… Je ne suis utile à personne. C’est comme ça. La fille triste blonde et naïve est inutile. Cette petite personne fragile ne sert à rien. Strictement rien. Si ce n’est que réduire à néant de pauvres âmes. »Mais qu’est-ce que tu deviens ma fille… ? Qu’est-ce qui a fait de toi un monstre ? Tu étais heureuse, tu as Nox. Mais qu’est-ce qu’il t’arrive bon sang ?!
-Amy… J’ai trouvé ça pour toi…Je me redresse, les yeux gonflés et rouges. Le crayon noir autour de mes yeux s’étant retrouvé sur mes joues, y creusant des sillons. Tu es un monstre.
Le petit chat noir qui n’est autre que ton meilleur ami de toujours quand tu regardes, est effrayé. Ebahi par ce qu’il voit. Et ne réagit pas, tétanisé. Et les perles d’eau reprennent leur danse effrénée sur mes joues, mourant à la commissure de mes lèvres.
Je sens la petite patte noire de Nox se poser sur mon avant-bras. Et tu t’étais promise de ne plus pleurer… Pour ne pas que ton chat se fasse encore plus de soucis. Mais il a ce sixième sens qui fait que tu ne peux plus mentir face à lui. Je redresse la tête et lui fais un sourire. Du moins essaye d’esquisser quelque chose de ressemblant. Ca devait être une grimace vu sa tête. Il me tend l’enveloppe, mon nom écrit dessus à la plume. Une écriture inconnue… J’ouvre l’enveloppe difficilement, ayant les doigts qui tremblent.
Chère Amy,
Je sais que tu ne me connais pas mais tu ne tarderas pas à le découvrir.
Je suis quelqu’un proche d’Ethan. Et je sais tout ce qu’il s’est passé entre vous deux, depuis votre enfance, votre rencontre. Je pense qu’il est temps que tu en saches un peu plus sur tout ça. Qu’est-ce que tu en penses ? Mais je te vois déjà venir et ce sera non. Je ne te révélerai pas tout comme ça ce serait trop facile. Ne demande pas comment j’ai su où tu étais, ça n’en vaut pas la peine. Je peux te donner un indice pour me retrouver, par contre. Ouest.
Bonne continuation à toi, à la revoyure.
Je relis plusieurs fois le mot, n’étant pas sûre de comprendre. Mais mon cœur lui a tout de suite compris quand il a loupé un battement à la lecture du prénom d’Ethan. Après tout ce temps, pourquoi… ?
Furieuse. Colère. C’est tout ce que je ressens sur le moment. Qui est cette personne ? Un proche d’Ethan qui connait presque toute ma vie. La plus grande partie du moins. La plus importante.
Je me redresse et froisse la lettre pour la mettre dans une poche de ma robe noire. Un passage dans la salle de bains pour nettoyer les traces de maquillage sur mes joues. Un coup de crayon et un ruban noir pour attacher mes cheveux pâles. Tu as changé, ma fille. Les mains dans les poches de ma robe, l’une serrant la lettre, je sors de ma chambre comme si de rien n’était. Un tour en ville s’impose pour me changer les idées. Seule. Nox est resté à la guilde, sentant ce sentiment de solitude.
Emmitouflée dans un manteau je traverse sans prendre attentions aux gens, les rues de Shirotsume. Bordel mais il fait froid ! T’es vraiment détraquée dans ta tête, espèce de blonde. Je traverse les rues qui me tombent sous la main, peu importe leur aspect. Tellement concentrée que je ne vois pas de suite l’homme qui me fait face. Je ne me rends compte qu’au moment où celui-ci envoie vers moi une sphère de plasma étrange. Par réflexe, je dresse devant moi mon bouclier de foudre ce qui stoppe sa course, heureusement. Mais qu’est-ce qu’il me veut cet idiot ?
-Je n’ai pas le temps de jouer. Dis-je en tendant ma main devant moi.
