La jeune femme s'agitait dans son grand lit. Elle gémissait, remuait, tentait d'échapper à ce qui l'oppressait. Elle sentait la bête s'agiter en elle, sans qu'elle ne puisse y résister ou la repousser. Elle frissonnait sous ses assauts incessants, ne pouvant combattre ce qu'elle sentait l'envahir. Son corps la brûlait, son cœur battait à pleine vitesse. Elle cédait. Et elle ne pouvait que se laisser enfoncer dans les abysses...

Alicia avait déjà eu plusieurs fois un aperçu de la bête. Lorsqu'elle avait été soumise au mage psychique. Puis lorsqu'elle avait eu besoin de pousser sa force magique. A chaque fois, elle l'avait sentie de près. La bête qui sommeillait en elle. L'appel du sang et de la destruction qui résonnait dans ses veines. Le chant de la vampire qui voulait abattre sa force sur le monde. Se baigner dans le sang sans distinction. Malgré l'attrait du pouvoir, Alicia ne s'était jamais laissée aller à s'y soumettre. Elle ne voulait pas perdre son humanité. La femme et la vampire s'était toujours voué un combat âpre. La magie contre le cœur. L'humaine contre le monstre. Deux femmes pour un corps. La première avait bien besoin de l'autre pour s'amuser et continuer à vivre pleinement. L'autre ne demandait que cela. La première n'oubliait jamais de museler sa sœur. La seconde ruait contre ses chaînes.
Cependant... C'était devenu difficile. Plus la lady devait faire appel à la vampire, plus celle ci s'enracinait. Ses nuits étaient devenues un calvaire, sa nature profonde, profitant de son sommeil, lançait des assauts répétés contre son âme, cherchant à en prendre le contrôle. Et elle faiblissait... Au début, ce n'était guère plus que des cauchemars, que des impressions étranges. Mais alors que la jeune femme se fatiguait et que la vampire devenait plus forte, le rapport de force penchait en sa défaveur. Elle ne voulait pas perdre ce qu'elle était. Elle ne voulait pas s'abandonner au monstre qui dormait. Les gens ne voyaient déjà plus que la vampire, et restaient aveugles à la femme. Si elle perdait le contrôle, sa flamme s'éteindrait. Cette soif obsédante, cette violence et cette rage animale...

La bête relança un nouvel assaut. La jeune femme hurla dans son sommeil. Elle sentait son cœur la brûler. La bête avait de quoi combattre. Elle s'appuyait sur les émotions négatives, sur les faiblesses de la jeune femme, qu'elle avait pris tant de soin à cacher et dissimuler, allant jusqu'à les nier. Elle se rattachait à ses souvenirs. Son identité. Elle était Alicia de Layana. La belle et terrible tueuse de Purple Bugloss. Jamais elle n'avait été maîtrisée, et jamais elle ne le serait. Nul ne pouvait espérer faire d'elle son jouet. C'était elle la marionnettiste, et nul autre. Personne ne pouvait l'approcher sans son accord. La vampire contre-attaqua. Oh si. Il y avait bien quelqu'un qui l'avait approchée. Mais il n'était plus actuellement. Elle était faible. Elle avait besoin du pouvoir en elle... Alicia roula dans son lit en gémissant, tirant les draps à elle. Une larme roula sur son visage.

Elle n'avait plus la force. La vampire était puissante. Son chant glorieux, porteur de mort et de fascination résonnait dans son esprit, mélodie entêtante et envoûtante. Il résonnait dans ses veines, dans son âme, empoignant son cœur comme une fleur fragile. Une fleur si délicate qu'il suffirait de serrer un peu trop les doigts pour qu'elle ne tombe en morceaux. Et la vampire serait doucement cette jolie rose, l'étreignant, la griffant. Alicia sentit qu'elle perdait pieds. Elle serra les dents dans son sommeil. Elle sentait son cœur s'éteindre sous la caresse de la vampire. La lumière rose et douce de la délicate rose s'éteignait, alors que celle ci se fanait. Elle ne tenait plus. La vampire avait raison. Elle était faible, même si elle se l'était toujours caché. Et elle en payait le prix...
La vampire se rapprocha de la rose, nimbant les alentours d'un pourpre sanglant. Son aura entoura la rose. Une tige épineuse jaillit de la rose, s'enroulant autour de l'esprit pourpre. Aucune d'elles n'abandonnerait jamais. Alors autant tenter un dernier coup de poker. La rose tracta la vague pourpre jusqu'à elle. Ses pétales d'une blancheur immaculée prirent la teinte du sang. Alicia eut un hoquet dans son lit, se crispa, puis tout son corps se détendit brusquement.


