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... DIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIE!
 MessageSujet: ... DIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIE!    ... DIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIE!  EmptyDim 2 Sep - 16:55

Anonymous
Invité


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La boisson de vie afflue dans mes veines comme la sève qui coule doucement dans un théier. Je repose la tasse d'argile, grossièrement modelée, mais d'une contenance respectable. Le contact avec mes genoux minces le réchauffent un peu, et je souris en frissonnant face au vent d'hiver, qui a forci ces derniers jours. Je suis arrivé à la fin de l'été, et il est surprenant de constater les changements qui se sont produits en quelques semaines. La forêt est maintenant parée de l'or mûr et mourant de feuilles, et la bise tiède s'est muée en vent froid du nord. Les sentiers bougent sous l'afflux continu des feuilles balayées dans de petites tornades. Je sens encore la vigueur du bois, silencieuse, et celle de la terre, qui semble rassembler ses forces comme pour affronter un hiver qui s'annonce rude. Je ne suis pas allé à Kunnugi depuis que je suis rentré, et ça doit faire un bon mois. La forêt automnière est pleine de promesse de nourriture, pour qui sait bien regarder. Et à part la nourriture et le thé, je n'ai guère besoin d'autre chose.
Je renifle la boisson, détectant une légère amertume. J'ai fait pousser mon arbre trop vite, et les feuilles bouillies n'ont pas encore atteint leur pleine saveur. Même si j'aime ce thé, il est loin de pouvoir atteindre la perfection d'un God of Tea qui pousse naturellement, sans aucune trace de magie... Il y en a un au village, je l'ai planté quand j'ai fait cours un jour aux gamins Kunn. (= habitant du village de Kunnugi.) J'irais en chercher avant que les premières neiges ne tombent. Mais pour l'instant, le repos est primordial. Un repos ponctué de longues marches dans mes bois bien aimés, mais un repos tout de même.
Je lève les yeux vers les étoiles. Assis sur le seuil de ma maison, face au vent et à l'odeur bienfaisante de la clairière, je profite de la belle nuit qui se reflète sur le ruisseau. Je me souviens, que dans ma jeunesse, alors que j'étais aventureux et que je courais par le monde, un ami avait tenté de m'enseigner l'astrologie. C'était rentré par une oreille, pour sortir par l'autre. J'étais les yeux rivés sur la terre, et mon sens de l'orientation, assez bon, doublé de mes cartes, me faisaient croire que le ciel ne me serait jamais d'aucune aide... Aaah. Mais le temps des souvenirs n'est pas encore venu. Mes yeux ignorants se promènent sur les étoiles sans nom. Je ferme les yeux, et soupire, rejetant avec effort une tristesse venue d'un lointain moment.
Je finis le thé, qui a refroidi, d'une gorgée, et je me lève. Je tends les bras au vent, et m'étire précautionneusement. Il va bientôt être temps de se coucher. Demain, j'ai du bois mort à trouver. Mais quelque chose dans le ciel attire mon attention. Du coin de l'oeil, loin à l'ouest je crois percevoir un mouvement, un truc brillant dans le ciel. Je me retourne et observe attentivement. Malgré le fait que je porte de temps en temps des lunettes pour lire, j'ai une excellente vue des objets lointains... Rien. Ça doit être une luciole survivante, qui est passée fugacement devant moi. Au moment où j'allais laisser tomber, et mettre ça sur le coup de la fatigue, la lumière réapparaît. Très faiblement. Ce n'est assurément pas une luciole. La lumière est faible, probablement à une grande distance de moi, bien que ce soit quasiment impossible à estimer de nuit. Une boule d'énergie magique? Un feu de détresse? La lumière tombe directement du ciel, en laissant une traînée blanchâtre scintillante. Je la vois venir vers moi, de plus en plus vite, et de plus en plus lumineuse... je commence à m'inquiéter sérieusement quand elle passe au dessus de ma maison, haut, très haut dans le ciel. Instinctivement, j'active ma magie, même si je crois que la chose n'a pas d'intentions hostile à mon égard. D'ailleurs, elle ne s'arrête pas, et continue son chemin à une vitesse hallucinante. Une étoile filante? Un dragon? Je ne sais pas, mais ça ne me dit rien de bon. Je suis la lumière des yeux, qui décline, et semble aller de plus en plus prêt du sol. Elle disparaît bientôt, derrière un grand pin qui me bouche la vue... temporairement. En quelques secondes, je suis assis sur la cîme d'un théier, et mon impression se confirme. La lumière descend lentement, mais indubitablement de plus en plus prêt du sol.
Dix à quinze secondes plus tard, je la vois tomber et disparaître en plein dans la forêt. Je m'accroche à la branche solide qui me soutiens et je ferme les yeux. L'arbre sent. Sourd, anormal. Secousse sol. Pousse... Vent froid. J'ouvre les yeux juste à temps pour voir un grand halo de lumière blanche s'éteindre. Perplexe, je fais pencher l'arbre jusqu'au sol, en réfléchissant à toute allure. J'ai vu beaucoup de choses dans ce bois, dont une bonne moitié n'était pas très ordinaire. La terre est remplie de magie, par ici. Mais je n'avais jamais vu ce genre de choses. Il faut aller voir ce qui se passe là bas...
Je retiens un baillement. Mais pas tout de suite. À moins d'y être contraint, je ne me déplace pas de nuit. Beaucoup de créatures nocturnes, plus rapides et habiles à la chasse rôdent. Et ma magie ne m'immunise pas contre les loups des bois. Pour le moment, il faut du repos. Je partirais demain à la recherche de l'objet tombé dans les bois.


