« Misto Shida, mage indépendante également. Connaitre n’est pas le bon mot pour Crysis. Je dirais plutôt… rencontré. Il est avec nous, enfin je crois. »

Misto, ainsi se nommait l'adolescente. Jiro la contemplait du coin de l'œil, tout en avançant au travers des arbres avec elle. Elle avait donc rencontré Crysis depuis peu, et au vu de sa dernière phrase, elle semblait considérer Jiro plus comme un allié qu'elle ne le faisait avec Crysis. Autrement dit, vu qu'elle ne connaissait quasi rien de Jiro, elle devait encore moins en connaître sur l'énigmatique Crysis.

L'adolescente ralentit la cadence, suivie de Jiro qui la regardait pour savoir de quoi il était question. Elle semblait préoccupée et fixait devant elle sans s'en rendre compte, comme si elle réfléchissait au fond d'elle intensément.

« Henning. Il est temps de voir jusqu’où tu peux m'être utile. »

Elle s'adressait au loup gris qui paraissait peu enclin à lui obéir, il jetait un regard froid autour de lui, notamment à Jiro auquel il ne s'était toujours pas habitué. L'homme, lui, observait, indifférent, la bête.

« S’il te plait Henning. Sinon je te révoque. »

La bête grogna avant de s'en aller, faussement docile. Misto resta quelques instants dans la même position, sa position de réflexion. Jiro en déduisit qu'elle communiquait avec ses compagnons animaliers, et il ne doutait pas que la bête avait partagé son appréhension vis-à-vis de Jiro. Mais alors pourquoi la fille restait avec lui, l'infréquentable Jiro ? Était-ce par stratégie, pour mieux le surveiller et l'attraper si elle le surprenait à tuer, ou était-ce un comportement masochiste de sa part, de flirter avec l'assassin, de humer l'odeur si proche de la mort qui pourrait surgir n'importe quand ?

« Excuse-moi d’être aussi absente, je… transmets mes ordres. D’ailleurs, on m’a dit qu’un cadeau allait bientôt nous rejoindre mais je ne le vois toujours pas … »

Jiro allait lui répondre, comprenant la situation, mais ce fut une tierce voix qui le fit. Il se figea, essayant de localiser l'origine de la menace. Un mouvement de l'air le mit sur ses gardes, et en levant les yeux, il vit un loup tomber aux pieds de Misto, et en même temps, trois silhouettes leur foncer dessus. Misto réagit rapidement en invoquant un bouclier sur lequel les trois ombres se stoppèrent, et Jiro pu mieux discerner ce qu'elles étaient : des cadavres ambulants, signes d'une quelconque magie obscure. Jiro, devant un travail de marionnettiste aussi mal fait, devant des pantins si mal entretenus, se promit de ne pas laisser repartir l'assaillant indemne. Il se tourna vers Misto, qui semblait d'autant plus déterminée à stopper leurs nouveaux adversaires. Derrière les trois cadavres articulés arrivèrent bientôt ceux qui tiraient les fils de cette attaque...

« Alors fillette ? On n’aime pas la saleté ? Je suis pourtant sûr qu’elle te siérait à merveille à toi comme à ta copine ! Laissez-moi donc vous tuez avec douceur mes mignonnes !
_ Tache de m’en garder une Adams, j’ai envie de m’amuser un peu aussi tant qu’elles sont vivantes.
_ Ne t’en fait pas Pablo, je partage toujours ce genre de trésors. »

Jiro fronça les sourcils ; il avait été prit pour une femme, et cela le désolait. Les deux invités étaient des idiots, et rien que pour ça, il avait envie d'en finir avec eux. Il devait se contrôler, n'ayant pas envie de dévoiler ses instincts sanglants à sa nouvelle compagne, mais il pouvait, tout du moins, les stopper pour un bon moment.

Misto se prépara au combat, mais un des hommes recula, laissant l'autre s'occuper seul des deux mages. Étaient-ils si certains de leur victoire ? Si le loup de Misto avait été vaincu par eux deux, cela voulait-il dire que Misto n'était pas suffisamment forte pour les contrer ? Mais alors, pourquoi restait-elle droite face à eux, sans pour autant demander de l'aide à son compagnon ? Jiro lui laissa la chance de s'occuper d'Adams tandis qu'il se hâta de rejoindre Pablo, celui qui s'était reculé pour mieux profiter du spectacle.

