Que cette sensation lui reste ancrée, ce goût en travers de la gorge, empoisonné.

Réussite. Un parfum de victoire, un arôme de conquête dans la gorge du mage noir qui scrute de ses yeux sombres, du fin fond de la pénombre. Bête dominée qui perd sa fourrure ensanglantée alors que d’une marre écarlate le sol est taché. Nappe drapée aux teintes vermeilles, drapeau majestueux du carmin victorieux, succès grandioses du roi des merveilles. Cobra. Son simple nom avait tétanisé le chat, la panique qui s’empare de l’humain retrouvé, Erik connait bien ce sentiment oublié, phobie que plus jamais il ne vivra. Torture enterrée, souvenirs délaissés, images effacées. Les pensées qu’il entend sonnent en discordance, ondes brouillées par l’animalité si pure dans sa transe, empruntes d’une animalité dont on ne saurait les priver. L’homme souhaite fuir, l’instinct l’empêche de nuire, le juge hésite sur comment réagir. Devant lui se prosterne l’humanité déchue, un humain à la queue entre les jambes, pendue, oreilles chimériques toutes descendues, respect absolu. Et pourtant quelque chose lui dit qu’à peine il aura fui, à peine l’humain aura repris ses droits qu’il s’enfuira, badant et mauvais il s’empressera de dénoncer aux bourreaux qui suivraient. Le félin habile avait compris, l’être humain débile l’aurait trahi. Pouvait-il venir à bout de cette dernière parcelle de résistance, ce fort rebelle luttant contre toute circonstance. Coexistence. Liés, ils étaient liés, Cobra commettrait-il ce meurtre, fou à lier ? Fureur de vivre, folie de celui qui bien trop longtemps s’est retrouvé sans ami, à ses côtés seules lamentations de la vouivre. Sous le regard du reptile parme, le criminel s’avance menaçant, ses pas feutrés alarment. Que sonne le glas, adieu pitié, bonsoir Cobra. Juste en face de son opposant, il pousse un grognement avant de le frapper sans prévenir d’un coup de pied dans le corps affaibli. Brusque et violent, juste ce qu’il faut pour retourner l’autre sur le dos, Cubélios siffle sous ses écailles indigo, son maitre se prépare à achever l’hidalgo.

Mais il s’arrête. Retraite. Plus un pas, plus un bruit. Le froid retombe, devant lui le mage légal frémit, blêmit. Pourquoi ne continue-t-il pas, où est passé Cobra ? La chevelure écarlate s’impose en lui, il entend les chaines qui souhaitaient l’emprisonner à vie. Scarlet. Cette pimbêche aurait-elle tant marqué son esprit pour qu’ainsi Erik jaillisse ? Saloperie. Emprisonnement, calvaire, supplice, au diable tous les vices. S’il est perturbé, le roi n’en montre rien, fixant éperdument le corps qui lui fait face, reptile face au félin. Glacial, neutre et carnassier, sans vie, telles étaient les expressions sous lesquels ses traits avaient durcis. Il bloque aujourd’hui, sa confrontation avec elle était encore trop proche, incompris. Pour la première fois depuis longtemps, Cobra avait pitié, cette femme l’avait changé. Pitié comme le jour où Brain l’a pris sous son aile pour le couver. Talentueux, prometteur, il aurait pu faire des exploits dans son domaine si ce n’avait été pour l’avarice du manipulateur.

« Tu as voulu jouer avec les lois de la jungle, maintenant il va falloir assumer. »

Il allait l’abandonner là, le laisser dans ce sale état. Cruauté non camouflée devant un cœur désespéré.

« La prochaine fois qu’on se verra, je serais moins sympa si tu oublies à qui tu dois le respect. Les instincts ne sont pas une mauvaise chose, et tu risques de t’en rendre compte encore aujourd’hui. Si tu ne les laisses pas te mener, tu vas rester ici et crever. »

Au final, t’aurais mieux fait des les écouter dès le début.

Fond de vérité mêlée à l’hypocrisie de l’humanité, sans celle-ci Cobra l’aurait déjà achevé. Une alchimie les liait, le destin les pousserait à se recroiser. Sans vergogne ni dépit, le charmeur de serpent bondit sur son ami. Ailes dépoilées, un dernier regard au chiot abandonné. Que cette sensation lui reste ancrée, ce goût en travers de la gorge, empoisonné. Qu’il survive, ne serait-ce que pour se venger, ou l’admirer. Ce n’est que partie remise.