« Cinquante-quatrième jour après le solstice d'été. An 784.
Suis rentré il y a un mois. A constaté hier la venue d'un objet céleste de taille massive, rapide et brillant, qui s'est écrasé dans les bois, à environ 25 ou 30 kilomètres au sud est de la maison. Sans doute une grande source de magie. Pars à sa recherche, équipé pour. Si je disparais plus d'une semaine, appelez des mages. Puissants. Je paierai, moi-même très cher s'il le faut. Si vous n'êtes pas vous-même un mage, méfiez-vous de la forêt, et réfugiez vous à Kunnugi au plus vite.

PS: Il y a du thé dans l'armoire. Prenez le temps de vous reposer un peu.

Le vieux fou.
 »

Je dépose le mot bien en évidence sur la table, que je déplace au milieu de la pièce. Voilà. N'importe qui de suffisamment curieux pour rentrer ne pourra pas le manquer. Je compte revenir vivant de cette expédition, et même malgré mon affaiblissement ces dernières années, je doute que quiconque puisse m'inquiéter en forêt profonde. Mais on n'est jamais trop prudent. S'il y a bien quelque chose qu'on apprend dès que l'on commence à pratiquer, c'est qu'il faut se méfier de la magie que l'on ne connaît pas. Je me lève, et enfile mon sac de voyage. Il est très léger, débarrassé des théiers et du service à thé. Mais il faut dire que, quand toutes les provisions de la semaine tiennent dans un petit sac de graines, on a quand même de la marge, niveau poids à porter. Je jette un dernier coup d'œil à la maison, puis je ferme la porte.
Cette fois, je ne scelle pas la maison avec mes Spiny Ivy. Quiconque viendra de Kunnugi s'avisera que je suis passé par là. Je quitte la clairière aux Fées, avec l'impression vague d'aller droit vers un champ de café. Une longue marche m'attend, car les sentiers qui mènent au sud-est de la forêt sont peu empruntés, à peine quelques pistes laissées par des animaux. La grande route littorale qui passe par Akane Beach, est beaucoup plus sûre pour les voyageur, et plus intéressante pour les commerçants. Et en cette ère de grande technologie et avec la voie ferrée qui s'étend de plus en plus, il est beaucoup plus facile de rouler jusqu'à Hargeon puis de prendre la grande route de l'Est que de passer par la forêt de Kunnugi. Enfin, ce n'est pas moi qui vais m'en plaindre. Moins il y a de gens ici, plus les arbres pousseront tranquillement.
Je progresse donc de plus en plus lentement, au fur et à mesure que la matinée avance. Les chemins sont tortueux, couverts de mousse, et parfois je dois dévier pour éviter une grosse souche ou un arbre mort. Ça ne me dérange pas le moins du monde. Les bois sont frais, mais pas trop, et l'aura bienveillante des arbres me procure une inépuisable sensation de bien-être. Après les grandes montagnes de Crocus, être ici et respirer l'odeur des pins qui perdent leurs aiguilles, ça fait une grosse différence. Je marche à bonne allure, malgré les obstacles, et j'éprouve presque du plaisir à faire cette longue randonnée. Si je n'étais pas aussi inquiet pour les bois, je pense que je chanterais.
L'effort se fait bientôt de plus en plus intenses, car les pistes s'effacent, et je dois bientôt utiliser un peu de magie pour avancer. Les buissons un peu rudes se tordent et s'écartent à mon approche, et je dois faire se décomposer un géant abattu pour poursuivre dans la bonne direction.
Je fais des pauses régulières, non seulement parce que j'avance vite pour mon âge et qu'il me faut des pauses, mais aussi pour faire pousser des arbres, aux endroits suffisamment spacieux pour. Je fais d'une pierre trois coups: je repeuple la forêt, je laisse une trace de mon passage, et je sens ce qui se passe autour de moi. Tout à l'air normal. Les arbres vivent sans se préoccuper d'autre chose. Peut-être que mon inquiétude irraisonnée est belle et bien vaine, finalement... Mais si ma magie ne me permets pas de parler aux arbres, je crois quand même que je peux les comprendre. Et la forêt de ce côté n'est pas... telle qu'elle devrait être. Je mets enfin le doigt sur ce qui me gêne tant.