Jiro recula à son tour, disparaissant derrière les arbres, comme s'il s'enfuyait. Il n'avait pas prévenu Misto, mais il était convaincu qu'elle ne penserait pas qu'il l'abandonnait. Il sauta sur une branche basse et continua son ascension dans les arbres feuillus, contournant la clairière dégarnie où était restés Misto et son furtif adversaire. Il vit, en hauteur, Pablo, et sortit une aiguille d'une de ses poches, prêt à la lancer pour qu'elle se plante dans la tête de sa nouvelle cible.

« Je t'ai vue, petite intrépide. »

Pablo se retourna et leva les yeux pour croiser ceux de Jiro. Ce dernier, abandonnant, se laissa tomber à terre en faisant la moue.

« Bien joué. »

En voyant Jiro de plus prêt et en l'entendant parler, Pablo eut un mouvement de recul.

« Hé, mais t'es un mec ?! Tant mieux, je vais pas avoir à me contrôler... »

Pablo remonta alors ses manches, et ses muscles gonflèrent par eux même, transformant son corps en un ersatz d'athlète.

« Ma magie d'amplification des muscles... Goute à mon poing ! »

Il bondit sur l'autre homme, le poing prêt à le frapper en plein visage, mais Jiro esquiva en roulant sur le côté. Pablo enchaina quelques secondes plus tard en recommençant la même offensive, mais Jiro continua à esquiver, et arriva rapidement dans le dos du sur-homme. Il sauta et frappa la nuque du plat de la main du plus fort qu'il pouvait pour tenter de lui briser le cou, mais aucune réaction ne se fit. Par contre, Pablo eut le temps de se retourner pour attraper le bras de Jiro et l'envoyer contre un arbre d'une manière des plus violente. Le choc contre l'écorce immobilisa Jiro pendant quelques secondes qui eut l'impression d'avoir tout le corps paralysé avant d'en reprendre le contrôle pour éviter une nouvelle offensive de Pablo.

Le combat tournait en rond, n'allait que dans un seul seul : Pablo attaquait, Jiro esquivait et remerciait par la même occasion son agilité remarquable. Un jeu de chasse qui paraissait interminable, mais Jiro commençait à ressentir de la fatigue. Bientôt, il se ferait attraper, et il ne pourrait rien faire, par manque de puissance, contre un tel géant. Il fallait qu'il réfléchisse à une alternative. Il la trouva bien rapidement.

Il courra sans s'arrêter parmi les arbres de façon à imposer une certaine distance entre Pablo et lui, puis il invoqua Sayuki. La marionnette à forme humaine, blonde et mince, apparut sur le côté tandis qu'il bifurqua sans prévenir vers le côté opposé, de sorte à ce que quand Pablo arrivera, il ne fera pas de lien entre Jiro et Sayuki. Jiro se cacha derrière un large tronc et se concentra pour faire parler Sayuki.

Parler était un bien grand mot ; elle se contenta de crier au désespoir. Pablo, qui arriva bien rapidement, se stoppa face à elle, fort intéressé par son physique. Car si Jiro avait bien compris une chose, c'était que les deux hommes étaient avides de trouver une femme. Pablo se détendit, son expression changea.

« Bah alors, ma petite dame, faut pas avoir peur, je vais vous protéger, moi... Allez, venez... »

Il tendit une main énorme face à elle, convaincu, aussi absurde que cela pouvait être, qu'elle allait accepter son offre et le suivre bien sagement.
La marionnette n'esquissa aucun geste en guise de réponse. Pablo fronça les sourcils, le temps que cinq aiguilles se plantèrent simultanément dans son front. Il resta, hagard, quelques secondes debout, puis tomba à la renverse, mort.

