Bordel de pompe à cul

Le juron fit presque perdre la mélodie à Misto. L’illusion vacilla légèrement alors qu’elle en reprenait aussitôt le contrôle.

Radulf, on va changer les plans, il faut qu'on se sauve d'ici. Runolf, tiens-toi près à te disperser dans tout le manoir.
Tu penses qu’elle est blessée ?
Je suppose, oui. Henning ?
Gagné ma cocote, elle a l’esprit complètement embrumé.


La jeune femme effectua une légère pirouette sur scène alors que le mirage qu’elle avait créé se désagrégeait. Les esprits redeviendraient plus clairs pour les moins avinés et les artistes mais il fallait qu’elle se dépêche avant que Sacha ne s’aperçoive qu’elle avait tenu bien plus longtemps que son passage prévu. Elle entama une autre mélodie après avoir murmuré le sort qu’elle comptait utiliser.

- Green Ether

La brume s’éleva au rythme de la mélodie avant de se répandre partout dans la pièce alors que l’ambiance changeait du tout au tout. Le jeu qui fascinait tant les spectateurs les lassa. Le subtil décor illusoire devient simple chanson. Les riches Lady et gentleman applaudirent longtemps, tout comme les artistes. L’adolescente s’éclipsa dans le couloir sous les félicitations de la troupe qui reprit son spectacle comme si de rien était. Misto, à présent seule, déchainait tout ce qu’elle pouvait pour garder la maîtrise des évènements alors que Runolf avançait paresseusement le long des couloirs pour s’infiltrer sous chacune des portes qu’il pouvait rencontrer.

Dépêche-toi Runolf s’il te plait, je dois savoir où elle se trouve.
Je fais comme je peux. La brume ça se dissipe ma petite.

Les bras de brumes parvinrent à destination après moult détours et erreurs. Ils s’enroulèrent autour du corps prit à défaut de Nywell et entamèrent leur travail de guérison.

- Avant tout, se débarrasser du problème à la racine.

Le frimas se compressa tout autour d’elle et s’infiltra par les voies respiratoires. Misto choisit de stopper son illusion à ce moment-là. Courant dans les couloirs sur les instructions du Confident, elle finit par trouver la bonne porte. Surveillant le passage des convives, elle appuya sur la poignée une fois. Deux fois. Trois fois mais sans plus de résultat.

- Flûte ! Si seulement on était chez moi j’aurais pu forcer cette saloperie de porte…

Elle parla alors à Nywell, coincée de l’autre côté.

- Si tu as assez d’énergie éloigne toi de l’entrée.

Les tatouages de Green Ether commençaient à se dessiner son bras lorsqu’elle donna un violent coup de pied dans le vantail. La douleur reflua également, surprenant la jeune femme en pleine action. Elle attrapa son épaule et se mordit la lèvre en reprenant son assaut. Le second coup ébranla la porte et le troisième la fit crier grâce. La lèvre en sang et la souffrance du sort de guérison se répercutèrent à l’unisson dans le corps de la jeune femme.

Je dois tenir. Pour ma grande sœur. Pour moi. Pour tout.

Elle attrapa Nywell par son bras valide alors que Runolf se débrouillait pour chasser un maximum de tranquillisant. Elle tenta de la relever avant de changer d’avis et de la charger sur son dos. Elle faisait un boucan de tous les diables mais elle n’avait guère le choix. Elle n’était pas trop lourde, ça devrait le faire pour la transporter le plus loin possible. Elle jeta un coup d’œil à la pièce et remarqua Lord Nanjo étendit sur le lit.

- Moi qui pensais que les nobles d’Iceberg étaient les pires malotrus qui puissent exister …
On s’attardera là-dessus plus tard. Pour le moment il faut partir et très vite.
Runolf, continue de t’occuper d’elle pendant le trajet

Misto revint sur ses pas et passa en coulisse les excuser. Le loup éthéré se dissipa pour reprendre son œuvre en territoire interne chez la jeune femme aux cheveux argentés.