Le silence.

En tant que magicien végétal, je ne fais attention qu'au chant des feuilles. Mais il y en a d'autres qui l'accompagnent toujours... Le gazouillis des oiseaux. Je n'ai entendu, ni n'ai senti sur les branches des arbres aucun oiseau, ou aucun nid rempli. Je me retourne, et reviens un peu sur mes pas, pour contempler un vieux tronc complètement pourri. Je me penche, et pousse de toutes mes forces. Le tronc vacille, et bouge d'un milimètre. C'est suffisant: j'aperçois des vers qui s'engloutissent dans le sol dans une lumière rosée, ainsi que des larves qui errent, désorientées par la brusque lumière... Il y a des insectes, mais pas d'oiseau... Où sont-ils?
Troublés, j'accélère l'allure dans la forêt qui ressemble de moins en moins à celle que j'aime. Le soleil de midi passe, me voyant toujours en train d'avancer à vive allure. Je fais de moins en moins de pause, et le soir, d'après l'odeur des arbres et la composition de l'humus sur lequel je marche, je dirais avoir parcouru une quinzaine de kilomètres. J'entre dans un bosquet de bouleau que je connais bien. Un jour j'ai été poursuivi par un loup jusqu'ici. J'ai dû me réfugier au sommet du plus haut arbre de ce bosquet pour ne pas me faire croquer. Je hume autour de moi, avec méfiance. Non, il n'y a pas de tanière de carnivore tout près. Je me situe exactement à 17 kilomètres de la Green House, à vol d'oiseau. Ce n'est pas beaucoup, comparé à ce que peut marcher un voyageur dans les plaines, mais pour une progression très en avant dans des bois qui ont changé, ce n'est pas si mal.
Je plante un théier, au milieu des bouleaux, puis j'allume un feu, après avoir ramassé le peu de branches mortes qu'il y a aux alentours. Mon dos reposant sur mon arbre, mes mains tendues vers le feu, j'apprécie le confort simple d'un bivouac provisoire. Je fais pousser les fruits que j'ai chapardé chez Satougashi, et dîne, le coeur content. Puis j'éteins le feu, et me fait hisser au sommet du théier. Là, protégé du vent par une couverture de feuilles, je m'endors, dans un silence pesant et inquiétant.
Je suis réveillé par ce même silence. Je me redresse vivement, malgré ma protection de bois. Il fait encore noir dans le bosquet, et les étoiles brillent faiblement, comme pour un dernier soubresaut avant leur disparition du ciel. Le soleil se lève à peine, vague lueur orientale dans le ciel encore nocturne... Je n'ai pas de réveil intégré dans la tête, et j'ai perdu l'habitude de me lever aux aurores. Il y a autre chose qui m'a réveillé. Un bruit? Je tends une oreille attentive à part le chantonnement des feuilles, il n'y a rien. Même en projetant mes pensées dans le corps des arbres, il n'y a rien que je puisse détecter aux alentours.
Je n'aime pas ça. Ça pue la magie. Et pas des plus bienfaisantes.
Je m'étire sur mon arbre, et fais craquer mes os. Je devrais atteindre mon objectif aujourd'hui. Enfin... je devrais atteindre le point d'impact de la chose bizarre qui s'est écrasée. Si c'est un objet mobile, il va falloir s'attendre à une longue traque. Et plus j'aurais de retard, plus je peinerais à rattraper ce qui sème le trouble dans les bois. Pour cette raison et par ce que j'ai hâte de retourner m'entraîner à la maison, je ne prends le temps que de faire pousser deux pommes avant de retourner sur le sol, à ma course.