Jiro, plus loin, abaissa son bras, satisfait. D'un geste de la main, il fit disparaître Sayuki, puis il s'approcha du nouveau cadavre. Le corps de Pablo se décomposa étrangement pour reprendre une apparence normale, celle qu'il avait avant qu'il n'utilise sa magie qui booste les capacités physiques. Sa luxure aura eu raison de lui.

Jiro se pencha sur le corps, arracha chaque aiguille, les essuya avec les vêtements sales du défunt puis les rangea dans ses poches. Il se releva, et tourna la tête vers la gauche, là où se trouvait la clairière. Qu'en était-il de Misto ? Il espérait qu'elle n'avait rien, et se dirigea, empli de curiosité mais aussi d'une certaine peur, vers la clairière...

- Regarde ma toute belle ! Ta compagne te lâche !

Le rire de la jeune femme s’éleva entre les arbres. Jiro avait bien disparu mais elle ressentait encore l’aura du jeune homme à proximité. Elle avait confiance, il reviendrait tôt ou tard. Elle allait bluffer en espérant que cela marcherait.

- Ne le confond pas avec ton minable de copain. Après tout, qui d’autre qu’une lavette pourrait laisser un autre en arrière ? Qu’est-ce qu’il t’a dit ? Qu’il reviendrait te voir ? Qu’il serait toujours avec toi pour tes mauvais coups ?

Adams perdit de la contenance, ce qui fit hésiter ses poupées cadavériques. Misto recula, le fleuret à la main et se mit en garde. C’était des morts, elle n’avait pas à retenir ses coups. Bien au contraire. Elle passa ses doigts sur la lame en élargissant son sourire. Elle n’aimait pas jouer ce rôle mais elle n’avait pas le choix.

Henning, changement de plan. Tu le contournes et tu le mords dans le dos.
Hors de question.
C’est lui ou moi.
Faible. Pourquoi Izanami en a donc après toi …
- Pas de réponse mon cher Adams ? Ton ami ne le serait-il donc pas ? Tu as beau être plus vieux, plus expérimenté, tu n’as aucune idée d’avec qui t’allier. J’ai du mal à croire que tu te sois sauvé de la prison. Quoi que, les services n’était peut-être pas si sécuritaire que ça pour qu’un cloporte réussisse a passer son sale pif dehors…
- Tais-toi !

La pique fit mouche et les marionnettes se jetèrent sur la jeune fille. Grave erreur d’ailleurs. Le tranchant, bien qu’absent, n’eut aucun mal à traverser la chair du premier pantin. Un bruit de sucions accompagna sa chute et Misto écrasa violement le crâne du mort.

Pardon anonyme, c’est pour la bonne cause.

Elle s’attaqua ensuite au deux restants. L’un d’eux la mordit au bras avant qu’elle l’utilise comme bouclier contre l’autre bestiole. Elle lui brisa la nuque en espérant que cela couperait les transmissions. Gagné. La mâchoire se desserra et elle put se débarrasser de son assaillant. Son crâne subit le même sort que celui du précédent alors qu’elle faisait un bond en arrière pour se soustraire à la dernière marionnette. Elle devait mener son jeu à son terme.

Henning ?
J’attends ton signal.
- Tu es faible. Tu es seul et tu ne fais pas confiance à tes alliés. C’est là tout mon contraire. Ta remarque de tout à l’heure était inutile. Je sais que mon compagnon reviendra. Je sais que je ne suis pas seule. C’est de la que je tire la force de surpasser un pauvre bouffeur de cadavre sans aucun talent.

La haine déforma les traits d’Adams mais Misto ne bougea pas d’un pouce. Bien au contraire. Elle s’avança avec aisance en plein milieu de la clairière, tournant volontairement le dos à la marionnette. Le mage, lui, recula vivement comme s’il la craignait.

- N’avance pas !
- Tu as peur. Tu es perdu sur ton chemin. Voilà pourquoi tu ne pourras jamais ébranler ma volonté.
- Recule j’ai dit !

