Zeph se frotta les yeux, contemplant la chambre de l'auberge miteuse qu'il avait du partager avec Arkhana. La veille, sa collègue d'Eagle's Claw avait trouvé une mission à son goût et l'avait traîné avec elle, arguant qu'elle aurait besoin d'un partenaire -en toute bonne foi, le balafré en doutait- jusqu'à Oshibana, dans la partie Est du royaume. Le Kovenken qui, fourbu après les deux mission qu'il avait enchaînées récemment, espérait se reposait tranquillement à la guilde, avait préféré ne pas refuser l'exigence de la jeune femme, sur laquelle couraient des rumeurs peu encourageantes.

A peine arrivés, les ennuis avaient commencé. L'auberge leur avait offert une chambre avec un seul lit, à deux places, le gérant étant persuadé qu'il avait là affaire à un jeune couple parti en vacances. Poussant un grand soupir, le brun était entré dans la chambre sans mot dire et s'était écroulé sur le canapé, feignant un sommeil quasi immédiat. Sommeil qui, de toute façon, n'avait pas tardé.

A présent, les rayons du soleil traversait les rideaux rongés par les mites, éclairant la chambre de rais irréguliers. Le lit semblait vide. Arkhana devait être sortie... Ou partie tenter sa chance avec la salle de bain que les clients devaient occuper tour à tour. Les murs de bois du bâtiment étaient pourris, et un coup de poing dans l'un d'entre eux aurait sûrement engendré un large trou. Se redressant dans son lit de fortune, il jeta un regard circulaire sur la pièce. Décidément, elle lui semblait plus miséreuse à chaque regard... Pour autant, le concierge plus gras qu'un cochon d'élevage et richement vêtu ne semblait pas souffrir de la même pauvreté que ses clients. Repensant à l'homme âgé, Zeph sentit une vague de dégoût monter en lui. Le regard lubrique qui avait suivi Arkhana dans le couloir et les doigts potelés qu'il avait du serrer le repoussait sérieusement. Bien plus que l'espèce de Balkan qui occupait la chambre voisine.

Au sol, un objet plat semblait presque rayonner au soleil, d'un blanc immaculé. L'une des seules choses de cette chambre l'étant, d'ailleurs. Le Kovenken la ramassa ; il s'agissait de la requête. Les deux mages étaient chargés d'escorter une importante somme d'argent, tout en sachant que les tentatives de vol seraient très probablement nombreuses et se suivraient rapidement. Pour une récompense plus qu'honnête. Bref, un job comme un autre. La pire difficulté que le brun craignait, c'était sa partenaire. Si tout ce qu'on racontait à son sujet était vrai, mieux valait ne pas l'énerver. Et il ne doutait pas qu'elle puisse le vaincre en moins de deux. Bref, autant ne pas la provoquer.

Baillant ouvertement, le jeune homme passa la porte de la chambre et, une fois dans le couloir, regarda de part et d'autre de l'entrée, à la recherche de sa coéquipière. Ils avaient encore une heure avant de se rendre à la gare, toute proche, où ils devraient rencontrer l'employeur, mais qui sait à l'avance combien de temps une femme peut mettre à se préparer, après tout...

« Arkhana ? T'es là ? »

Ignorant la réponse ironique de la blonde à sa question, le jeune Kovenken suivit celle-ci jusqu'à la gare d'Oshibana. Le bâtiment était autrement plus impressionnant que leur auberge miteuse et offrait une sensation de prospérité des plus agréables après la misère des planchers pourris. Le train était une locomotive à vapeur d'un rouge vif, suivi de wagons tout aussi rouges. Le brun posa sa main sur la lourde carcasse de métal, intrigué. De sa vie, il n'avait presque jamais pris le train, préférant de loin la marche à pied.

- J'ai bien envie de me prendre une prime en jewel, pas toi ?

Le garçon eut un air ébahi. Il pouvait se targuer d'être un mage assez intègre et l'idée que sa partenaire ne le fut pas, prête à déroger aux consignes, pourtant strictes, de l'employeur, le dérangeait. Il la regarda, les yeux écarquillés, bien qu'un peu énervé.

- Certainement pas. Je te rappelle qu'on est là pour protéger l'argent des voleurs, pas pour en devenir nous-même. C'est toi qui as choisi la mission, si les ordres ne te conviennent pas, tu ne peux t'en prendre qu'à toi-même.

Plantant là la jeune femme, il se leva et partit explorer le train. De l'extérieur, on aurait pu croire qu'il était parti sous le coup de la colère, laissant sa coéquipière méditer sa réprimande. En vérité, il tenait à s'assurer que le train était vide. Il était clair que des voleurs s'en prendraient, à plusieurs reprises, de s'en prendre au pactole. Il cherchait donc un quelconque passager clandestin, assez stupide pour penser que le coffre serait laissé sans surveillance à un moment où un autre du voyage.

En espérant qu'Arkhana n'ait pas la même idée que lui. La mage, qui chutait brutalement dans son estime, lui paraissait bien capable de laisser une telle fortune en évidence au milieu d'un wagon... Ce qui donnerait raison à l'éventuel voleur.

