Le crayon grattait le papier. Le feu du dessin prenait corps le long de la courbe du personnage que j’avais esquissé en me fiant au déhancher d’une passante choisie au hasard. Les flammes l’entouraient d’une façon surprenante et l’idée me vint de lui en faire un vêtement. Ce serait autrement plus classe que la maigre robe au contour brulé. Je commençais sérieusement à m’ennuyer depuis quelques temps. On m’avait congédié en me disant que l’on me rappellerait si cela s’avérait nécessaire. Autant dire jamais quoi. J’ébauchais depuis bientôt une semaine sans avoir eu de nouvelle de mon maître et je commençais à m’inquiéter.

- Pourvu qu’il ne soit rien arriver à Bastian-sama, murmurais-je en délaissant mon travail sur le bureau de ma chambre.

Chambre qui ne serait d’ailleurs bientôt plus à moi si j’en jugeais le contenu de ma bourse. J’allais devoir me trouver un nouveau contrat très vite si je ne voulais pas finir par dormir dans la rue. L’idée ne me réjouissait pas grandement je dois l’avouer. Quoi que… ça me donnerais une raison de quémander la protection de mon Master. Cruel dilemme. Je finis par choisir la première option et de revêtir mon manteau. Il fallait que je trouve un truc à faire. Je saute par la fenêtre et atterris souplement sur les pavés du coupe-gorge près de l’auberge où j’avais établi mes quartiers. Je dérange bien quelques rats au passage mais bon, quelle importance ?

Prenant tranquillement l’exemple de la foule, je disparais à la recherche d’un quelconque bar pas très net qui aurait surement un gentil truc bien sympa à me fournir. Mes pas me conduisent à une taverne un peu louche. J’ouvre la porte sans la moindre délicatesse et traverse la salle avec tout le panache dont je pouvais faire preuve avant de m’asseoir au comptoir. La dizaine de soudard réuni devant leur table de jeu me dévisagea comme si je venais de Mars.

Ils n’ont jamais vu de femme ou quoi ?

Le groupe met bien quelques minutes avant de me lâcher du regard et encore, ce n’est pas à l’unanimité qu’ils le font. J’essaie de me les sortir de la tête en me concentrant sur le jazz qui donne une certaine ambiance à ce taudis. Le barman s’approche alors de moi, la mine d’un type qui en sait plus qui ne le dit, et me demande ce que je fous là.

- Salut à toi aussi, ce sera une Sangria pour moi.

Apparemment, il ne s’attendait pas à cette réponse là puisqu’il en perdit la voix. Un de mouché, un ! Maintenant, je découpe le suivant.

- Oh Fumio ! Sers la petite dame et apporte-moi une autre bière !

Un inconnu, qui se mêlait de ce qui ne le regardait pas, posa son gros derrière sur un tabouret à ma gauche. Bedonnant, disgracieux, cet homme était d’une laideur affligeante mais d’une serviabilité utile. Les rares regards toujours suspendu à moi se décrochent.

Oh ! Serais-je tombée sur le gros bonnet du coin ?

Le dénommé Fumio me pose ma commande sous le nez sans plus tarder et sers mon sauveur du moment. Celui-ci me laisse prendre deux trois gorgée de ma boisson avant de noyer le poisson :

- Dis donc, c’est pas toi qui à créer du remue-ménage à Silver ?
- Qu’est-ce que ça peut te foutre ? répliquais-je d’un ton glacial.
- Je cherche quelqu’un pour effectuer un sale boulot, ça t’intéresse ?

Mais c’est qu’il disait des trucs captivants ce vieux !

- Quel genre de boulot ?

Il se pencha vers moi, faisant bouger ses bourrelets adipeux et me soufflant son haleine avinée dans la tronche. Beurk. Pourvu qu’il en finisse vite.

- Un petit c*n s’amuse à ne pas payer son loyer de tranquillité et j’ai besoin de lui adresser un avertissement pendant qu’il est parti pour affaire. Tu seras grassement payé bien sûr.
- Où est-il ? demandais-je mécaniquement.
- Pas très loin de là, dans le cercle d’influence des Silver Fang. Tu ne la rateras pas, elle a des volets fuchsia.
- Tu es contact de la guilde je suppose ?
- En effet, c’est d’ailleurs pour ça que je t’ai reconnu. Qui aurait cru que je retomberais sur la fille en blanc qui voulait voir Bastian ?

Je ne pris pas la peine de répondre à la question. Une maison au volet fuchsia… Mon dieu ! Les gens n’ont plus aucun goût ma parole. Ça ferait presque peur. Je vide mon verre d’un trait et remercie le type pour ses infos des plus alléchantes. Je saute de mon siège et lui adresse un bref signe de la main :

- Ne cherche plus, je m’en charge.
- Hé ! Paye ta boisson gamine ! dit-il en m’attrapant le poignet
- J’ai pas de temps à perdre barman, alors sois tu me lâches soit tu y passes.

Je n’étais pas d’humeur à enjôler ce pauvre type alors s’il comptait me les briser trop longtemps il allait passer sur le fil de mon épée. Mon employeur dû s’en apercevoir car il tenta de détendre l’atmosphère :

- Tu n’auras qu’à mettre ça sur ma note mon vieux Fumio, la petite dame est pressée, elle repassera me rembourser plus tard.