La deuxième partie de voyage ne me fait plus du tout sourire, notamment à cause de cette absence totale de bruit. La forêt est sombre, et je n'aime pas ça. Sans même m'en rendre compte, je me mets à trottiner, puis à courir, en écartant mes obstacles avec ma magie. Plus j'avance, plus je suis étreint par un sentiment d'urgence. Les arbres, silencieux, semblent s'écarter presque d'eux même devant moi, et ils m'investissent d'une énergie extrêmement puissante. Mes pauses deviennent très courtes, à peine quelques minutes, à reprendre mon souffle sous de grands églantiers. C'est ainsi, qu'en début d'après midi, je débouche à toute allure dans une clairière que je n'ai jamais vue. J'écarquille les yeux. Elle est au moins aussi grande que la clairière au Fées. Même si j'avais été amputé d'un œil et d'une jambe dans mon enfance et dans ma jeunesse, je n'aurais absolument pas pu rater une clairière de cette taille. Elle n'est absolument pas naturelle...
Je regarde autour de moi, muet d'horreur. Pas d'herbe brûlée, ni d'arbres renversés, comme on aurait pu s'y attendre de la part d'une chute de météorite. En fait il n'y a... Rien. Aucune trace de végétation ou d'animal, peu importe sa forme. Juste de la terre battue, creusée en des trous de diamètre modeste, mais profonds en certains endroits.
La forêt est devenue... désertique à cet endroit. Au centre exact de la clairière, une grosse pierre, encastrée profondément dans le sol. Je me dirige vers elle, à pas lents et prudents. Le rocher doit diffuser une sorte de poison extrêmement puissant, ou des radiations de magie nocive. Dans tous les cas, je me tiens prêt, deux graines matérialisées dans mes mains brillantes. Je ne me laisserais en aucun cas surprendre. J'ai appris depuis longtemps que ce qui est immobile n'est pas nécessairement inoffensif. Avant d'avoir pu toucher la pierre, je glisse dans un trou qui s'est affaissé sous mon poids. Mon pied est englouti presque jusqu'au genou sous la terre, sans humus, sèche et friable. Je pousse un cri de dégoût, et bouge frénétiquement.
Quelque chose a bougé, là dessous!
Je fais émerger mon pied, avec une force dont je ne me croyais pas capable, puis je regarde l'endroit où l'ancien trou m'a piégé. Rien... Je continue ma progression lente, évitant désormais soigneusement les creux et les frondrière traîtresses de cette clairière. J'arrive en son centre, sans que rien ne se soit manifesté. Je touche la pierre, avec une de mes graines de God of Tea, puis je ferme les yeux et projette mon esprit. Ça ne semble pas être un végétal, ni même un être vivant... Un simple objet venu de l'espace? Il a sûrement provoqué une déflagration quand il a atterri, carbonisant la végétation aux alentours, et causant la grosse illumination que j'ai constatée avant-hier... Oui, ça serait logique. Mais les trous? L'astéroïde lui-même en est percé. De la largeur d'une grosse main de bûcheron. Je jette une graine à l'intérieur. Elle rebondit, longtemps, avant de s'arrêter. Ça a l'air très profond... Je regarde la pierre perplexe. D'un noir d'ébène, elle ne m'évoque aucun minéral. (Ce qui ne veut pas dire grand-chose... Je ne suis pas doué pour le non-vivant.) Elle est parfaitement lisse, à part aux endroits où se trouvent les trous. Trous bien creusés. Je contourne l'objet... Et tombe avec surprise. Sur ma graine, tombée de l'autre côté... Je la ramasse et l'observe perplexe. Aucune odeur, ou substance particulière dessus... C'est parfaitement creux.
Mais... Il y a quelque chose ici. J'en suis sûr. Je plante la graine dans le sol, et y insuffle une grande quantité de magie. En surface, le sol a perdu de sa nutritivité, mais Kunnugi est une forêt depuis des siècle. En faisant pousser les racines d'abord, j'arrive à obtenir un théier de plusieurs mètres de haut. En projetant ma pensée dans les arbres aux alentours, j'arrive enfin à confirmer mon impression.

