Parce que parfois le métal n’est pas la réponse aux affaires locales, me voilà pendue à un mur en attendant un imprévu. Oui oui, vous avez bien lu. Je suis pendue par les pieds à une corde alors que je me sers de mes dagues comme poinçon d’escalade. Accrochée de façon lamentable à la façade d’un manoir en pleine nuit. Et qu’est-ce que je fais maintenant que je suis là ? A vrai dire… Je n’en sais absolument rien. Je suis là pour le comte Vassago Del Alvaro.

Un démon pas très prudent qui prenait son véritable nom pour se mêler aux humains. Il n’avait pas non plus dissimulé ses dons. Dans cette région de Bosco. Il avait profité du chaos ambiant pour instaurer son petit règne de « Prince des miracles » sur un petit bourg. Les habitants et les informateurs l’avaient dépeint comme un homme charitable qui ne refusait pas de mettre les mains dans la terre pour aider et qui accueillait les sans-abris dans ses propres murs. Un démon qui se faisait passer pour un saint en consolant la veuve éplorée qui vient de perdre son alliance au champ. Curieusement, elle la retrouve le lendemain et repart, le sourire aux lèvres border son gamin en chantonnant.

Un gentil démon qui était plus qu’en mesure de m’aider dans ma quête de l’assassin de Bastian. Sous moi, une servante traverse l’esplanade de la bâtisse. Manque de veine pour elle, j’avais justement besoin d’un déguisement pour m’introduire là-dedans. Je me laisse chue dans son dos, sans un bruit. Ma main la bâillonne alors que mon bras commence un étranglement machinal. Elle se débat quelques instants et cherche à appeler de l’aide mais la torpeur la surprend juste à temps. Elle se laisse donc aller contre moi alors que je commence à la tirer à l’abri des regards.

- Pardonne-moi mais c’est un cas de force majeur.

Je commence à intervertir nos vêtements. Par respect pour elle, je prends mille précaution pour qu’elle les ait bien revêtit. Je n’allais pas laisser cette pauvre femme prendre froid dans la roseraie du comte tout de même. Elle ne le méritait pas. Je la ligote, histoire de gagner un peu plus de temps si elle se réveille pendant mon incursion dans la riche demeure. Satisfaite des résultats, je me mets en route pour l’entrée du personnel tout en réfléchissant. En temps normal, je l’aurais surement tuée. Je croise plusieurs employées mais n’y prête guère attention. L’une d’elle m’arrête même dans le couloir.

- Où vas-tu ?
- Maitre Vassago m’a demandé de le rejoindre. Je n’ai pas le temps de trainer.
- Bien. Tâche de bien surveiller les alentours et ta tenue. Le Comte a prédit l’arrivée d’une étrange visiteuse. Il veut qu’on l’accueille avec distinction.
- Oui madame. Au revoir madame.

Je reprends mon avancée après avoir congédié brièvement mes deux consœurs. La grandeur des lieux ne me simplifie pas la tâche. Je tourne une ou deux fois en rond avant de m’arrêter. Je devais trouver un moyen de me repérer dans les plus brefs délais si je ne voulais pas que ma chère endormie ne donne l’alerte. Certes, Vassago avait prévu de m’accueillir avec les honneurs mais je doutais franchement qu’il apprécie mes actes.

Si un invité dans votre maison vous contrarie ou vous embête, traitez-le cruellement et sans pitié.

Des voix dans mon dos me poussent à me dissimuler derrière un rideau. Les Maids passent près de moi en babillant sur leurs conquêtes et leur train de vie. J’entendis leur pas s’éloigner, leur conversation futile s’amenuiser. J’allais sortir de la salle où j’avais pénétré par mégarde quand une main m’attrapa l’épaule. Je me retourne vivement pour faire face à un beau jeune homme qui avait à peu près mon âge. Sa seconde main saisit mon menton et le fait pivoter pour l’observer d’un œil expert.

- Ah mon cher Vassago ! Tu as un véritable don pour recruter des trésors de beauté à ton service.

Mon interlocuteur passa une main autour de ma taille et m’escorta vers un fauteuil dont je ne voyais pas l’occupant. Son dextre sur ma hanche, il incita le comte à se retourner vers nous.

- Regarde-moi celle-ci, une belle blonde à la peau pure. Un vrai délice pour le regard et, si tu veux mon noble avis, une tendre sucrerie dans un lit de soie.
- Asmodée. La demoiselle que vous tenez n’est qu’une visiteuse de passage.

Les traits agréables du démon de la luxure se froncèrent alors que le soupir de Vassago retentissait contre les murs de l’antichambre. Je vis un dos courbé se lever alors qu’un second homme, dans la force de l’âge celui-ci, prenait le temps d’avancer vers moi. Impassible, je retire la main qu’Asmodée glissait plus bas que ma colonne vertébrale. Soit j’étais maudite, soit j’étais tombée dans un p*tain de piège bien huilé. Le vieux démon des choses cachées s’approcha de moi et plissa les yeux.