Il jappait comme un louveteau mort de trouille, près à fuir à n’importe quel instant. La Kashu fit encore un pas vers lui. Elle surveillait ses arrières au cas où mais le marionnettiste paraissait trop déstabilisé pour l’attaquer dans le dos. Il recula encore, se préparant à fuir comme un lapin apeuré. Le cadavre se jeta alors sur la brune qui l’attendait de pied ferme. Elle fit un tour sur elle-même et l’éloigna d’un coup de pied alors que le prisonnier prenait ses jambes à son cou.

Maintenant !

Le loup blanc surgit et le saisit à la gorge. Ils s’écroulèrent tous les deux dans un mélange de feuilles mortes et de pelage blanc pur. Adams hurlait de douleur donc Misto jugea qu’Henning avait fait mouche. Elle s’approcha et choisi de clore le jeu. Cela avait assez duré comme ça.

- En temps normal, je t’aurais juste assommé et livré mais une règle qui m’en empêche.

L’esprit de l’Insoumis resserra ses mâchoires un peu plus forts pour garder le contrôle sur sa proie alors que celle-ci se débattait. La brune rengaina sa rapière pour fixer l’homme droit dans les yeux en prononçant les derniers mots de son existence.

- Œil pour œil. Dent pour dent et ta vie pour rendre justice aux morts.

Les crocs d’Henning touchèrent le nerf qu’il cherchait depuis cinq minutes et Adams perdit connaissance. Il allait avoir la surprise de sa vie quand il allait se réveiller dans une cellule mais au moins, il s’en souviendrait longtemps et, qui sait, peut-être que ce flirt avec la mort le dissuaderait de repasser du mauvais côté de la barrière ? L’esprit recula vivement en crachant tout ce qu’il savait. Il ne supportait pas le sang et encore moins attaquer. Il décida illico presto de faire la gueule pendant le reste de la mission. Il n’était pas un vulgaire chasseur ! Grognant vivement alors que la jeune fille retournait dans la clairière en trainant le prisonnier inconscient derrière elle. Misto le délesta de toute ses armes avant de l’attacher bien serré et de s’occuper de la marionnette restante. Un pas incertains lui parvint aux oreilles, la Kashu leva vivement la tête et adressa un sourire à Jiro.

Ne fait pas ça !
- Je ne sens plus la présence du second. Il est mort n’est-ce pas ?

Cela jeta un froid dans la trouée de verdure. La jeune femme s’assit bien à découvert et regarda son coéquipier sans ciller. Elle n’avait pas peur mais elle n’allait peut-être pas survivre cette fois. Elle vit bien que l’expression de Jiro changeait, devenait plus sombre, plus mauvaise, plus triste.

- Je ne te jugerais pas, je crois en toi, poursuivit-elle en se levant pour l’approcher.

Elle crut apercevoir l’éclat des aiguilles dans les mains du jeune homme. Henning observa la scène de loin. L’esprit et sa maitresse avait un point commun : ils regardaient tout deux l’homme brun droit dans les yeux. L’un lui rappelait sa promesse, l’autre s’assurait qu’il ne ferait pas de chose qu’il regretterait en farfouillant dans son esprit. L’adolescente s’arrêta à mi-chemin et tendit la main à Jiro.

- Je n’ai pas peur de mourir contrairement à la plupart des gens. Mais toi, as-tu peur de me tuer ?

Les yeux de la brune respiraient la confiance en cet inconnu. Sa posture était dépourvue de mauvaise intention envers lui.

- Je n’ai ni nom ni famille. Pourtant je t’offre un foyer. Accepte ou refuse, quoi que tu choisisses, je respecterais ta résolution.

Misto attendait, sa main blessée tendue devant elle. Elle vit Jiro armé son bras comme s’il s’apprêtait à la frapper et clos ses paupières pour ne pas lui montrer le regret d’avoir échoué. Finalement, la mort n’avait pas apprécier qu’elle lui refuse la vie du prisonnier. Henning fit volteface et regarda les bosquets.

- Tu as entendu ? On dirait que les deux autres étaient à la tête d’une véritable armée d’évadés. Et ils arrivent droit sur nous.

