Le fil barbelé se décolla de ma cicatrice tel un adhésif qu'on avait laissé longtemps posé sur la peau. Il gigota dans une danse infernale qui ne fit aucun survivant dans cette cabane. Mon alliée avait eu l'intention de ramener tout le reste de la bande vers ma direction. Pour être certain de ma réussite, j'avais éliminé ces hommes qui auraient pu s'en prendre à moi lorsque je ne regardais pas. Lorsque la jeune femme se retourna pour me faire face afin de courir dans ma direction, c'est-là que je compris son état de santé. J'hésitais entre la compassion ou la colère. Pourquoi se mettait-elle autant en danger? Qu'est-ce qui la poussait à surpasser ses limites?

La foule d'hommes armés poursuivaient Shizuka comme une bande d'enragés affamés. Mon fil de barbelé vola au-dessus de nos têtes et provoqua en duel ces infâmes bandits. Mon fil était rapide, mais ses coups n'étaient pas très précis. Lorsqu'il frappa une lame ennemie, il se mit à virevolter dans un sens qui lui faisait perdre son angle d'équilibre et de cible. Je pris ma coéquipière par le poignet et la dirigea derrière un mur. J'espérais qu'elle m'obéisse pour y rester, sinon, elle allait recevoir de nombreux projectiles...

Des traces de mes nombreux points de sutures, jaillirent des shurikens qui volaient dans tous les sens. Aléatoire, mais efficace lorsqu'on affronte une foule. La technique avait déstabilisé mes adversaires et je pus en finir avec mon fil barbelé. À bout de souffle, je me demandais jusqu'où pouvait m'amener mon réservoir magique. J'avais l'impression que nous n'en avions pas encore terminé avec cette mission. Justement, un homme sortit de nulle part. Épée à la ceinture, il avait un sourire assez malfaisant au visage. Il regarda ses troupes comme s'ils étaient de vulgaires déchets laissés dans sa demeure, puis nous regarda en nous adressant une parole sûre d'elle-même:

Il souriait... encore. Il s'approcha de l'arbre le plus proche. Il posa sa main dessus et il le fit disparaître... ou seulement le rendre invisible? Il sortit l'épée de son fourreau et trancha l'air. Nous pouvions entendre un grincement comme si un arbre était sur le point de tomber... mais dans quelle direction? Je levais les yeux et en voyant le feuillage des autres arbres se déplacer, je compris qu'il me tombait dessus. D'un élan, je courrais, bondis et attéris quelques lieux plus loin, mais l'adversaire était déjà là à m'attendre de pied ferme. D'un coup de lame, j'eus le torse tranché et je me retrouvai sur le sol... à sa merci.

Couché au sol, je regardais la lame se faire soulever dans les airs pour donner le coup fatal. Son sourire diabolique au visage, il s'apprêtait à m'enlever la vie, ici et maintenant. Même avec le peu de force qui me restait, je n'allait pas lui donner mon âme aussi facilement. Il devra se battre pour l'obtenir. Alors que je m'apprêtais à esquiver sa lame en roulant sur le côté, il reçut une flèche dans l'épaule, l'arrêtant dans son élan. Il se prit le bras d'une main. Il se retourna, constatant qu'il n'y avait personne, il reprit son élan à travers la douleur pour m'achever. Sa lame frappa quelque chose ce qui le força à utiliser ses deux mains pour pousser dessus. Je voyais la terre lever légèrement comme si des talons s'y enfonçaient. Shizuka?

Une faux apparue lui donnant un avantage dont elle profita pour frapper le mage d'un coup de je-ne-sais-quoi pour le faire reculer. D'où j'étais, je ne voyais pas grand chose... Probablement la cape d'invisibilité... L'homme se prépara à donner un coup final contre la femme, maintenant qu'il la voyait. Plus fourbe que celui-ci, elle envoya son arme sous sa garde pour lui transpercer le coeur. Il tituba de quelques pas de reculons, posa une main sur sa blessure mortelle pour s'assurer qu'il avait bel et bien touché mortellement et s'écroula parterre comme une pierre. Ma coéquipière perdait tout ce qu'elle avait sur le dos qui la protégeait du froid. Elle était à court d'énergie. Il m'en restait peut-être un peu plus en moi pour que je me lève aussi précipitamment et que je lui couvre les épaules de mon long manteau noir. Je refermais quelques boutons avant de la regarder droit dans les yeux et de lui dire:

Je n'attendis pas sa réponse que mon bras se faufila derrière son genou et l'autre, au centre de son dos. Je n'allais pas lui permettre de marcher avec ces blessures. Elle était beaucoup trop on mauvais état pour qu'elle me convainc avec de l'orgueil. J'amenais donc la jeune femme hors des bois pour nous rendre dans cette fameuse cabane où j'avais eu les informations concernant la mission. Je frappai avec mon pied le bas de la porte pour qu'on ouvre. Ils ouvrirent rapidement. Ses yeux sortirent presque de sa tête en voyant la femme dans mes bras. Je le rassurais qu'elle était toujours en vie et que j'allais m'occuper d'elle. L'homme accrocha la récompense à ma ceinture d'un regard inquiet. Mon teint blême et mes nombreuses cicatrices ne lui signalaient rien de bon. Il pourrait même penser que j'avais des pensées malsaines concernant le «bon traitement» que j'allais donner à Shizuka. Sans plu tarder, je tournais les talons et me rendis dans un petit hôtel pas très chic pour une chambre que j'avais réservée. La femme me donna les clés d'une main tremblante. Je me précipitais à l'étage et de ma main qui tenait son dos, j'insérais la clé habilement dans la serrure et fit tourner la poignée en faisant bien attention à la jeune femme. Elle ne devait subir aucun mouvement brusque sous peine d'agrandir ses blessures. Je la couchais sur le lit, trouvai des serviettes et des bandages à travers tout l'hôtel et commençais à éponger le contour des blessures. Certaines étaient ouvertes et auraient besoin de points, d'autres pouvaient récupérer d'elles-mêmes.

Je n'allais certainement pas transpercer la peau de la jeune femme d'une aiguille si elle ne me l'autorisait pas. Même si c'était pour son bien, je ne voulais pas venir à l'encontre de ses propres limites sans son autorisation...

Elle me regardait travailler d'un oeil observateur. Elle me laissait faire, sans broncher, sans commenter, sans... juger. J'aimais. J'aimais pouvoir faire quelque chose, être quelqu'un sans être jugé. J'aimais... avoir un contact humain sans être repoussé. J'aimais être regardé sans dégoût. J'aimais discuter sans être insulté. Je souris...

L'aiguille passa dans sa peau lentement, les deux côtés se refermaient tranquillement, dans une délicatesse appréciée. Je souriais. Longtemps je ne l'avais pas fait franchement. Longtemps je n'avais pas souri sans avoir d'arrière-passé mauvaise. Elle me demandait de ne pas être aussi poli, que je pouvais m'occuper de moi-même, que ses autres blessures allaient s'en sortir sans problème. Je réponds avec un sourire. Je nettoyais mes plaies sans me soucier du mélange de nos sangs. Le mien était spécial, il était, comment dire... empoisonné par ma nature. Je n'étais plus humain depuis quelques temps. Ma magie m'avait transformé pour me faire progresser, me faire évoluer et me permettre d'être plus efficace. Mon sang noirci se mélangeait avec l'eau rougie.

Je passais le bandage autour des blessures qui en avaient besoin... mais pour mon épaule, cela n'allait pas être chose facile. Shizuka prit les bandages et me tournait le dos. Elle voulait un peu d'intimité, j'allais lui laisser. Je fixais le mur devant moi... jusqu'à ce que son regard apparaisse dans mon champ de vision. Elle me demandait si elle pouvait à son tour coudre. Je répondis en hochant la tête. Je me souvenais de ces moments où je réparais mes propres blessures à cause de mon problème physique... C'était une sensation horrible. Mais celle-là, la délicatesse, la dextérité dont faisait preuve Shizuka n'était guère désagréable. Je souris à nouveau. Elle me dit que je pouvais l'appeler «Shizu». Je souris... quelle sensation agréable.

Changement radical me direz-vous? Il y a quelque chose que nos âmes partageaient qui pouvait me mettre en confiance avec la jeune femme... l'amitié... Peut-être? Était-elle d'avantage mon amie qu'une partenaire de mission? Une femme qui partageait les mêmes intérêts que moi? Elle avait le droit de m'appeler par mon vrai nom parce qu'elle avait réussi à me faire sentir humain à nouveau, parce que pour une fois, je me sentais normal, l'égal de quelqu'un même si c'était bref. La nuit allait bientôt tomber, alors nous décidions de rester à dormir dans l'hôtel. Je lui laissais le lit et je restais à veiller au bord de la fenêtre. Je n'arrivais pas à dormir... pas après des nouvelles sensations aussi agréables...

Le lendemain nous quittions l'hôtel en donnant un pourboire à l'hôtesse pour son silence bien gardé. Juste devant la sortie de l'hôtel, c'était-là que nous devions nous séparer, partir chacun de notre côté pour mieux nous retrouver peut-être? Je lui souris une dernière fois, pensant peut-être la revoir à la Guilde un de ces jours... ou pas. Elle partit presque en courant le pas léger. Je repartis de mon côté, les mains dans les poches. Il me fallait un nouveau manteau, je devais cacher ces cicatrices. Le reste du monde n'était pas encore prêt...