Il accompagna sa tirade d’un geste laxiste et le tenancier libéra mon poignet. J’ouvris la porte en courant d’air et me dirigea calmement vers l’habitation de mauvais goût. Un avertissement à donner ? Pas de soucis, cet idiot va se faire dessus.

Effectivement, je ne pouvais pas la louper. Les fioritures couvraient les quatre coins de la bâtisse et les fenêtres aux larges carreaux étaient bel et bien encadrées de volet à la couleur aussi moche que décrite précédemment.

J’aime pas le rose, j’aime pas cette baraque. Bref, j’aime pas ce type

Ni une ni deux, je me postai sur le pas de sa porte et appuyai sur la poignée. Fermée. Logique, vu qu’il était absent. Pourtant je renouvelle ma manœuvre.

- Hé vous ! Qu’est-ce que vous faite !?

Parfait, je viens de trouver mon pigeon du jour. Préparant ma jolie mine d’amante ennuyée, je me tournais vers mon interlocuteur. Enfin plutôt mon interlocutrice. Flute, pour ce coup-là, mon idée de génie pouvait passer à la trappe. Maintenant, un bobard et vite ! La maison était plutôt riche, j’en déduis donc que c’était le cas de son propriétaire.

- Excusez-moi, fis-je poliment, je suis la nouvelle femme de ménage mais on a oublié de me donner les clés pour que je fasse mon travail.
- Oh ! Vous devez être Amalia ! Tatsu m’a dit bien dit que vous passeriez mais il m’a indiqué une date bien plus tardive pourtant…
- M. Tatsu a sans doute dû se tromper, dis-je en souriant le plus sincèrement possible.
- Sans doute oui, ça lui arrive tellement souvent de se tromper de jour ses derniers temps que ça ne m’étonne même plus. Je vais vous ouvrir tout de suite.
- Merci beaucoup à vous ma Dame.

Finalement, le coup de la technicienne de surface marchait plutôt bien. Presque trop bien, il faudrait surveiller ça de près pour assurer la couverture. L’inconnue m’ouvrit la porte.

- Je dois vous laisser Amalia, j’ai quelques courses à faire. Je vous laisse les clés, vous les mettrez dans la boite aux lettres d’accord.
- Entendu ma Dame.

Elle me posa le trousseau dans la main et me recommanda la prudence. Je hoche la tête et referme doucement la porte derrière moi. Je me retourne et contemple l’intérieur de la demeure avant de jeter mon manteau sur un siège et de retrousser mes manches. J’hésitai quelques secondes sur le choix de mon outils de travail et finit par trancher la question. J’avais du pain sur la planche en besoin de faire ça bien. J’appelais donc l’arme la plus légère en ma possession.

- Morbid Gluttony.

Le naginata apparu dans mes mains comme par enchantement. Je lui fais décrire un bref arc de cercle, découpant un vase au passage, pour m’assurer qu’il était entièrement là. L’examen effectué, je me permets d’esquisser un sourire.

- Au boulot Belzébuth

*

La découpe minutieuse du mobilier m’avait bien pris une bonne heure à elle toute seule mais au moins, j’étais sûre et certaine que rien ne pourrait être réutilisé. Je m’étais ensuite attaquée au mur avec Lucifer, faisant tomber des parcelles du plafond au fur et à mesure de mon travail de démolition. Il ne resta bientôt plus que les poteaux porteurs de la structure à abattre. Changeant une nouvelle fois d’arme, je grimpai d’un étage pour achever ma mission. J’allais devoir être très rapide pour cette manipulation-là si je ne voulais pas finir écrasée sous les gravats. Huit poteaux, deux étages et des escaliers. Ça allait vraiment être juste mais bon, si n’y a pas de risque, ce n’est pas marrant ! J’inspire un grand coup pour me donner du courage et m’élance.

Mon pas raisonne sur le plancher alors que ma faux importe un pilier. Je me tourne pour en rejoindre un autre. Je me précipite vers l’escalier dans un troisième temps et en emporte deux d’un seul coup grâce à la grandeur de mon arme. Le plafond s’effondra alors que j’atterrissais en bas. Coup de bol. Plus que quatre. La structure oscilla dangereusement. Je n’aurais finalement pas besoin de faucher un cinquième pilier de soutien et profitais de la proximité de la porte de derrière pour sortir en catastrophe avant que le ciel me tombe sur la tête. La structure se stabilisa à ma grande surprise. J’avais la flemme d’y retourner pour achever le travail. Je soupirai et fit disparaitre mon arme avant qu’un passant ne la remarque puis réalisait soudainement que j’avais laissé mon manteau à l’intérieur.

- Quelle gourde ! maugréai-je en retournant le chercher avec précaution.

Profitant de cet oubli, je laissais un mot coincé sur la porte.

Là ! Je retournais à ma chambre la conscience tranquille alors que la foule dans la rue de l’entrée contemplait mon chef d’œuvre de démolition. Arrivée dans mon asile temporaire, je fis un dernier effort pour aller me débarrasser du plâtre sous une bonne douche avant de m’écrouler sur le lit comme une masse. Ce boulot m’avait complètement vannée. Le lendemain, je trouvais une note à mon attention glissée sous la porte avec marqué en toutes lettres :

Satisfaite, je reprend mon dessin et mon crayon pour me détendre un peu. J'espère que mon maître sera fière de moi quand il apprendra ça.