- Qui t'envoie ? Ah oui c'est vrai, Sylva......Ça veut dire qu'il est mort.

Je me rembrunis. Mort. J’avais vraiment du mal à accepter. Il posa sa main sur ma joue avant de me repousser doucement. Son timbre de voix est critique, à la limite du dédaigneux.

- Qu'est qui te fait dire que je veux bien de toi à mon service ? Sylva était un bon agent mais je vois pas pourquoi je devrais m'occuper de toi ?

Je gardais le silence et soutenait son regard de mon mieux. La seule similitude que je vis fut leur réflexion mais il n’avait rien de plus en commun. Les raisons de leurs choix allaient être différentes. Sylva m’avait prise en pitié, Bastian cela restait à déterminer. Mon futur Master parut réfléchir longuement et fixait un point au hasard dans mon dos. Ses traits passèrent d’agacé a mesuré. Il devait vraisemblablement penser à ce que j’avais appris avec mon précédent maitre.

- Est-ce que Sylva t'a dit qui nous étions ?

Je n’en avais pas la moindre fichue idée. Ils se connaissaient mais je n’en savais pas plus.

Master. Vous resterez un secret pour moi jusqu’à la fin…

Le regard de Bastian me mettait légèrement mal à l’aise et je baissais la tête pour signifier mon ignorance. Où est-ce que Sylva m’avait donc envoyé ? Cet homme était-il vraiment celui dont il avait parlé avant de rendre son dernier souffle ? La douleur de sa perte me fit serrer les poings.

Reste neutre.
- A ton regard, je comprends que non. Bien avant de te dire quoi que ce soit de plus, tu dois bien comprendre une chose. Tu vas entrer dans un monde où l’échec n'existe qu'avec le trépas.

Meurs ou tue. Ça avait été une des premières leçons de mon Maître. Il m’avait interdit l’échec avant même de m’avoir appris à tuer. Il m’avait également corrigé quand j’avais été réticente à l’appliquer.

Tu n’as pas le choix Shizu’. Tu dois le faire même si tu n’en tires aucun plaisir. Tranche. Supprime. Annihile mais ne faiblis jamais si tu veux rester avec moi.

C’était si vieux que j’étais surprise de me souvenir encore de cette conversation. J’essayais de me la graver dans l’esprit quand je sentis la main de Bastian me soulever doucement la tête. Je me noyais dans ses yeux quand il me posa sa question.

- Alors Karito.... Veux-tu devenir une des nôtres ?
- Je suis prête a vous rejoindre sans le moindre regret.

J’étais réellement résolue à me mettre à son service quel qu’en soit le prix. Je pris doucement sa main pour l’éloigner de mon visage. L’idée folle me vint de faire apparaitre ma faux mais je préférais l’ignorer et soutint son regard sans ciller.

- To serve and protect my Master, dis-je le sourire aux lèvres

Finalement, je choisi de reculer pour me soustraire à son emprise. Je croisais mes mains dans mon dos. Trop de proximité tue l’utilité et j’avais besoin d’être à l’aise. Je me permis de m’étirer sous son nez et de me mettre en garde discrète.

- Enseignez-moi Bastian, repris-je, testez moi également si vous le souhaiter mais quoi qu’il arrive, je serais à votre service en tant que faucheuse personnelle.

Je restais immobile et attentive à sa prochaine directive. J’avais hâte de voir ce qu’il m’avait préparé et surtout hâte de voir ce dont il était capable. Oh ! Je sais ! J’attendrais qu’il en ait finis avant de le faire.

Master, j’ai vraiment hâte de voir se que vous pouvez faire.

- Si tu veux te battre, on le fera mais pas ici. Viens suis-moi, on s'en va.

Le maitre s’attarda un instant. Il paraissait un peu chagriné quand il ramassa l’argent qui trainait sur la table de jeu. Bastian se dirigea vers la sortie et marqua un temps d’arrêt. Il avait la main posée sur la poignée quand il me posa la question. La seule que je n’aurais jamais espérer entendre.

- Une question pour toi.... Tu as le temps qu'il nous faudra pour sortir pour réfléchir, je veux ta réponse une fois dehors. Qui est la personne la plus dangereuse dans la taverne ? Une mauvaise réponse aura des conséquences... n'oublie pas ce que je t'ai dit plutôt.

