La jeune femme avait regardé Shizuka toucher aux ouvrages de la bibliothèque. Nul doute qu'ils étaient très anciens. Mais entre les pages couvertes de taches de sang, et ce qui semblait "bouger" derrière, ils n'étaient guère attirants. Shizuka fit tomber un des livres, révélant une illustration qui, si elle était sublime d'un point de vue technique, offrait une vision peu agréable. L'auteur avait des goûts visiblement douteux, et probablement une névrose avancée.
Par accident, Shizuka provoqua le pivot de l'étagère, révélant un couloir secret. Comme celle ci l'affirma, entre un couloir qu'elles savaient piégé, et un passage secret "potentiellement" piégé... Autant tenter le tout pour le tout. D'autant que le comte avait parlé de "jeu". Or, dans un jeu, il y a de bonnes et de mauvaises surprises. Elles pouvaient donc être récompensées pour leur découverte. Certes, un véritable ennemi aurait piégé l'intégralité du système. Mais un individu instable et joueur pouvait commettre de monumentales erreurs. Aussi pénétrèrent elles toutes les deux dans le passage. Il était passablement long et sombre, surtout une fois l'étagère remise en position dans un claquement sec.

Au bout de quelques temps cependant, une lueur orangée se fit appercevoir au bout du couloir. Sur le coup, Sofia ne sut pas tout à fait garder sa contenance. Elles se trouvaient dans une véritable église. En plein coeur du manoir. Le comte était sans aucun doute un individu puissant. Une cathédrale entière ne pouvait pas se trouver dans le manoir. Pourtant, elle y était. Leurs notions de l'espace, et qui sait peut être du temps, avaient été modifiées dès qu'ils étaient entrés dans ce manoir. Ce qui expliquait peut être que Sofia ne puisse contacter le Conseil. Elles étaient dans un autre espace.

La jeune femme ne remarqua guère que quelques vases de fleurs dans des petits alcôves. Zut, il allait falloir rester sur du corps à corps. Car plus que les vases, il y avait une personne dans la cathédrale. En train de prier. Sofia ne se souvenait pas l'avoir vue à la réception. Mais elle exalait une pureté déconcertante. Se pouvait il qu'elle se soit réfugiée ici lorsque tout avait commencé? Peut être même avait elle des informations sur le comte et l'organisation du manoir... Quand bien même il aurait une organisation, car le fait de pouvoir contenir sans sourciller une cathédrale signifait qu'il n'avait potentiellement pas de sorties, et tournait sur lui même...


Sofia avait bien appris son manuel. Très important pour les supérieurs. Stupide. Mieux valait lancer une attaque surprise, puis poser les questions quand on est maître du jeu. Mais elle ne faisait pas les règles. Ni au Conseil. Ni dans ce manoir étrange.

La jeune femme semblait être une religieuse. Elle se tenait en retrait, les yeux baissés, le corps serré pour protéger ses organes vitaux. Tout chez elle signalait la crainte. Elle était blessée et bouleversée. Comme c'était étrange... Ce lieu était imprégné de terreur et de peur, pas de crainte et de mélancolie... D'où sortait donc cette femme? Sofia préférait la garder à l'oeil.

Mais la malheureuse religieuse n'avait pas fini de la prendre au dépourvu. Elle se mit à pleurer. Un véritable torrent de larmes. Des larmes de soulagement, de tension, des larmes pures et véritables. Sofia se relâcha. La religieuse ne simulait pas. Bien sûr, cela ne signifiait pas que ses sentiments étaient réels. Seulement qu'ils lui semblaient réels. Mais au moins méritait elle de la compassion. D'une voix hachée et saccadée, elle ouvrit enfin la bouche, entre deux sanglots.

" Mon nom est Anabella, je suis désolée si ma présence vous a effrayé, mais également de ne pas savoir ou est la sortie. J'avais espéré qu'après tant d'année a ne voir personne à part mon ombre silencieuse, nous pourrions nous entraider. J'ai attendu tant de temps pour trouver des personnes qui pourraient m'aider. Je ne sais pas quoi faire. Aidez-moi ! Je vous en supplie ! "

Tant d'années? Hmm... Voilà qui était étrange, comment aurait elle survécu ici si longtemps? Tout les serviteurs du comte n'étaient que poussière en fin de compte, que faisait elle là seule?

Nous cherchons également une issue. Votre connaissance des lieux pourrait nous être utile.

Et de plus, même si elle croyait à ce qu'elle disait, ce n'était pas la vérité pour autant. Et il valait mieux garder le serpent devant soi que de le laisser nous frapper par derrière. Sofia s'agenouilla auprès d'Annabella, lui tendait un mouchoir de tissu.

Séchez vos larmes, tout ira bien.

Elle lança néanmoins un léger coup d'oeil à Shizuka. Annabella était potentiellement une vraie civile. Mais dans ce manoir où le réel et l'irréel se chevauchait en un fondu discontinu, comment croire les apparences?