Il avança entre les rangées de fauteuils vides, l’œil aux aguets. Une ombre passa derrière lui sans qu'il ne la voie. Une ombre habile. Un homme rapide, aux réflexes de ninja et à la vitesse d'une puce. Une porte qui grince sur son passage. Un aiglon qui se retourne, s'élance. La recherche devient course poursuite à travers le train. Le jeune homme s'étonne. L'intrus l'emmène loin de le la pièce où réside le coffre. La silhouette a trop d'avance pour qu'il puisse distinguer ses traits, mais c'est clairement un homme. Un jet de feu parcourt le train, traverse un wagon. L'ombre saute sur le côté, atterrit dans un filet à bagages. Zeph s'arrête devant lui, se met en garde. Il peut enfin détailler l'homme, pendant le bref instant où il le fixe. Des cheveux violets et longs, des lèvres d'un rouge vif étonnant, des yeux d'un noir d'encre... Le type était à la fois efféminé et étrangement beau. Il le regarde, un sourire aux lèvres. Inquiétant.

Le balafré saute sur le côté alors que la copie conforme du type tente de le frapper par derrière. Des jumeaux ? Non ; d'autres apparaissent encore. Trop pour que ce soit une fratrie. Une magie de clonage ? Avant que le dernier des Peaux de Lune n'ait le temps d'en tirer plus de conclusions, les multiples l'attaquent. Ils utilisent une espèce d'art martial, mais ils sont... Mauvais. Totalement. En tout cas, face à un combattant expérimenté comme l'est le Kovenken, ils ne font pas le poids. Cela dit, leur nombre les rend compliqués à vaincre, et une nouvelle chute de flammes traverse le train pour dissiper les combattants. Alors que les flammes disparaissent, le wagon se révèle vide, à l'exception du jeune homme à la tunique rouge. Zeph écarquille les yeux. Mais où était passé l'original ? Il repense à tout le chemin parcouru dans la direction opposée à celle de l'argent. Oh oh. A nouveau, il s'élance dans les wagons, cette fois dans le sens inverse. Espérant qu'il n'arrivera pas trop tard.

HJ:

L'homme sourit, ses bras magiques fouettant l'air, arrachant les fauteuils, tordant les parois du wagon. La blondasse n'a aucune chance contre lui. Un si joli minois, c'est dommage... Et de si jolies formes aussi. Lorsqu'il aura l'or, il se plaira à l'emporter aussi, comme deuxième butin. Ses allures de dominatrices lui donnent des frémissements. Rien que de penser à tout ce qu'il pourra faire avec elle, l'eau lui monte à la bouche, ses yeux se perdent dans le vague. Une idée presque aussi alléchante que la richesse infinie qu'il obtiendra. Après tout, si elle n'est pas trop revêche, il pourrait la garder à ses côtés... En faire sa maîtresse... Sa langue passe sur ses lèvres. Du moment que l'autre abruti à l'oeil brûlé ne vient pas tout gâcher... Quoique, il ne pourrait pas faire grand chose face à sa magie des Bras de l'Ombre, même s'il a vaincu tous ses clones. Il s'approche d'un air doucereux de sa future amante, un air pervers dans les yeux. Oui, cet air farouche lui plait... Il prendre plaisir à la briser... Soudain, un choc. Une entrave. L'homme écarquille les yeux. Qui ?! Qui a osé interrompre son glorieux chemin vers sa maîtresse ?!

.:.

Zeph tenait fermement le premier bras qu'il avait pu attraper. L'homme, bloqué, tourna vers lui un visage empreint d'une rage folle. Visage qui ne tarda pas à prendre le poing libre du dernier des Peaux de Lune. Le voleur avait désormais la lèvre fendue. Un de ses membres magiques fendit l'air pour frapper le mage de feu sur l'épaule gauche, ce qui lui fit lâcher prise en l'envoyant au sol. L'homme s'approcha de lui avec une lenteur effroyable et Zeph tenta de nouveau de lui envoyer des flammes, que les bras désossés n'eurent aucun mal à parer. Le brun serra les dents. Il ne voyait absolument aucun moyen de vaincre l'ennemi. Le seul moment où il avait été ralenti, c'était à la vue d'Arkhana. Wait. Arkhana ? Mais bien sûûûûûûûr ! Dissimulant son sourire à la limite du machiavélisme, le jeune homme se jeta directement sur le voleur, une flamme à la main, et ce dernier se contenta de se déplacer sur le côté, lui faisant un croche pied. La chute de Zeph était à la limite du ridicule alors qu'il atterrit durement à côté de la blonde. Il se releva et lui glissa un mot à l'oreille.

- Désolé. Vraiment.

Et, disant ces mots, il attrape d'une main la fermeture éclair de la combinaison en cuir moulante et... La baissa. Tout simplement. De l'autre main, il orienta la sadique vers le voleur, qui la fixa, les yeux écarquillés. Durant un tout petit instant qui sembla durer des heures à Zeph, il ne se passa rien. Puis l'homme fut pris d'un... Saignement de nez. Enorme. Il semblait perdre des litres et des litres de sang. Projeté en arrière par le débit puissant de l'écoulement du liquide vital, il se prit la paroi déjà cabossée du train en pleine figure et... La traversa. Le wagon, vieux et peu solide, n'avait pas résisté aux assauts magiques et, à présent, au boulet de canon humain. Ejecté du train, le sale type ne représentait plus une menace. Surtout qu'après une pareille hémorragie nasale, il y avait peu de chances qu'il aie survécu. Le brun à l'oeil brûlé prit son air le plus innocent possible alors que le conducteur du train leur annonçait dans le haut parleur l'approche de la gare de Shirotsume.

- Bon bah, je crois que la mission est un succès...

*Plus qu'à espérer que je rentre en un seul morceau après ça... Si elle me tue pas, je vais probablement y laisser un bras... Ou une jambe... Ou toute chance d'avoir des enfants un jour.*