La forêt est attaquée!

Partout autour de moi, à la limite de mon pouvoir mais parfaitement perceptible, je sens la douleur des arbres. Silencieux, ils vacillent, et semble rongé par un chancre plus infect que les plus terribles insectes. Je descends du théier en hâte, glissant sur le tronc plus que de raison, puis démarre au quart de tour vers la lisière de la clairière. Je remarque enfin un détail qui aurait dû me sauter aux yeux dès que je suis arrivé: la clairière est parfaitement ronde. C'est totalement impossible. Sauf si elle résulte d'un travail lent et méthodique de destruction. J'arrive au premier arbre de la lisière. Cet arbre dégageait la même souffrance que les autres, avec la même origine. Les racines. Pâle comme un mort, je murmure une prière, avant d'activer la Vegetal Hand.
L'arbre, impulsé par ma magie, tombe, exhumant brusquement des boules de poils suspendues à ses racines. Je bondis, en arrière, et lâche mes graines sur le sol infertile. Ça va prendre un peu de temps, mais il faut que j'examine l'animal ou la maladie extraterrestre qui ronge Kunnugi. Les boules de poils se détachent, laissant apparaître une grande bouche, munies de dents en V qui ont l'air plus tranchantes que n'importe quelle hache. Ce sont des êtres vivants conscients sans aucun doute. Petits, de la taille d'un ballon pour enfant. Elles sont au nombre de six, toutes mobilisées sur le même arbre. Le spectacle des racines à l'air me fait froid dans le dos. Plus aucune trace de radicelles. Tout a été minutieusement grignoté, et en certains endroits, le tronc-même est attaqué à coup de dents féroces. Je me force à adopter un visage calme, mais ma colère ascendante est visible dans mes mains, qui s'illuminent de plus en plus vite, au rythme des battements de mon coeur qui accélère.
Les boules de poils, désorientées, se regroupent en petits bonds en une masse compacte. Sous la fourrure d'un vert sombre, je peux constater que des yeux à l'air doux et gentils m'observent. Des yeux d'oiseau innocent. Ma colère frôle la furie, et mes graines sont déjà devenues arbustes. J'inspire au maximum, puis parle.

-Je suis Magnus, protecteur et protégé de Kunnugi. Cessez immédiatement de ronger ces arbres. Appelez vos amis, et SORTEZ DE CETTE FORÊT!