- Mon enfant, veux-tu bien t’approcher s’il te plait ? J’ai bien peur que ma vue ne soit encore plus défaillante que d’habitude.

Le jeune démon me pousse doucement vers son ainé qui me tend une main ridée. Je la saisis et il y claque un gentil baiser du bout des lèvres.

- Asmodée, mon Prince, voudriez-vous rester pour le diner ?
- Malheureusement, je ne vais pas m’attarder Vassago. Je vois que tu as de ronde affaire à mener, répondit l’intéressé en détaillant mes courbes.
- Vous m’en voyez navré mon Prince.
- Et moi donc petit comte, et moi donc.

La luxure se rapprocha, collant son souffle chaud dans mon cou avant de me murmurer un simple au revoir.

- J’ai hâte que tu viennes me revendiquer petite Lady. Je sens qu’on va bien s’amuser tous les deux.

Il prit le temps de me marquer de ses lèvres avant de disparaitre comme un voleur. Je fis la révérence à Vassago avant de l’aider à retourner s’installer dans son siège. Je m’assis face à lui comme une petite fille face à un grand père qui va lui raconter une histoire.

- Je savais que tu viendrais Karito ou devrais-je plutôt t’appeler Dame Oméa des plaines d’Aria de Desierto même si ton vrai nom est sensé t’être inconnu.
- Oméa de Desierto ? Ce n’est pas moi.
- Non, en effet ce n’est plus toi. Mais passons ma petite, passons. Tu as quelque chose à me demander n’est-ce pas ?
- Bastian Tomaso. Sylva Shizuka Nubain. Mes deux maîtres et les derniers. Je les ai perdus et j’aimerais les retrouver.
- Le premier sonne en moi comme un frère joueur alors que le second semble être un père aimant. Mon enfant, courir après les morts n’est pas une bonne chose.
- Bastian n’est pas mort. Sylva je l’ignore. Dans tous les cas, je ne perdrais pas espoir. J’ai donc besoin de votre aide pour les retrouvez. Tous les deux.

Le vieux démon me sourit avec douceur. Une douceur infinie et une tristesse sans borne.

- Tu veux donc passer un pacte pour les retrouvez. Je ne sais pas si c’est fou ou admirable mais j’accepte.
- Je vous remercie comte Vassago, vous n’imaginez pas à quel point je …

Il m’arrêta d’un geste.

- Tout à un prix ma chérie, tout à un prix.
- Je paierais. Comme je l’ai toujours fait et je le ferais encore.

Ses doigts décharnés détachèrent un pendentif qui ornait son cou. Un pendule de métal pur.

- Tend-moi ta main Shizuka.

Je m’exécute. Les bords tranchants de l’objet entaillent le creux de ma paume alors que Vassago tente maladroitement de le poser à l’intérieur. Celui-ci soupir d’aise quand l’odeur de mon sang parvient jusqu’à ses narines. Mon poing se referma sur l’objet.

- Alors ? Quel est ton prix ?

Il posa un genou à terre et s’empara de ma main blessée tout en passant le cordon du pendule autour de mon cou. Il s’abreuva du liquide pourpre qui goutait sur son beau tapis. Petit à petit, lentement. Jusqu’à ce que la coagulation est stoppé le flot. Ses yeux vitreux se mirent donc à fixer la fenêtre dans mon dos

- Vassago ?
- Sortez d’ici. Avant que je ne choisisse d’augmenter votre dette Oméa. Et surtout promettez moi de chasser la vérité et les choses dissimulé ou je vous garantis que vous le paierez bien plus cher que vous ne pourriez l’imaginer.
- Je …
- FILEZ D’ICI VOUS DIS-JE ! VOUS AVEZ D’AUTRE CHAT A FOUETTER ET MOI AUSSI !

J’acquiesce la tête et m’écarte peu à peu des lieux. Le changement de comportement du démon m’intrigue au plus haut point mais il avait raison. J’avais quelque chose de plus pressé à faire. Je sortis de la propriété, bien décidé à donner la traque dès maintenant. Seulement, j’avais la très nette impression d’avoir oublié un détail mais lequel ? J’allais franchir le portail quand ça me revint en mémoire.

M*rde ! Mes vêtements !

Pauvre servante. Un peu de plus j’allais partir avec ses affaires et lui laisser les miennes ainsi que mes souvenirs. Je fis demi-tour pour m’occuper de ce menu détail avant de revenir devant le vantail, le pendule en main.

- Cette fois, c’est la bonne. Alors, mon ami, où se trouve Eskesio ?

La lame se mit à tourner toute seule avant de m’indiquer une direction sur la carte que j'avais déployée. L’est. Droit en travers de Stella et d’Iceberg. Droit vers l’endroit où tout avait commencé pour moi. Pergrand Kingdom.