Sofia inspira lentement. Puis retenta son coup. Une brise la parcourue rapidement, mais rien de concluant. Dans son dos, diaphane, Dame Alicia observait et commentait ses progrès. Progrès très peu concluants aux yeux de la jeune femme, mais l'esprit semblait confiant. Sofia rabaissa son éventail, tâchant de retrouver l'harmonie.


Dame Alicia était venue quelques nuits auparavant, la prévenir qu'il était temps d'ouvrir un troisième verrou spirituel. A l'origine, la jeune femme n'avait disposé que de la Terre Fertile, son essence primitive, et le Don du Temps, marquant son lien avec Alicia, oracle des liens fragiles qui lient le passé et l'avenir. Cependant, si elle voulait progresser sur la voie du Cœur, il lui fallait ouvrir la totalité de son potentiel, en s'ouvrant plus à sa fonction. Ainsi, elle avait ouvert successivement la Pluie Apaisante, puis la Flamme Brûlante. Cette fois ci, il lui faudrait toucher au Souffle Divin. La nature exacte de ces verrous était complexe. Symbole de la réincarnation d'une âme éternelle, Sofia était trop peu pour contenir son immensité. Aussi, ces verrous bridaient son pouvoir, la maintenant intacte. Avec la croissance de son énergie intérieure, elle pouvait se permettre de retirer ces entraves, et s'offrir plus pleinement à son talent sur la manipulation de la Nature. Son pouvoir serait total lorsqu'elle maîtriserait la totalité des essences. Difficile d'expliquer en revanche comment marchaient ces sceaux, ni même ce qui les ouvraient vraiment. Cela passait par une sorte de méditation et de progression spirituelle. Mieux Sofia anticipait la nature et l'ambivalence d'un élément naturel, mieux elle était capable de l'utiliser. Le verrou sautait de lui même lorsqu'elle tenait la base de l'essence naturelle. La suite n'appartenait alors qu'à elle et son travail...

Cette fois ci, Dame Alicia l'avait prévenue qu'il s'agissait du Souffle Divin, incarnant l'air. La première nuance était de taille. Contrairement aux autres essences, qui gouvernaient différentes facettes des saisons, et donc de son pouvoir, le vent était au dessus de tout ça. Il existait, indépendamment de l'état naturel. Aussi, il était plus dur à appréhender, car plus diffus. La seule chose qui changeait était son application. Mais le sort en lui même restait identique. La jeune femme était frustrée. L'essence était trop fluide, trop immatérielle, elle n'arrivait pas à la saisir. Le vent est omniprésent, il touche à tout sans distinctions, coulant et remplissant tout l'espace. Elle avait compris la terre et ses enfants, la croissance lente végétale. Elle comprenait l'eau, élément liquide aux aspects changeant. Elle concevait le feu, et sa chaleur. Mais pourquoi avait il fallu qu'elle tombe sur l'air si tôt ? Si ce verrou était venu plus tard... Aurait elle progressé sur la voie de la spiritualité que... Mais non, il n'y avait pas de détour possible. Elle était soumise à sa destinée. Le Cœur l'avait choisie, et elle y était définitivement liée, sans possibilité de retour. Son avenir était fixé. Et maîtriser les vents était son prochain obstacle. Acquérir cette essence était indispensable à la suite. Il n'y avait pas de détour possible.

Courage... Détend toi...

Sofia chercha dans ses souvenirs ce qu'elle savait de l'air. Pour certaines tribus, l'air était le symbole de l'amour, donc le siège était dans le cœur. Le chagrin polluait cette source de pouvoir. Mais ce n'était là que des croyances d'un peuple qui n'était même pas le sien. Elle se laissa aller à la brise qui parcourait la plaine. Février était un mois frais. Très frais selon les endroits. Mais le vent le parcourait, incessant... Le vent était une caresse tantôt douce, tantôt brutale, presque une gifle. Mais elle était éphémère, à peine sentie, elle était partie. Une étreinte intangible, et pourtant toujours présente. Timide, et impérieuse. Mais fuyante et insaisissable. Un amour à sens unique ? Car qui saurait rendre leur étreinte aux vents ?
Elle tenta à nouveau le sort, tendant son éventail devant elle. La brise se releva, mais était ce en réponse à son désir, ou bien une simple bourrasque naturelle ? Elle n'avait pas touché la vérité. Qu'est ce qu'était l'air ? L'air était le souffle de la voix, le porteur de la musique, des chants et des mots de haine... Il portait les graines fragiles dans ses bras, fragment des générations futures de pissenlits et autres fleurs aériennes.
Sofia replia son éventail. C'était inutile. Autant rentrer à l'hôtel. Elle ne comprenait juste pas ce qu'elle était sensé faire. Dame Alicia soupira dans son dos. Elle ne pouvait pas faire grand chose pour aider sa protégée. Elle ne pouvait que la conseiller, et la soutenir, dans ce lieu si loin de tout ce qu'elle avait jamais vraiment connu. L'aider à trouver la racine de son pouvoir. Le spectre eut un rictus amer. Comment pouvait elle l'aider dans son état ? Elle était bien incapable de toucher à la moindre étincelle de magie depuis son décès. Et encore moins de réconforter la jeune femme...