- Ma grande à peut-être un peu abuser de la boisson et n’est plus en état de poursuivre les réjouissances. Pouvons-nous nous retirer s’il vous plait ?
- Oui, allez-y, vous nous avez bien aidé, sourit Sacha.

Sortant par une des issus à domestique de la riche demeure, l’adolescente s’assura que sa passagère allait bien avant de passer dans la rue. Elle alla jusqu’au lieu où elle avait établi son domicile. C’était une petite taverne ni trop fréquentée ni pas assez où la tenancière la considérait presque comme sa petite fille. Il fut légèrement surpris par l’arrivée des deux demoiselles mais la Kashu le rassura d’un geste.

- Je ne fais que l’aider, je l’ai trouvé droguée dans une ruelle, j’espère qu’elle va bien. Tu pourras nous apporter deux repas chaud s’il te plait Gaïa ?

Hochant la tête, la gérante vint l’aider à transporter Nywell jusque dans la chambre que la jeune brunette louait. Elle referma la porte derrière elle et posa sa sœur sur le lit. Faisant appel au dernière ressources en sa possession, elle se concentra sur le travail de Runolf en essayant de faire fit de la douleur de la contrepartie.

Arrête le sort. Les effets sont neutralisés elle devrait émerger d’ici peu.

Misto observa la demoiselle à la tignasse albinos avant de s’assoir sur une chaise. Dissiper le sort lui avait pompé beaucoup d’énergie et payer le prix de cette guérison encore plus. Elle remarqua d’ailleurs que les veinures verdâtres sous sa peau étaient un peu plus présentes que la normal. Les détails étaient légèrement suggérés sur la peau claire de la Kashu. Elle haussa les épaules. Cela lui donnait un autre style, moins enfantin, plus femme. L’attente allait lui paraitre sacrément longue, elle le sentait. Elle choisit de chantonner une vieille comptine de son pays pour se donner une idée du temps qui allait passer et aussi parce qu’elle avait une fatigue monstre qui la dissuadait de faire autre chose.

- Dans les plaines enneigées,
Vit la noble descendance et sa princesse.
Dans le château de givre fait,
Bat la famille déchue des enchanteresses.

Elle allait entamer le second couplet lorsqu’elle s’aperçut que sa coéquipière l’observait très attentivement. Misto esquissa un sourire.

- Elle te plait ? C’est l’histoire du pays d’Iceberg. On nous l’enseigne tout petit là-bas.

Elle poursuivit, voyant que la jeune femme regardait tout autour d’elle avec une légère inquiétude.

- Tout va bien, nous sommes hors d’atteinte pour l’instant grande sœur. Je n’aurais jamais cru qu’on tomberait sur un être aussi vil que lui. Nous allons manger un bon repas chaud, attendre que tu puisses te mettre en marche et filer donner cette broche au plus vite.

Le bruit de quelqu’un qui cogne à la porte se fit bientôt entendre.

- Quand on parle du loup, sourit Misto, il est temps de profiter de l’accalmie et de discuter un peu toute les deux.

L’adolescente ouvrit la porte et remercia chaleureusement son amie la tenancière qui posait les plateaux sur une petite table dans la chambre. Gaïa repartit presque aussitôt et la brune tendit son repas à Nywell.

- Je vais tout te donner dans le désordre, tu feras le tri, ok ?

Elle inspira un grand coup et posa les deux questions qui lui brulaient les lèvres :

- As-tu ou enfin cherches-tu une guilde ? Et … Puis-je te considérer comme ma grande sœur même si ce n’est pas dans le contexte d’une mission ?

Avalant une cuillère de ragoût, elle attendit tranquillement ses réponses.

- Pauvre petite chose, tu ne sais pas à quoi tu t’engages. Tu es orpheline tout comme moi n’est-ce-pas ?

Orpheline ? Oui ? Non ? Misto n’en avait pas la moindre idée en fait.

- On ne m’a jamais répondu quand je posais la question, avoua-t-elle, j’ai été élevée sans savoir si j’avais des parents ou pas.

