Sofia tentait de reprendre sa respiration dans le bois proche du siège du Conseil. Elle n'y arrivait pas. Elle n'arrivait à ouvrir son coeur au pouvoir. Il était là, si près, si accessible, et pourtant, toujours hors de portée. La pluie coulait sur son visage, imbibant ses vêtements, laissant ses cheveux détrempés dans son dos.


Sofia inspira de nouveau profondément. Et tenta à nouveau de s'ouvrir au monde, à elle même, et aux deux coeurs qui battaient en elle.




Tout avait commencé deux semaines auparavant. Ce n'était que des sensations alors. L'impression dérangeante d'entendre un bruit lorsque l'on était seule, de voir quelque chose lorsqu'on se retourne alors que l'on observe que le vide. Le fait de sentir qu'on est épiée où que l'on aille. Elle avait fini par demander de l'aide au service de sécurité, suspectant le fait d'être surveillée. Une journée entière sous surveillance à Era n'avait rien permis de voir, et pourtant les désagréables sensations continuaient. Quelques jours plus tard, l'impression disparue, aussi vite qu'elle était venue. Sofia se sentait à nouveau seule dans ses quartiers. Elle finit par penser que ce n'était là qu'une illusion due à la fatigue.
Cependant, quelques jours plus tard, alors qu'elle procédait à ses ablutions matinales, elle aperçut une grande femme à la peau nacrée dans son miroir. Poussant un petit cri de surprise, l'image se dissipa, ne laissant qu'une traînée de buée. Quelque chose devenait sérieusement étrange. Il lui sembla voir plusieurs fois la silhouette nacrée dans les objets réfléchissants au cours de la journée. Perdait elle la raison? Elle n'avais pas le temps pour se genre de sottises. Elle avait enfin gagné en grade, malgré le fiasco final du Festival. Elle se demandait d'ailleurs comment s'est était sorti Sir Lund. Enfin quoi qu'il en soit, elle n'avait pas de temps à perdre avec la démence. Sofia partit se coucher ce soir, en se promettant d'ignorer superbement toute manifestation de silhouette blanche.
Pourtant, au moment de sombrer dans le sommeil, elle sentit qu'on s'emparait d'elle. Lorsqu'elle rouvrit les yeux, elle était à l'évidence dans un rêve. Un rêve conscient cependant. Une grande pièce blanche, disposant d'une table ronde. Elle se souvenait de cet endroit. Elle était déjà venue ici. Il y a si longtemps...

Je suis déçue, aurais tu oublié ton passé et tes origines, Sofia?

Sofia se retourna, voyant la dame en blanc apparaître. Non, elle n'avait pas oublié. Elle connaissait cette femme. C'était elle. Elle était cette femme. Elles étaient le Coeur. Alicia la clairvoyante, Troisième Oracle élue par le Coeur.

Oh, tu daignes donc me reconnaître à présent?

Je suis navrée...

Un sourire amusé traversa le visage de l'esprit.

Mais... Comment est il possible que je vous vois aujourd'hui...? Je pensais être seule en exil.

Nous sommes le Coeur. Où que nous allions, il est avec nous. Comme ma prédécesseresse avant moi, mon rôle est de t'éveiller à toi même, et de te soutenir dans ta Tâche.

Pourquoi aujourd'hui seulement...?

Une telle projection est difficile, je ne pourrais que venir te voir périodiquement. Aujourd'hui, il est nécessaire que je le fasse. Il faut que tu t'éveilles à ton pouvoir.

La magie que tu emplois est complexe sur la forme. Elle emploie le pouvoir de la nature, sous ses quatre états de vie, en suivant le cycle naturel. Le Coeur a toujours affectionné ce genre de pouvoir, infinis, et pourtant si réduits... Pourtant, ton pouvoir est simple dans ses fondements. Il est en réalité dévié par des verrous en toi. En prenant conscience de certaines choses, et en communiant avec, tu peux ouvrir ces verrous, et laisser ton pouvoir couler en toi. Tu as naturellement compris l'importance du Cycle des Saisons. C'est ce qui explique tes talents de base, ainsi que ta faculté à changer ton environnement, et à l'amplifier. De mon côté, les traces de ma magie passée ont ouvert le Don du Temps qui était en toi. C'est pour cela qui tu peux modifier l'espace naturel, comme si tu altérais le temps. Chaque verrou à sa propre explication, sa logique, son origine et ses dérivés. Le Don du Temps offert marque l'avancement implacable du temps sur la nature, qui fait que les petits bourgeons deviennent de grands chênes. C'est cette spiritualité que tu devras saisir pour ouvrir tes dons.
Mon rôle est de t'aider à ouvrir les verrous suivants. Plus le nombre de verrous ouverts sera grand, plus grand sera ton pouvoir sur la nature et ses enfants. Demain, va dans la forêt, là où tu ne seras pas dérangée. Appelle moi quand tu y seras...

Sofia bascula dans un lourd sommeil sans rêves. Le lendemain à son réveil, elle douta un instant de cette vision. Elle avait tant souhaiter reprendre du contact avec sa patrie. Cela pouvait n'être qu'un vulgaire phantasme? Une projection de son esprit pour conforter son âme en peine ?

L'espoir est une chose terriblement puissante, particulièrement quand il nous fait désirer l'impossible, ce à quoi nous n'avons pas droit. Ce jour là, nous perdons notre âme.