La surprise fit bientôt place à la réflexion. Qui est la personne la plus dangereuse dans cette taverne ? Je lui emboitais le pas en repassant en vue toute les personnes qu’elle avait croisé jusqu’à son nouveau Maitre.

Le tavernier. Les pauvres minables avinés et attablé. Bastian. Les seconds sont totalement hors course. Il ne me reste plus que mon Master et l’autre brute qui m’a servi de comité d’accueil.

Je me remémore alors le calme olympien qu’il y avait avant que j’entre. La marche me permit d’étudier toute les possibilités imaginables. Au final j’en revenais toujours à la même conclusion : Le tavernier était nécessairement le plus dangereux. Je ne disais pas ça parce qu’il avait failli me broyer la gorge. Disons juste que tenir un groupe de soulot complètement nigaud et ahuri capable de liquider leur propre mère pour des piécettes devait lui demander un énorme effort de terreur sans utiliser de garde ou d’aide armée. Autrement dit, la sombre armoire à glace était la plus dangereuse. Enfin pour le moment.
Je lâchais enfin ma question avec ma réponse pour regarder l’endroit où Bastian m’avait embarquée. C’était une ancienne carrière de pierre. Il y a avait de l’espace, du vent, le maitre. Bref, il y avait tout ce qu’il me fallait pour m’amuser un peu.

Je vis mon nouveau maitre s’approcher et sa main se lever. Ma tête se tourna vivement. Ouille. Il n’y était pas allé avec le dos de la cuillère. Me tenant la joue, j’écoutais ce qu’il avait à me dire.

- Ça... c'est pour les vingt trois millions que je n'ai pas gagné par ton arrivée dans la salle. Oui j'étais en train de plumer ses mecs pour me servir de leur argent. Bref passons.

Tu avais discrètement préparé ta garde dans la taverne, d'ailleurs un œil non aguerri n'aurait rien vu. Mais je ne suis pas de ceux là.... Tu as devant la pointe de la lame de la confrérie, l'un des meilleurs agents. Tu penses pouvoir me battre.
- Oh, vous vous en étiez aperçu ? souriais-je, si je devais vous vaincre, qu’elle serait l’intérêt de m’attacher à votre service, Tomato Ketchup san ?

Il effectua une magnifique pirouette pour s’éloigner de moi. Oui magnifique... La pirouette pas le maitre andouille ! Apparemment, il comptait bel et bien m’affronter.

Je vais me manger une de ses raclées …
- Vas-y... je t'attends.
Oh et puis m*rd* hein.

Je remarque alors qu’il n’a pas dégainé son katana. Il le tient encore avec son fourreau. Bouh ! C’est vraiment dommage que je ne puisse pas voir le genre de lame que Bastian maitrise. Je constate déjà que l’étui de l’arme est magnifique. Je me ferais à l’idée qu’il me sous estimait.

Attend … mais c’est ta chance ma petite belette !

Ma détermination à prouver ma valeur augmenta. Restait à savoir quelles armes utiliser. Disons simple, rapide et une autre plus élaborée, plus distinguée... Oh oui ! Je savais exactement ce que j’allais lui montrer . J’allais tenter le tout pour le tout.

- Qu’Inferno me porte bonheur, murmurais-je pour moi-même.

Le master m’attendait avec un grand sourire plein de confiance. Il n’y avait pas d’erreur possible, il n’avait pas la conviction que je pouvais me défendre. Je mourrais d’envie de lui jouer un petit tour pour cet affront. L’idée me tira un sourire insolent.

- Première règle, si tu veux contester ou défier mes ordres... tu devras me battre dans un duel. Si tu gagnes, tu peux choisir si tu obéis ou pas. Si tu perds, tu suis les ordres mais rentre dans ta tête qu'il y aura une conséquence à ta défaite.....

N'oublie pas, l’échec n'existe qu'avec le trépas..... maintenant.... laisse parler ta lame.

J’acquiesce.

- Bien Master.

Je retire ma cape et la pose dans un coin. Le confort et l’aisance d’abord. Ensuite je croise mes mains dans mon dos avec un sourire des plus innocents sur le visage.