Je n'ai pas pu m'empêcher de hurler à la fin. J'arrive à sentir, même sans toucher d'arbres, la douleur sans bruits des seigneurs verts rongés sans répit, et sans aucune possibilité de défense face à ces nouveaux ennemis. Ma colère se teinte d'une souffrance qui devient insupportable, et je suis obligé d'arrêter ma magie un bref instant pour pouvoir souffler un peu. Mais les théiers sont déjà d'une taille raisonnablement élevée. Je recule. Les créatures s'agitent en bondissant, et je peux voir émerger de la partie supérieur de leur anatomie deux petites antennes charnues, semblables à des cornes, d'un rouge écarlate. Je colle mes deux mains sur mes deux arbres, y implantant deux autres graines. Puis je recule, concentré sur ma magie.
Comme je le prévoyais, les bonds avec des cornes rouges ne sont pas un signe de paix dans ce peuple. Les arbres à la lisière, tous ceux autour de la clairière s'agitent brusquement, comme secoués par un jour de vents violents. À leur pieds le sol commence à bouger comme s'il y avait des millions de fourmis enterrés dans la terre. J'ai un frisson d'horreur. À chaque pied d'arbre émerge avec un bruissement menaçant plusieurs formes du même vert sombre et malsain. La clairière doit faire au moins une cinquantaine de mètres de diamètre, et compter autant d'arbres à sa lisière. Ce qui fait un sacré paquet de boules de poil à châtier. Je frissonne, horrifié par la masse grouillante qui s'avance, sans faire grand bruit, vers moi. À croire que leur bouche ne leur sert qu'à manger, et pas à s'exprimer... Ce qui peut tout à fait être le cas vu le nombre de dégâts qu'ils ont réussi à faire en une nuit et un jour.
La douleur des seigneurs arbres s'accentue, en même temps que ma magie. Cinq graines de God of Tea apparaissent dans chacune de mes mains, que je jette au hasard autour de moi. Je ne vais pas me laisser submerger par le nombre aussi facilement. Les graines tombent sur le sol, et s'y enfoncent promptement, histoire de ne pas finir immédiatement dans le ventre des premiers arrivants. Je monte prestement sur mes deux premiers hauts théiers. Les Spiny Ivy sont prêtes. Vert clair, étincelant sous le soleil, des lianes couvertes d'épines de roses aussi pénétrantes que des vraies, ondulent avec vivacité autour des arbres. Je dois me concentrer pour les maintenir en l'air. Je n'ai pas livré de vrai combat de ce type depuis longtemps.
Mais les vieilles habitudes ne s'oublient pas. Les lianes volent avec un claquement sec, chacune dirigée par un doigt. Les créatures silencieuses tentent de les sectionner au vol en s'accrochant avec leur mâchoire. Je ne leur en laisse pas l'occasion. Celles qui ne sont pas envoyées valser dans les airs, meurent immédiatement, fracassées quand elles retombent sur le sol, balancées avec toute la violence que je peux impulser aux lianes. Maintenant, je suis VRAIMENT HORS DE MOI. Les arbres autour de moi et autour de la clairière tombent comme des mouches, rendus totalement bancals par le grignotage intense de leurs racines. Il agonisent lentement, les racines à l'air, sans plus pouvoir respirer. Je sens leur douleur et leurs efforts acharnés pour se maintenir en vie. Je n'arrive plus à distinguer ma douleur de celle des arbres, mais je sais très bien d'où vient la furie qui augmente ma magie. Même un million de tasses de cafés prises dans une maison remplie de rideaux ne peut justifier un tel massacre. Les larmes aux yeux, la rage au ventre, je pousse un hurlement bestial.

-BOUFFEZ CA.

Comme en réponse à mon défi hurlé, des centaines de cris retentissent alors à travers la clairière. Ces bestioles ont donc bien une voix, qui ne s'exprime que pour le sang. Je vais leur en donner du sang.