Le mouvement de trop. Une sorte de petit éclair rouge sang s’échappe de ma main puis se dirige silencieusement et à toute vitesse droit dans le cœur de l’homme qui s’écroule.
Mort. Je… J’ai tué quelqu’un… ?
Peur. Les yeux grands ouverts, choquée par ce que je viens de faire, je m’enfuis en courant en direction d’un endroit à la sortie de la ville. A l’opposé du crime.
Monstre. Voilà tout ce que je suis.
Arrivée dans un endroit désert, je m’écroule contre le tronc d’un grand arbre. En larmes. Encore.
Idiote. Mais qu’est-ce que tu as fait… ?
Meurtrière. Je ne voulais pas le tuer, simplement qu’il me laisse tranquille… Et c’était quoi ce jet d’éclair flippant là ? J’ai tué un homme… J’ai tué un être vivant ! Jamais je n’avais commis ce genre de choses… Mais bordel, reprends-toi !
Dégénérée. Folle. Timbrée. T’es bonne à être enfermée Amy, tu viens de commettre un meurtre…
Je me redresse et contemple ma main en silence. Ma paume est légèrement brûlée. L’éclair qui a du faire ça. Mais… Comment est-ce que j’ai bien pu faire ça ? Je tends ma main face au vide. Rien. Je ferme mes yeux, ils me brûlent. Trop de larmes ont coulé. J’essaye de me concentrer. Je tremble, mais m’y efforce. Toujours rien.
Colérique. Mais allez ! Comment est-ce que j’ai fait ?! Un éclair s’échappe de nouveau de ma main pour s’enfoncer dans le tronc d’un arbre en silence. Wow. Je retourne ma main pour l'examiner. Ma paume est un peu plus noire que la première fois et ça me pique légèrement. Je me relève et fixe un point devant moi, sourcils froncés. Je tends mes mains en face de ce point. Je ferme les yeux et me concentre. Ma magie brûle mes mains, rouges, contrastant avec ma peau translucide.
Sans vie. J’ai perdu toute trace de réelle vitalité.
Fantomatique. J’ouvre les yeux et matérialise un éclair dans chacune de mes mains. Puis fixe droit l’arbre, ils foncent alors dessus en silence telles des fléchettes empoisonnées. Et se plantent à l’intérieur de l’écorce puis disparaissent. Eh ben. Efficace. Je réessaye plusieurs fois, et finis par arrêter en constatant ma peau qui commence à se calciner. Le soleil se couche, le ciel prend des teintes orangées. Il est temps de rentrer. Eh bien, j’arrive à maitriser autre chose maintenant. Même si je m’en suis servie pour… Tuer.
Assassin. Je presse le pas prenant les grandes rues, désormais effrayée par les plus petites et sombres. J’arrive devant la pierre de téléportation au moment où le Soleil et la Lune font leurs échanges, laissant place à une toute autre lumière. Je me téléporte à la guilde en plein milieu du hall qui n’est pas très plein. Je ne croise le regard de personne et file dans ma chambre récupérant un baume de soin pour les mains au passage.
Je referme la porte derrière moi, et une fois en pyjama, me laisse tomber sur mon lit. Nox me regarde étrangement mais ne pose pas de questions. Il sait déjà tout. C’est un animal, il a un sixième sens. Je lui fais un triste sourire soldé par une grimace. Oui, bon.
Insensible. Tu ressens des émotions, mais est-ce que tu peux connaître celles des autres ? Presque rien ne me touche.
Cruauté. Et pourtant je suis tellement faible… Tel un cristal prêt à se briser. Je sais que j’ai une épée de Damoclès au-dessus de la tête, à présent.
Faible. Je m’allonge sous les draps, les yeux rivés sur la grande fenêtre, pour contempler les étoiles.
Fragile. … Mais, toutes ces voix dans ma tête… Qui sont-elles ?