- Dites sensei, vous n’avez pas de copine ? Pourtant un bel homme comme vous n’aurait pas eu tant de soucis pour se trouver une magnifique conquête, n’est-ce pas ?

Je m’approche un peu plus mais je vois bien qu’il est sur ses gardes. Il n’est pas stupide non plus et heureusement pour lui ! Sinon je ne vois pas vraiment comment il aurait pu survivre et devenir le meilleur.

Bon c’est pas le sujet. J’ai du pain sur la planche !

Poussant l’audace jusqu’à me mettre à quelques centimètre de lui, j’appelle le pouvoir de Mammon.

- Crosed Greed

Armée de mes deux dagues qui viennent d’apparaitre dans un miracle qui m’est désormais familier, je porte un coup plus que prévisible sur le côté que la garde de Bastian avait laissé libre. Il le para comme prévu et me permit d’utiliser sa contre-attaque comme tremplin pour m’envoler dans les airs. Délicatement, je balance un de mes poignards dans son dos avant d’atterrir accroupie un peu plus loin. Il me reste une dague et sa sœur n’a pas touché sa cible. J’ai même la surprise de la découvrir dans la main de Bastian. Il a l’air de s’amuser beaucoup d’ailleurs. Parfait. Curieuse, je balance la seconde même si je sais parfaitement qu’elle ne l’effleurera pas. Ma prévision fut effectivement la bonne. Un second arrêt avec une élégance sans pareille. Mon dieu, Bastian et Sylva se ressemblait dans leur manière de combattre. Je secoue vivement la tête. C’est pas le moment de penser au bon vieux temps.

- Vous me prenez pour une idiote n’est-ce pas Master ? Suis-je réellement aussi désarmée que je le parais ? Est-ce une ruse de ma part ?fis-je pour laisser planer le doute, Je vous prie tout de même d’éloigner les lames de vos objets de valeurs si vous y tenez tant soit peu…

Je me remets en garde et, un sourire toujours aussi candide, invite la faux à la dance sous le regard calculateur de Bastian.

Oh mon démon ! Qu’est-ce que ce maitre m’amuse !

-Ça fait deux pour moi, la prochaine fois.... ton sang coulera ma petite.

L’avertissement était on ne peut plus clair. Je n’étais déjà pas vraiment satisfaite de moi. Touchée à deux reprises. Morte deux fois.

- C’est pas bon pour les affaires ça.

Le maitre pointa son katana à nu vers moi. J’avais enfin droit aux choses sérieuses et dangereuses. Il allait falloir que je trouve un moyen de le surprendre. Je repassais mentalement mes options. Mammon ? Fait. Satan ? En main. Lucifer puis Belzébuth ? Possible. L’inverse était trop incertain et j’allais surement finir à sec avant. Quand à Belphégor, la solution de l’attaque suicide n’était pas exploitable.

Hum… Que faire, que faire ?
Ça suffit pour les tours de passe-passe et l'échauffement, donne tout ce que tu as !!!
- Sensei, j’ai une question pour vous, fis-je en troquant ma garde tactique pour une nettement plus stupide vu l’arme que j’avais en main.

Je pesais mon poids sur mon pied et multipliais les ouvertures. J’en avais besoin pour le sale tour que j’avais en tête. En espérant que Lucifer ne me prendrait pas toutes mes réserves… Mais avant, je devais reprendre Mammon. La faux disparut et les deux poignards se logèrent dans mes paumes alors que l’invocation venait à peine de quitter le seuil de mes lèvres. L’une levait la pointe l’autre regardait le sol. Elles étaient visiblement aussi joyeuses que moi. Je ramène lentement mes mains devant mon visage avant de faire mon interrogatoire.

- En admettant que j’arrive à vous toucher, ce qui a mon avis est peu probable mais, comme dise certains, l’espoir fait vivre. Donc, en admettant que je réussisse ne serais-ce que vous effleurer du bout des doigts, qu’est-ce qui me garantit que je serais bel et bien à vos côtés quelques soit les circonstances ?