La jeune mage était assise sur le lit de la petite chambre d'hôtel. Elle sentait les larmes qui pointaient dans ses yeux. Elle ne le voulait pas, ce serait admettre qu'elle était faible, et qu'elle avait échoué. Et pourtant... N'était ce pas la vérité ? Elle était incapable de toucher à cette essence... Elle n'arrivait pas à manipuler les vents. Et si cette porte restait close, elle n'accéderait jamais aux suivantes... Et si elle ne pouvait atteindre les suivantes... Elle aurait échoué... Totalement... Le Temple, les Sœurs qui l'attendaient, prises dans la stase magique du Cœur... Elles l'attendaient... Mais si la jeune femme était faible, comment pouvait elle prétendre à... ? Le Cœur s'était trompé sur son compte... Elle était faible, et ne changerait pas... Sofia s'allongea lentement sur le lit, avant de laisser ses larmes couler.
Alicia flottait au dessus. Son temps de présence était compté, avant que le Cœur ne rappelle son âme. Elle voleta jusqu'à Sofia, se plaçant tout près d'elle, avant de l'entourer de ses bras fins et immatériels. Les larmes de la jeune femme cessèrent de couler. Certes, elle savait que Dame Alicia ne pouvait l'étreindre dans sa condition. Mais le geste était là. Une étreinte remplie d'amour. Le cri d'un cœur. Qui même s'il n'était plus matériel, survivait au passage du temps. L'amour d'un être plus diffus encore que l'air. Et le spectre disparu. Mais en partant, elle savait. Elle savait que Sofia avait trouvé.



Le lendemain, Sofia se plaça dans la plaine isolée qu'elle s'était trouvée pour s'entraîner. La sagesse véritable provenait parfois des êtres qui nous sont étrangers. Sofia se concentra. Autour d'elle, le sol gela lentement, répondant à son amplification magique. Elle tendit un éventail devant elle.

Divine Breeze

Une puissante rafale de vent s'écrasa sur le sol devant elle, aplatissant l'herbe. L'air et l'amour. Porteur de la voix, qui reflétait les vibrations des âmes... Qui portait les graines de l'espoir et du lendemain. L'étreinte immortelle qui reste avec nous jusqu'à la toute fin... Le Souffle Divin était à elle. La jeune femme se laissa tomber. Le destin avançait. Mais elle aussi. Elle s'était tellement focalisée sur l'aspect matériel de l'air qu'elle avait été aveugle à sa force profonde. Mais elle grandissait. Et comprenait. Plus encore, elle savait. Qu'importe la suite, elle l'affronterait. Mais l'air lui avait également fait comprendre quelque chose. L'air est un élément multiple et uni. Et de la même façon qu'on ne pouvait vivre sans air... Peut être devait elle accorder plus de considérations aux autres... Ce n'était pourtant pas qu'elle ne le voulait pas. Juste qu'elle ne le pouvait pas. Elle n'avait pas le temps nécessaire pour créer des liens. Et pourquoi se lier à un inconnu si c'était pour en avoir le cœur brisé à la fin, lorsqu'il aurait trahi et abandonné tout ce en quoi ils avaient cru ? Amis, famille... Peut être devait elle changer. Elle l'ignorait. Peut être devait elle simplement laisser les choses se faire, et voir sur quels chemins l'avenir la mènerait ?

Non, finalement non. Ouvrir la porte, c'était laisser entrer le tout et n'importe quoi. Donc elle serait deux fois plus féroce. Fini les niaiseries. Mais sait on jamais... Peut être viendrait elle à rencontrer quelqu'un qui la fasse changer d'avis ? Bon courage, la jeune femme était bien déterminée à ne plus se laisser ainsi aller à des élans sentimentaux. Elle était forte. Et elle le ferait savoir au monde.