Le soleil s'était enfin couché. Les pieds de Zeph Kovenken s'immobilisèrent sur le sable, cessant de fouler la grande étendue désertique à proximité d'Efreetis. Il avait ressenti le besoin de renouer avec ses origines : le désert, les longues marches, le soleil de plomb. Le mage se trouvait au sommet d'une dune, contemplant l'horizon sans fin. Il fut alors intrigué par une lueur, plus bas. Un feu. Maigre, certes, mais un feu restait un feu. Et l'oasis qu'il éclairait restait la promesse d'une pause bienvenue.

Se laissant glisser sur la pente sablonneuse, le jeune homme avait rapidement rejoint le bivouac improvisé. Il ne vit personne. Machinalement, il s'installa près du foyer. Les flammes se réduisaient lentement mais sûrement. Bientôt, elles auraient entièrement consumé leur bois et ne resteraient plus que quelques braises. Une comptine presque enfantine se faisait entendre.

- Un coucher de soleil qui intervient,
Un esprit vagabond qui ne songe pas au lendemain.
Doux comme le miel ? Chaud comme un désert de braise !
Valsant, dansant, sautillant sous le soleil ardent.

Le garçon sourit. Pour une raison qui lui était inconnue, cette chansonnette lui paraissait familière, comme si lui-même l'avait déjà chantée. Ou entendue chanter. Cela ne lui évoquait guère qu'un sourire brillant et une douce chaleur, mais cela lui donnait envie de rester. Rapidement, il amassa un peu de bois qui avait déjà été coupé -probablement par la petite chanteuse- et le jeta dans le feu, le ravivant par la même occasion grâce à sa magie. Une bûche craqua et le silence se fit. Zeph soupira. Elle l'avait probablement entendu et, maintenant, elle se méfiait. Alors qu'il cherchait ses mots pour la rassurer, il entendit un bruit de glissement. Ne sachant pas comment réagir, il ne bougea pas. Il la sentait dans son dos, pourtant il avait l'intuition que mieux valait rester immobile, lui donner un sentiment de supériorité. Après tout, si elle se sentait en sécurité, elle serait moins extrême. Lorsqu'il la sentit vraiment proche, il se retourna. Une lame contre la gorge. Il eut du mal à ne pas déglutir, mais se retint.

- Dites donc, vous n’avez pas l’impression de prendre un feu qui ne vous appartient pas ?

- Pour être précis, je l'ai surtout ravivé... Il était en train de s'éteindre, voyez vous. Euh, vous pourriez... Baisser cette lame ?

A la lueur des flammes, Zeph pouvait étudier la jeune fille. Elle était plus jeune que lui, plus petite aussi, et pourtant il se dégageait d'elle un certain aura, ce qui avait poussé le mage à la vouvoyer. Ca, et l'arme tranchante. Ses vêtements pâles semblaient mal ajustés, comme si elle les avaient enfilés rapidement. Oh, c'était donc ça, le bruit de l'eau. Elle était en train de prendre son bain. Le mage lui adressa un petit sourire, désireux de se montrer amical.

- Je ne sais pas.

Zeph la regarda, les yeux écarquillés. Puis il sourit. Il était... Agréablement surpris de voir une telle spontanéité chez une fille de la guilde. Lui qui pensait qu'observait les gens agir comme cela, sans raison particulière, lui manquerait, il était rassuré. Tapant dans ses mains, Misto semble ordonner à ses loups de lâcher le jeune homme. Elle lui tend une main aimable, l'aide à se relever. Tire un peu trop fort. Heurtant sa camarade, le Kovenken se retrouve dans la même position que précédemment... Exception faite que les rôles sont inversés. Gêné, il se recule immédiatement alors qu'elle se dégage, roulant sur le dos.

- Un mage de feu. Pas étonnant que tu sois à l’aise dans une fournaise pareille.

- Je suppose que l'habitude joue un rôle aussi... j'ai passé la grande majorité de ma vie à vivre dans le désert.

Un coup d'oeil sur le côté. Il se profilait au sommet des dunes. Il les descendait. Lentement -très lentement- mais sûrement. Il serait bientôt là. Un coup d'oeil à Misto. Elle ne pouvait que l'avoir vu. Pourtant, elle feignit n'avoir rien remarqué. Un test ? Elle avait son ocarina à la main. Le jeune home avait entendu dire qu'elle faisait de la magie avec cet instrument de musique. Elle le regarda, souriante.