Jiro arriva dans la clairière, le cœur battant étrangement vite, et il ferma les yeux deux secondes avant de faire un dernier pas qui le conduirait à la vérité. Lentement, il ouvrit les yeux, et vit la silhouette féminine se retourner vers lui, toute sourire. Elle était partiellement blessée, mais elle était sortie victorieuse de son combat - le corps de l'autre homme se trouvait non-loin d'elle. Jiro fut immédiatement soulagé de ne pas être responsable de la mort de l'adolescente et s'avança davantage d'elle tandis qu'elle faisait de même.

« Je ne sens plus la présence du second. Il est mort n’est-ce pas ? »

Cette phrase figea le marionnettiste. Elle n'était pas si choquante que ça, mais la façon nonchalante dont elle l'avait prononcée avait atteint Jiro d'une manière inconcevable. Elle n'exprimait aucun reproche, ni regret. Elle n'était ni triste, ni heureuse d'une telle issue. Elle s'assit, indifférente, en contemplant Jiro qui lui faisait face, immobile. De longues secondes s'écoulèrent, durant lesquelles les pensées dans la tête du tueur se bousculaient. Qui était cette gamine pour l'affronter ainsi sans pudeur ?

« Je ne te jugerais pas, je crois en toi. »

Elle se releva et s'approcha. Jiro venait de tuer plusieurs personnes aujourd'hui, et pourtant, sa soif de péché ne se calmait pas. La jeune fille l'amplifiait, même. Elle jouait avec le feu en faisant chaque pas nouveau vers lui. Elle l'observait de ses gros yeux et leur regard ne se détachait pas. Qu'était-elle en train de faire ? Qu'espérait-elle ? Avoir des émotions fortes en flirtant avec un meurtrier ? Malgré ses nombreux questionnements, son visage resta de marbre.

« Je n’ai pas peur de mourir contrairement à la plupart des gens. Mais toi, as-tu peur de me tuer ? »

Les yeux du mage s’agrandirent légèrement, surpris de la tournure de la situation. La jeune était consciente de tout ce qui se tramait dans son dos, elle avait compris rapidement à qui elle avait affaire, elle avait vu les mains tâchées de sang de l'assassin. Elle était perspicace, sans doute grâce à ses compagnons qui l'avaient peut-être suivi quand il était parti poursuivre Pablo; ou pire, peut-être s'étaient-ils introduits dans son esprit comme ils semblaient le faire avec elle. S'ils avaient réellement sentis la nature des émotions contradictoires de Jiro, s'ils avaient ressentis ses envies dérangeantes de voir le sang couler, de se procurer satisfaction par une tuerie finement orchestrée... pourquoi restait-elle là alors qu'elle aurait pu s'enfuir ? Pour le capturer, lui-aussi ? Pour le vaincre tout comme elle avait vaincu l'autre homme et le ramener à Crysis, aux autorités ?

Peut-être que c'était ce qu'il méritait. Tuer était mal, il le savait, mais ne pouvait rien faire contre. Il vivait de ça, sans réussir à dompter ses instincts. Il devrait normalement être enfermé, mais il ne pourrait vivre de l'enfermement, il le savait bien. Entre vivre ou mourir, il préférait vivre, même si cela impliquait la mort d'autrui.

Lentement, il sortit d'une de ses poches une aiguille. Ses gestes, précis, étaient calculés. Misto ne fléchissait pas son regard, au contraire, elle s'avançait toujours plus vers lui, s'enfonçant dans les yeux limpides du garçon. Elle tendit alors son bras vers lui.

« Je n’ai ni nom ni famille. Pourtant je t’offre un foyer. Accepte ou refuse, quoi que tu choisisses, je respecterais ta résolution. »

Puis elle ferma les yeux. Jiro, immédiatement, stoppa son mouvement de bras, sans pour autant cacher l'aiguille. Cette adolescente, tout comme Rosa, fermait les yeux et oubliait la nature profonde de Jiro et l'acceptait tel quel. Tout bonnement déconcerté, il relâcha un souffle de soulagement et s'approcha de Misto.