Nywell posa les bols de côté et la serra dans ses bras. La jeune fille posa sa tête sur l’épaule de son ainée. Elle était heureuse comme jamais auparavant. C’était chaud, doux. Etait ce que l’on ressentait en étant dans les bras de sa mère ? La voix de sa sœur vacillait légèrement avec les larmes.

- Si tu savais comme, lorsque j’avais ton âge, j’en ai rêvé de cette situation. Combien je mourrais d’envie d’avoir ne serait-ce qu’une seule personne au monde pour qui mon existence aurait de la valeur. J’en ai tellement rêvé que cela me faisait mal…

L’adolescente savoura ce contact, cette solitude commune qui disparaissait et cette joie qu’elle partageait avec une femme dont elle avait l’entière confiance.

« Si c’est vraiment ça que tu veux, je serais enchantée de partager ce lien avec toi, d’avoir un visage familier qui sera toujours heureux de te voir… »
- Je le veux sincèrement. Une personne avec qui on sera toujours chez soi quoiqu’on fasse ou fera.

La brune regarda l’objet que lui tendait sa nouvelle sœur. Les deux bagues luisaient doucement, à l’unisson, comme deux siamoises. L’une, d’un bleu azuré, comme l’autre, d’un rouge flamboyant, étaient d’une beauté sans fioriture. Nywell reprit alors :

- Ca peut paraitre ridicule, mais… Choisis en une, je garderais l’autre, ce sera notre lien. Même si on est séparée, il te suffira de regarder cette bague et de penser à moi, je ferais de même…

Misto acquiesça et laissa la jeune femme aux cheveux d’argent terminer de parler. La pointe d’amertume qui accompagna la tirade laissa la jeune Kashu perplexe.

- Non petite sœur, je ne cherche pas de guilde pour l’instant, je ne suis pas encore prête. Si je l’étais, je ne serais pas dans ce lit et tu n’aurais pas eu besoin de me sauver… Lorsque le temps viendra, j’irais te voir à Eagle’s Claw…

L’adolescente roula sur le lit avec Nywell. Elles restèrent dans les bras l’une de l’autre pendant un long moment. Elles profitèrent de ce lien créé puis se levèrent d’un commun accord. Misto guida son ainée dans le dédale des rues d’Hosenka. La Kashu commençait à les connaitre par cœur et puis elle était la seule au courant du lieu de rendez-vous. Le riche salon de thé où les attendait la jeune Dame était bondé de femme des hautes sphères. La brune s’engagea sans crainte sous le regard courroucé des riches compagnes. Elle trouva enfin sa cliente au beau milieu d’une partie Bridge. Se glissant dans le dos de son employeuse, elle lui désigna une carte du bout du doigt :

- Vous devriez poser celle-ci Milady.

Elle profita du fait que la totalité des Dames soit absorbées par le coup pour accrocher la broche au manteau de sa payeuse et récupérer la somme convenue dans la poche de celle-ci. Ce n’était certes pas une manière habituelle de procéder mais la cliente l’avait choisi pour conserver un minimum de discrétion. Misto repartit avec Nywell. Elle s’arrêta dans une ruelle et farfouilla dans son sac. La jeune fille en sortit la dernière clochette de son arsenal ainsi que la moitié de la lourde récompense et les lança à sa sœur. Celle-ci l’interrogea du regard et la jeune mage expliqua :

- Un moyen de me contacter si tu as besoin de moi et de nous garantir de nous revoir au moins une fois. Si tu la fais tinter, un de mes loups apparaitra pour t’aider ou transmettre un message et je pourrais te retrouver où que tu sois. Elle est à usage unique.

La Kashu serrait dans sa main la bague de saphir quand elle lui adressa un dernier salut. Elle disparut dans la foule et sortit de la ville. Misto avait trouvé un lien qu’elle n’avait jamais connu et elle n’avait qu’un espoir : le retrouver le plus rapidement possible. Sa vie prenait un tournant inattendu. Elle goûta le sentiment d’être plus libre et plus vivante que jamais. Etait-ce cela avoir une famille ?