- Jolie démonstration tout à l’heure d’ailleurs. Un contrôle aiguisé.

Il sourit encore alors que les loups se disputent sur... L'autorité de sa magie. Tiens, un loup qui préférait la viande cuite ? Original. Il ne voyait pas l'alimentation des loups comme ça. La jeune fille riait. Pas Zeph. Tentant de cacher son inquiétude, il surveillait l'horizon. Il accélérait. pire, Il ne semblait plus seul. Cela pouvait devenir très mauvais. Misto se rassit, l'interrogeant.

- Eagle’s Claw te plait ? On a eu pas mal de nouveau arrivant et j’ai un peu de mal avec les visages parfois. En plus j’ai peu de temps pour tous vous connaitre … Bah. Nous remédierons à ça.

Perdu dans ses pensées, Zeph ne répondit pas. Il se rapprochait. C'était mauvais. Sous l'effet de l'anxiété du mage, les flammes du feu de camp grandirent encore. Elles atteignaient les trois mètres de haut. Misto pensait peut être que c'était l'effet de sa question. Peut être se doutait-elle de ce qu'il pensait. Peut être pas. Attendant toujours une réponse, elle le relança.

- As-tu des questions sur la guilde ou des craintes vis-à-vis de certains d’entre nous ?

S'apprêtant à lui répondre, le Kovenken se tourna vers elle. Baissa sa garde, pendant un tout petit instant.

Un instant de trop.

Le sable sembla exploser. Un sifflement à en déchirer les tympans retentit. Il était là. Un gigantesque ver des sables, atteignant facilement dix mètres de long. Catapulté en arrière, Zeph se rétablit du mieux qu'il peut. une douleur lancinante lui transperçait la cheville. Une entorse, sûrement.

- Attention ! Tch... Fire Control !

Sous l'effet de sa surprise, les flammes s'étaient encore démultipliées, formant un véritable brasier qui semblait vouloir toucher les étoiles. De quelques mouvement précis des mains, semblables à un art martial étrange et ancien, le mage les plaça sous son contrôle. Leur imprima sa volonté. Rapidement, le feu fondit littéralement sur le ver, comme un oiseau de proie incandescent. Un aigle. inconsciemment, Zeph avait donné la forme de sa guilde à son attaque. Le ver poussa de nouveau son cri strident, brûlé par le sort. Le sable explosa de nouveau, alors qu'il faisait apparaître une nouvelle partie de son corps à la surface. Juste en dessous de l'aiglon qui, encore une fois frappé, et cette fois-ci envoyé droit vers les airs. Profitant de sa position en hauteur, il envoie de nouvelles flammes sur son adversaire.

La nuit est éclairée d'une lumière orange, incandescente. Inquiet, le Kovenken cherche Misto et ses trois loups du regard, priant pour qu'ils ne soient pas blessés. Ses yeux parcourent le sable, le corps du ver se tordant dans tous les sens sous la douleur brûlante ne l'aidant pas... Ne le rassurant pas non plus. Il en faudrait plus pour le tuer, ou même pour le faire fuir.

Zeph atterrit difficilement. Sa cheville le fait souffrir. En un instant, Misto est à ses côtés, trois de ses loups aussi. Une brume verte l'enveloppe, un esprit qui jure, la douleur qui s'estompe. La musicienne semble subir un contre coup alors que des signes alambiqués parcourent sa peau. Elle donne des ordres concis à ses loups, qui entrent en action. Le Kovenken regarde, stupéfait, la jeune fille qui semble se concentrer et, peu à peu, se transformer. Elle guette. Il est dépassé par les événements, éprouve des difficultés à suivre sa camarade de guilde. Le ver géant se tord toujours de douleur sous les attaques répétées, il n'en est que plus dangereux. Le jeune homme reprend sous son contrôle ses flammes, les renforce, les empêche de baisser. Sa visibilité est grandement réduite par la tempête. Juste à côté de lui, l'aigle semble devenir plus dangereuse, plus puissante. Elle en est presque effrayante. Son instinct lui hurle de courir, de s'écarter de cette magicienne aux pouvoirs implacables, de fuir ce combat. Il réprime cet élan de lâcheté.