« J'ai du l'attaquer avec cette aiguille et elle s'est plantée dans sa tête. Il ne s'est pas relevé... »

Il rangea alors l'aiguille, persuadé que malgré l'esquive qu'il venait de fournir, elle n'était pas dupe et savait qu'il l'avait sans doute sortie pour autre chose. Il saisit délicatement la main ensanglantée de Misto et l'observa finement.

« Tu penses que ça va aller ? Je n'ai rien pour te soigner actuellement, il faudrait vite retrouver Crysis pour savoir quoi faire ensuite. »

Il lâcha la main et se retourna, telle était sa manière de contourner la situation dans laquelle ils étaient quelques secondes plus tôt, comme s'il ne s'était rien passé. Soudain, un loup sortit des buissons et s'avança.

« Tu as entendu ? On dirait que les deux autres étaient à la tête d’une véritable armée d’évadés. Et ils arrivent droit sur nous.
_ Très bien, je m'en occupe. »

Jiro s'approcha du corps inanimé de l'adversaire de Misto et le contrôla avec sa magie. Le corps se releva, ses yeux s'ouvrit, et il marcha en direction d'où venait le loup, guidé au loin par Jiro qui le maniant en rythmant ses pas par des gestes fluides de ses bras. L'homme s'avança, malgré ses blessures, et rencontra quelques mètres plus loin une vingtaine d'évadés qui s'arrêtèrent tous devant lui.

« Chef Adams... Vous... vous allez-bien ?
_ Oui, c'est bon, je me suis occupé de quelques vermines derrière-moi, il n'y a plus rien de ce côté. Maintenant, rendez-vous vers l'ouest, c'est là bas que notre prochain menu nous attend...
_ Ouais ! »

Ils s'en allèrent tous dans une direction différente, contournant ainsi la clairière où Jiro et Misto se trouvaient. Jiro abandonna le corps d'Adams qui tomba à terre, toujours inerte, puis se tourna vers l'ouest à son tour.

«Crysis est parti dans cette direction, n'est-ce pas ? Ces hommes vont lui tomber dessus très rapidement, alors il va falloir qu'on se dépêche pour le sauver et les avoir par derrière. »

Il lança un regard furtif vers la fille, et prononça une dernière parole, non-dénuée de sens, avant de partir à la poursuite des évadés.

« Allons-y, je te suis. »

Le stratagème de Jiro fut d’une efficacité redoutable et donna un aperçu des capacités de celui-ci à Misto. Les prisonniers devaient vraiment être pressé puisque la technique n’était pas très élaborée et facilement remarquée. Enfin. Ils avaient pris la marionnette humaine au mot et étaient partis tête baissée. Le corps du chef retomba sur le sol sans la moindre délicatesse.

- Crysis est parti dans cette direction, n'est-ce pas ? Ces hommes vont lui tomber dessus très rapidement, alors il va falloir qu'on se dépêche pour le sauver et les avoir par derrière.
- Oui, il vaut mieux tomber sur Crysis avant eux.

Ils échangèrent un regard bref, avant que Jiro n’exprime sa pensée.

- Allons-y, je te suis.

La surveillait-il ? Attendait-il le bon moment pour l’éliminer ? La jeune femme ne connaissait pas la réponse à ses questions mais elle lui faisait parfaitement confiance malgré qu’il ait tenté de lui cacher ses crimes.

A-t-il essayé de me protéger ?
Je n’en doute pas un instant petite.
Il lui faut du temps Misto, il a eu beaucoup d’émotion avec toi dans les parages.
Dis que je suis embêtante surtout.
Oui, Tu ES une emmerdeuse.

La jeune demoiselle soupira et fit signe à Henning.

- Si tu pouvais te charger de détecter les troubles fêtes et de les éloigner …
- Soigne-toi.
- Henning, ce n’est pas le moment pour…
- Soigne-toi, la coupa-t-il, Tout de suite.

Le ton du loup était sans appelle, ce qui la fit soupirer. Elle s’empara prestement d’une bandelette qu’elle avait fourrée dans son sac de voyage et la noua maladroitement. Le bandage était dans un triste état mais bon, il tiendrait et rassurerait sans doute l’esprit. Celui-ci opina et alla se perdre dans la végétation.

- Il a vraiment un foutu caractère, grommela-t-elle.
J’ai entendu.