Dans un grand lit aux draps de soie, une jeune femme se leva lorsque l'aurore éclaira doucement la pièce. Elle frissonna dans sa simple nuisette, et se glissa jusqu'à sa coiffeuse. Machinalement, elle commença à se brosser ses longs cheveux en fredonnant. Elle n'était pas certaine de ce dont elle avait rêvé cette nuit. De drôles de choses. Oh, qu'importe, elle se rappelait de peu de rêves dernièrement. Le mouvement machinal de la brosse au réveil l'apaisait. C'était son petit rituel. Et ses esclaves préparaient son repas en bas, elle avait du temps pour elle. Elle n'avait jamais trop su d'où venait l'air qu'elle se plaisait à chantonner. Quelle importance de toutes façons ? Sans doute une quelconque nourrice de son enfance, alors qu'elle était encore trop juvénile pour saisir leur bassesse. Elle se tourna brièvement vers le large miroir pour poser la brosse. Et elle vit son reflet. Elle en lâcha la brosse de surprise, qui tomba sans un bruit dans l'épais tapis. Son reflet avait... changé. Elle était... différente dans la veille. Plus belle. Une sorte... d'aura de charme. Ses cheveux à la douce teinte de l'ébène avaient pris une teinte argentée. Comment avait elle pu rater cela ? D'autant que ce n'était pas que son apparence. En faisant plus attention, elle remarqua également que tout ses sens semblaient... plus développés que la normale. Exactement comme lorsqu'elle...

Elle retint un hoquet. Elle réfléchit à ce qu'elle sentait exactement. Il n'y avait pas de doute possible. Le pouvoir coulait à portée de sa main. Or, sa métamorphose s'annulait toujours dans son sommeil, son esprit déconnecté coupant toute magie. Si elle avait toujours accès à ses talents, et que son physique avait à ce point changé... Elle se prit la tête entre les mains. Elle n'était plus sûre. La nuit derrière, elle avait... ? Le pouvoir contre le cœur. Plutôt que lutter, elle avait fusionné avec la vampire. Le cœur d'une femme, l'âme d'une vampire. Un univers entre les deux.

Une des servantes entra dans la pièce pour s'enquérir de ses désirs. Alicia la chassa. Tout en elle paniquait. La servante et son odeur si enivrante, un visuel si précis, le fait d'entendre chaque petit claquement de ses souliers sur le sol. La jeune femme ne savait plus trop où elle en était. Certes, elle ne risquait plus de se perdre dans les méandres de l'esprit de la vampire, mais elle avait du faire des concessions. Dont elle ignorait l'ampleur.


Après un bain prolongé qui lui rappela que son odorat performant était maintenant permanent, et un habillage rapide, la jeune femme fila. Elle avait besoin... d'un endroit isolé, ou d'une cible, elle ne savait pas trop. Il fallait qu'elle apprivoise à nouveau la magie qui coulait en elle. Cette magie qui quelque part avait toujours été celle d'une autre. Il ne restait plus qu'une désormais.

Elle eut l'occasion de se faire les griffes bien assez tôt. Un homme, âge moyen, passablement ivre, visiblement ravi de croiser une jeune femme séduisante. Il se laissa facilement approcher. La jeune femme eut quelques soucis avec sa charme, la peau lui démangeait, et elle ne savait pas trop comment le limiter. Ces brefs éclats étaient suffisant pour attirer l'homme, qu'elle mena à l'arrière d'une ruelle. Encore une fois, elle sentit les choses... glisser hors de son contrôle. Elle avait du mal à maîtriser l'ampleur de ses talents. C'était flatteur d'être un tel calice de talents qu'ils en débordaient. Mais bigrement peu pratique. Elle lui trancha la gorge de façon maladroite, presque du travail d'amateur. Vexant pour sa réputation. Il allait falloir qu'elle massacre un certain nombre d'individus avant de se remettre parfaitement en selle.

Ses sorts et sens semblaient erratiques, elle avait atrocement de mal à les fixer clairement. Même après les trois derniers morts. Brûlé, poignardé, égorgé. A chaque fois, ses énergies semblaient déborder. Assise sur un toit, elle secoua ses cheveux désormais d'opale. Il lui faudrait aussi du temps pour se faire à ça. Au moins avait elle conservé ses mirettes violines, c'était toujours ça. Un regard familier dans le corps d'une étrangère. Elle soupira en regardant la lune. Comment diable allait elle reprendre ses activités si elle ne contrôlait même pas ce qu'elle était ? Elle avait sauvé son humanité, mais elle avait tant perdu qu'elle se sentait incomplète. Elle avait même du mal à contrôler sa force physique. Auparavant, elle jouait sur les formes, et de plus, elle savait limiter la pression... Maintenant, elle avait tellement de difficultés... Et ses sorts qui ne répondaient plus... Même Murmure qui était une simple invocation avait fait des dégâts en libérant des invocations catastrophées. En perdant une part d'elle, n'était elle plus bonne à rien ? Cela ne se pouvait, elle était l'incarnation de la perfection, une divinité dans ce monde de plébéiens empotés.

C'était peut être ça la réponse... Elle n'était pas incomplète... Non. Bien au contraire. Elle était pleine et entière. Le cœur d'une femme avec l'intégralité des pouvoirs de la vampire. N'était ce pas un pas de plus vers la perfection ? Elle se releva sur son toit. C'était chose faite à présent. Elle était la véritable reine de la nuit. L'intégralité de ses pouvoirs n'appartenait plus qu'à elle, et à elle seule. Elle ne dépendait d'un esprit alterne, gouverné par ses propres besoins et appétits. Certes, sa soif de sang s'était accrue... Mais elle était entière, débordante de pouvoir. Son talent lui échappait parce qu'elle le refusait au fond. Mais de quoi devait elle encore avoir peur ? La vampire n'était plus. Elle était la vampire. Et son ombre allait s'étendre sur le monde.