Entrevoyant un passage dans la tempête, il s'élance. Il se rapproche du monstre, des flammes suivent sa course alors que c'est toute une aura qui l'enveloppe. Il saute, se propulsant à la verticale au dessus de l'ennemi. Un coup de pied, asséné au beau milieu du corps de la créature ; un coup de pied que rien n'arrête, enveloppé de flammes mortelles, il pénètre la chair, carbonise tout sur son passage. Un nouveau son strident déchire le cri du vent. De nouveau, Zeph saute et s'éloigne, constatant les effets de son coup. L'esprit lupin n'est pas loin de lui, il amplifie les flammes qui ont pénétré l'intérieur du ver, infligeant des dégâts autrement plus importants, peut être même mortels. Le jeune homme tente de reculer. La queue fouette l'air, il est frappé de plein fouet, projeté en arrière. La douleur est fulgurante, mais il la cache tant bien que mal. Après un vol plané inhabituellement long, il fait connaissance avec le sable, trois mètres derrière Misto. Il serre les dents, décidé à épargner à la jeune fille, bien plus forte que lui, un nouveau sort de soin. Elle a déjà assez subi par sa faute lors du premier. Il se relève comme si de rien n'était alors qu'intérieurement, l'envie de hurler le prend.

- Même pas besoin de reculer... L'air de rien, il est pratique comme adversaire, on gagne du temps.

Son ton est ironique, mais cela l'aide à contenir sa douleur. Il se mord l'intérieur des joues pour s'empêcher de gémir. L'aiglon relève la tête, une lueur déterminée dans le regard. Il lève sa main en direction du monstre des sables, le poing serré à l'exception de l'index et du majeur. Trois mouvements secs du poignet et les flammes répondent à son ordre ; comme l'eau s'engouffre dans un bâteau à la coque trouée, le braiser glisse le long de la peau grise jusqu'à l'entaille incandescente. Bientôt, la créature brûle littéralement de l'intérieur. Tenant ses côtes douloureuses, le jeune homme a un sourire narquois. Le combat est fini. Un dernier coup et le ver ne pourra plus rien faire. Il observe Misto, lui laissant le pouvoir de porter le coup de grâce... Ou de donner une chance à leur ennemi et de le laisser partir. La décision lui appartient, désormais.

Il faisait... Froid. Oui, Zeph Kovenken avait froid, ce qui était pourtant rare -situation ironique pour un mage de feu, n'est-il pas ? Il tenta de se remémorer ce qu'il s'était passé. Misto lui avait crié de s'enfuir... Ou quelque chose comme ça. Mais... Pourquoi ? ... Ah oui, elle avait chanté. Il avait propulsé des flammes autour de lui, tentant de se protéger d'une quelconque attaque. Un gigantesque blizzard s'était ensuite abattu... Toute sa puissance ne l'avait pas protégé. Soufflée comme une bougie, sa magie l'avait abandonné. Malmené par les rafales glaciales, il avait perdu contact avec le sol. Les flocons blessaient sa peau tant le vent était violent. Il était parcouru de multiples entailles qui le brûlaient au contact de la neige. De la neige en plein désert... Le pouvoir de Misto avait surpassé le sien, même au milieu de son élément, de son chez lui. Il ne pouvait rien contre la jeune fille, c'était une évidence. Au moins, le ver non plus. Il n'entendait plus les sons stridents que celui-ci produisait. Des bras le tenaient, des bras étonnamment froids... Et pourtant, ils lui inspiraient une curieuse chaleur. Une goutte d'eau roula le long de sa joue. Il ouvrit son oeil brûlé. C'était elle qui le serrait contre elle... Et encore elle qui pleurait sur lui. Il ouvrit son second oeil, inspectant mentalement son corps... Non, aucune blessure grave chez lui. Les quelques entailles provoquées par le sort de Misto étaient trop peu profondes pour être un danger. D'un doigt chaud, il cueillit une seconde larme sur le visage de la jeune fille.

- Chuis resté inconscient si longtemps que ça...?

Sentant ses forces lui revenir, il se releva, étendant ses bras pour passer l'ankylose de ses épaules, avant de secouer sa tignasse noire mouchetée de neige. Prenant une grande inspiration, expirant avec un large nuage de buée, puis inspirant de nouveau, il adopta un sourire qui se voulait rassurant -sourire qui s'accordait étrangement bien avec son visage mutilé, sans lui donner un air monstrueux pour autant. Il tendit une main amicale à la brunette, offrant de la relever.

- Allez, viens, dormir dans une vraie auberge, en ville, nous fera sûrement du bien... Je t'invite si tu veux.