-Le feu, le fer, le sang, la sueur et la mort!
Voici les visions que j'entends encore et encore! ♫
Tête brisée! Cou cassé! Crâne percé! Âme fracassée!
Voilà de quoi se rit le vrai guerrier. ♫
Venez donc à moi,Ô sanglants Ennemis du théier!
Venez donc! Ô infâmes Ennemis de la forêt! ♫
Je vais vous montrer, qui est Magnus, Selvutus, Teaphilus!
Chevaliers des Seigneurs Verts, j'y tiens mordicus!♫
Frappe, frappe, frappe grande liane!
Perce le corps, le cœur, et les organes !♫
Meurs! Meurs! MEURS! Mort au meurtrier!
Vos crimes odieux au centuple je vais vous faire payer!♪
Sales monstres, vous osez grimper au tronc?!
Hé bien voici des lianes pour punir votre présomption!♪
Et vous, vous voulez manger mes arbres chéris?
Mangez donc un peu de pollen pour freiner vos envies!♪
Et là j'ai de quoi récompenser votre témérité!
MORT! MORT! MORT AUX MEURTRIERS!


MORT. MORT. MORTS AUX MEURTRIERS.

Frapper avec la liane. Lancer une pastèque géante pour mouiller, avant d'utiliser l'eau pour faire pousser les racines et étrangler la cible. Tuer en abattant le sommet du théier violemment sur le sol. Écraser sous une liane. Achever avec un coup sec ceux qui survivent. Donner un coup de poing violent à ceux qui réussisent à monter avant de les achever avec les lianes. Faire repousser les lianes avec de l'Hyper Wilt. Tuer. abattre, achever, anéantir, assassiner, bousiller, buter, casser, casser la tête, casser le cou, faire crever, décimer, démolir, dépêcher, détruire écraser, égorger, étouffer, étrangler, étriper, éviscérer, exterminer, faire cesser, faire couler le sang, faire disparaître, faire la peau, faire mourir, massacrer, mettre à mort, percer, saigner, supplicier, supprimer, trucider, verser le sang, zigouiller.

Et soudain, le silence. Je m'éveille d'une sorte d'état demi-conscient, et regarde autour de moi. Partout, des cadavres des animaux bizarres, inanimés. Une énorme tristesse me saisit, en contemplant les yeux vides, qui lancent un dernier regard innocent au ciel, comme pour lui demander pourquoi tant de cruauté. Dans de piètres états, les extraterrestres qui ont tentés de fuir dans la forêt, ont été stoppé net par la barrière d'arbres à demi-morts qu'ils avaient eux même contribué à créer. Je ne sais même plus comment je les ai tués. Tout est si flou dans ma tête. Je me souviens juste d'un refrain obsédant, qui appelait à une haine aveugle et fascinante... La tristesse reflue, pour faire place à une fatigue incroyable. Mon cœur s'est calmé, et mes mains brillent de plus en plus faiblement, m'immergeant à présent pleinement dans mon corps. Un corps de vieillard. Qui a subi des blessures au cours de l'assaut.
Je descends lentement de l'arbre, avec la démarche raide d'un mourant. Je dois m'aider de marches magiquement taillées dans le tronc pour descendre à même le sol. J'ai une douleur atroce à la chevillle, la même qui a servi à shooter dans un alien qui a essayé de me sauter à la gorge une fois sur l'arbre. Je vais donc, clopin-clopant, le regard hagard, dans ce désert au milieu de la fertilité digne des plus grands champs de bataille. Je souris amèrement, pour la première fois depuis fort longtemps. Magnus, le Chevaliers des Seigneurs Verts? Non, je reste un Boucher dans l'âme. Voilà pourquoi je me suis caché si longtemps dans Kunnugi. Pour ne plus avoir à tuer d'autres êtres de chair et de feuilles. Pour quelque raison que ce soit. Je m'arrête, me reposant sur ma jambe valide, et regarde ma main. Elle fume dans la lumière déclinante. Un puissant corrosif a rongé la peau et exhume les muscles.
Mon corps entier est douleur. Mais je suis encore en vie. Comme sur les champs de bataille, des années plus tôt. Force? Faiblesse? Absurde. Face à la mort, même la magie des arbres semble absurde. Je retourne du bout du pied un cadavre sanguinolent. La bouche ouverte, dans un dernier rictus. Comme s'il était communicatif, ce rictus vient sur mes lèvres, où il se transforme en rire joyeux. La vie, la mort, la douleur, l'absurde!

Il vaut mieux en rire qu'en pleurer pas vrai?

Je m'enfonce lentement dans la forêt.
   
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