Elle l'ignorait. Cependant, s'il y avait la moindre chance que... Et ce phantasme avait raison. Certes, elle progressait dans son ascension politique. Mais l'Oracle avait toujours gagné grâce au peuple, et surtout grâce à la magie que lui conférait le Cœur. Elle devait devenir plus forte. Elle sortit rapidement des quartiers des mages. A l'odeur qui flottait à l'extérieur, il allait bientôt pleuvoir. Qu'importe, il lui suffirait d'espérer que cela ne durerait pas. Elle fila vers la forêt. Le seul endroit en paix qu'elle connaissait était une clairière situé à une dizaine de minutes à pieds.

Je t'attend

La jeune femme se figea. Puis repris sa marche. Un seul écho souhaité dans les bois, ou bien un véritable appel ? Elle devrait connaître la leçon pourtant maintenant. Rien n'arrive par hasard. La vie est une suite d'appels, parfois audibles, parfois non, qui nous mènent sur les routes de la destinée. Lorsqu'elle déboucha dans la clairière, elle sut qu'elle ne s'était pas trompée. Sur la souche d'un arbre centenaire se tenait le Troisième Oracle.

Tu es venue.

Je répond à l'appel du Cœur et de ses incarnations.

Inutile d'être si formelle, nous sommes bien loin nos temples et rites ancestraux. C'est pour cela que ma projection a été si longue.

Une goutte tomba au sol.

La vie est une suite de morts et de vies. Les larmes du Ciel en deuil nourrit les racines de la Terre.

La pluie commença à tomber drue.

C'est parfait. Les verrous nécessitent que tu t'offres à la nature, que tu sois sienne, et qu'elle soit tienne. Ce n'est qu'à ce prix que tu pourras comprendre son fonctionnement, et communier avec elle. Place toi sur cette souche, et médite.

La jeune femme s'exécuta. La pluie tombait de plus en plus fort, et elle était trempée. Certes, cela n'avait pas l'air de déranger l'esprit, mais ça restait pénible pour une humble créature de chair et de sang.

Médite à te relation avec la nature. Le dos droit, le souffle profond. Sens la force de la Terre qui coule encore dans les veines de cet arbre ancien. Sens la pluie qui coule sur toi. Ecoute sa mélodie, et focalise toi sur sa signification.

La pluie qui coule. C'était de l'eau. Une simple condensation de l'eau en altitude quand l'air était trop humide pour en supporter d'avantage. La jeune femme se mordit la langue. La Mère lui avait toujours dit qu'elle réfléchissait trop au problème, au lieu de se laisser bercer par la magie de la vie. L'eau qui tombe du ciel. Un cadeau du Ciel à la Terre. Un cadeau parfois dangereux, porteur d'inondations, ou détruisant les cultures. Mais aussi la douceur de la caresse d'un amant, qui ressourçait la Terre asséchée par le vent. La pluie donnait la vie là où elle passait faisait fleurir les déserts, faisant pousser les graines, apportant la prospérité là elle offrait ses bienfaits. Il fallait savoir apprécier sa caresse, sa mélodie. Elle sentait le pouvoir à sa portée. Pourtant, elle n'arrivait pas à le saisir. Il était là, tout près, mais comme un globe de verre enduit d'huile, impossible à saisir.

Tu y arriveras. Continue. Tu y es presque. Tu sais ce qu'est la pluie, et pourquoi elle est. Trouve ce qui la relie à notre cœur.

La pluie était un don régénérateur et purificateur... Elle nourrissait la Terre et ses enfants de sa générosité aquatique, de son amour infini. Elle lavait les larmes sur les visages de ceux qui souffraient, dissimulant et noyant leur peine. Après le chagrin vient toujours le réconfort, après peine vient le pardon, après la pluie, le beau temps.

Sofia rouvrit les yeux. Elle le tenait. Elle sentait le pouvoir qui coulait en elle. Elle comprenait. Elle ne savait pas exactement quoi... Même c'était comme voir le monde à neuf, comme si on avait arraché une toile qui masquait auparavant la vérité. Elle ignorait laquelle, mais elle savait, elle voyait.

Sens le pouvoir de la pluie. La pluie guérisseuse. Elle n'intervient pas en toutes saisons, elle marque le début et la fin de la vie. Elle appelle à la naissance et à la mort. La Pluie Apaisante.

Soothing Rain

Un cercle bleu apparut devant elle. A l'intérieur, la pluie prit une teinte plus claire. Sofia sentit aussi tôt son pouvoir filer à une vitesse dramatique. Elle interrompit le charme. Elle se rendit alors compte qu'elle était seule dans la clairière. L'esprit avait disparu. Sans doute ne pouvait elle pas rester plus... La jeune femme se leva, et repartit au pas de course vers le centre du Conseil. Elle avait peut être compris comment attirer la pluie bienfaitrice, mais ça restait de l'eau froide, et elle était sérieusement trempée. Elle aurait aimer avoir le temps de poser des questions sur la situation du bout du monde. Mais peut être qu'Alicia la clairvoyante n'avait pas les moyens, ou le droit de le faire... Il lui faudrait attendre leur prochaine rencontre...



Tu avances. Tu as compris le système. Je reviendrais pour ouvrir les prochaines chaînes qui te musellent. D'ici là, apprend à maîtriser la pluie. Et vit, ma petite Sofia. Ne laisse pas ton devoir consumer ton existence...