Je lui laissais le temps de réfléchir à la réponse et lui tournais autour à une distance respectable. J’étais passé sur une garde plus basse et avait utilisé un petit tour dont j’avais le secret en passant dans son dos. Quand je revins devant ses yeux, ma tenue, lacérée volontairement par endroit, parut le déconcerté un peu. C’est bien ce que je pensais, Bastian aime les femmes bien plus que je ne l’imaginais. Son expression, mi- amusé mi- concentré, me donnait envie de m’arrêter pour l’ébaucher sur une feuille.

Plus tard , me promis-je.

Je m’avançais vers lui doucement, sans aucune précipitation.

Bien étudier la cible, comprendre son rythme et se fondre dedans.

Mes leçons ne m’avaient jamais autant servies que jusqu’à maintenant. Je décidais finalement de croiser volontairement le fer avec Bastian et me mis à porter de sa lame. D’une flippe arrière, j’esquivais le coup qu’il me porta en prenant soin qu’il tranche uniquement le tissu et pas ma peau. Si je continuais comme ça j’allais finir à demi-nue d’ici peu de temps. J’eus à peine le temps de reposer mes pieds sur le sol qu’il était déjà sur moi. Je réussis à dévier la lame mais n’eus pas le temps d’esquiver la botte.

Nom d’un archidémon , jurais-je intérieurement en reculant d’au moins 2 mètres.

Je décidais de contre attaquer une bonne fois pour toute. La plaisanterie avait assez durée. Je me permis de refaire « le pas de l’ombre », bien que consciente que cela ne me serait surement d’aucune utilité. Mes deux copies et moi nous ruâmes sur le maitre et, alors qu’elles posaient leurs armes illusoires sur le tranchant de Bastian, je switche d’arme.

- Infernal pride.

La lourde épée qui apparait dans mes mains me déséquilibre une infime seconde avant que je ne bascule le bassin dans un mouvement rotatif calculé et répété pendant mes entrainements. S’il ne sautait pas par-dessus Lucifer, il finirait tranché en deux. Un objet invisible m’empêcha d’achever mon mouvement et je vis le katana fuser vers ma gorge. Refusant d’abandonner cette lourdaude d’épée à deux mains, je dus laisser la lame passer à quelques centimètres de ma gorge. Ce n’était vraiment pas passé loin. Et ce n’était pas fini ! Bastian la fit se rapprocher de mon cou, comme en avertissement d’une belle promesse sinistre. Je lâchais volontairement Lucifer pour attraper le tranchant entre mes mains. Je le devis de sa dangereuse place initiale et plonge mon regard dans celui de mon Master. Il ne laissait rien transparaitre et scrutait ses moindres mouvements à la recherche d’un quelconque relâchement.

Voilà la différence entre Sylva et Bastian. Sylva ne voulait pas m’acculer. Bastian veut me pousser à l’erreur.

Je remarque alors que la main libre de l’homme brun n’était plus visible. Préférant reculer avant d’avoir une mauvaise surprise, je constate que le mal à failli être fait. Un trait rouge feu me barre la poitrine.

Bordel de m*rd*, finalement, l’idée de Belphégor n’est pas si mauvaise…

Je fais disparaitre la grosse Lucifer et recule rapidement. Je n’ai plus le choix, je dois tenter le tout pour le tout. L’ennui : c’est que je n’avais le droit qu’à un seul tir bien placé et une durée extrêmement courte pour maintenir l’arc avant de tirer l’unique flèche. Cruel dilemme. Je me mis en position sans rien dans les mains, donnant sans doute l’impression à Bastian de tenir une arme imaginaire. De toute façon, il ne verrait que le carreau puisqu’il n’avait pas passé de contrat avec le Paresseux.

- Il va me prendre pour une tarée, grognais-je à mon intention.

La position, l’angle, … je vérifiais tous les paramètres avant de l’invoquer et de le bander dans la même action.

- Fatal sloth

C’était mon dernier assaut. L’instant de vérité. Tout allait maintenant se jouer dans mon timing et la vitesse de création de la flèche à l’empennage noir made in Belphégor. Je n’avais toutefois aucun regret. Je m’étais amusée comme jamais depuis le décès de Sylva. J’attendais maintenant la fenêtre de tir de la dernière chance avec une certaine appréhension.