Elle s’étira et prit son élan. La course qui les attendait promettait d’être longue.

*

Misto posa la main sur son fleuret en sautant par-dessus une racine. Derrière elle, Jiro suivait tranquillement. Le jeune homme était d’un calme olympien, sa démarche gracieuse et aérienne rappelait sans peine un félin. La Kashu se sentit un peu pataude à ses côtés alors qu’elle essayait de limiter les bruits de leur avancée. Son grand esprit loup avait rejoint le groupe de prisonnier pour les retarder, leur croquant les mollets avant de disparaitre dans l’ombre des fourrés.

Vous êtes proches.
Je ne vois rien.
Un arbre peut en cacher un autre Sans Nom. Et il n’y a pas qu’un seul arbre dans la forêt.

- Tu sens quelque chose Jiro ? demanda-t-elle à haute voix alors qu’il venait de se placer à sa hauteur.

Il lui répondit vaguement, sans réellement s’attarder sur les détails. Le mage était nettement moins causant depuis quelques temps. Réfléchissait-il ? Traquait-il ? Se souvenait-il ? Misto porta inconsciemment la main à un de ses ocarinas. Elle mourrait d’envie de se plonger dans l’Uta de son coéquipier mais ne pouvait pas ce le permettre pour le moment. Pas tant que Crysis serait en danger.

- Je croise ce regard perçant,
Ouvre les yeux en contemplant,
Ce tas de mensonges qui m’entoure.

Chasse le naturel et il reviendra au galop ma petite.

Relâchant son attention un peu trop longtemps, la Kashu ne vit pas la souche devant elle. Sa cheville la heurta et elle bascula tête la première parterre. C’était terriblement gênant de se ridiculiser ainsi après avoir fait preuve de tant d’impertinence et d’inconscience. Elle se releva en réprimant une grimace. La morsure sur son bras s’était légèrement plus ouverte, s’était légèrement rendue plus douloureuse que prévue. Elle porta sa main sur la plaie en essayant de faire abstraction de ses sensations. Crysis n’était sans doute plus très loin et Henning retardait toujours les prisonniers. Elle pouvait se permettre une minute de répit.

- Dis-moi Jiro, pourrais-tu resserrer le bandage ? demanda-t-elle en essayant de dissimuler sa souffrance du mieux qu’elle puisse.

Il ne devait pas être dupe.

Bah, l’espoir fait vivre.

Ils s'étaient rapidement mit en route en direction de Crysis, espérant le retrouver avant que la horde de criminels ne lui tombe dessus. Jiro sautait au dessus des racines, se baissait face aux branches trop basses avec une aisance particulière. Il n'avait pas été largement épuisé par toutes les dernières péripéties, du moins du côté physique. Misto, à ses côtés, avançait presque péniblement. Ils se stoppèrent à un instant, Misto lui confia une faveur.

« Dis-moi Jiro, pourrais-tu resserrer le bandage ?
_ Bien sûr. Ne force pas trop, il ne faut pas que tes blessures s'aggravent. »

Ils se remirent en route directement, puis ralentirent la cadence quand ils sentirent toucher au but. L'atmosphère de la forêt avait changé, autour d'eux. Jiro grimpa sur une branche et pu voir ce qui se passait dans une clairière, plus loin. Les criminels entouraient Crysis, seul au milieu d'eux.

« Alors, tu t'es perdu ?
_ Taisez-vous, et fuyez si vous ne voulez pas goûter à ma lame.
_ Ahah, laisse-nous rire ! Allez mes amis, tuons-le !»

Au même moment, Jiro se tourna vers Misto et fit un signe de tête comme quoi il fallait qu'il passe à l'action. Jiro, d'un saut périlleux, atterrit au milieu du cercle et leva ses poings. Entre chaque doigts se trouvaient des aiguilles. Il envoya celles de sa main droite sur les premiers hommes devant lui qui furent tous touchés. Il désigna du doigt un criminel qui paraissait assez débile et qui avait une épée.

« Toi ! Dit moi "OK !" ou tu reçois toutes ces aiguilles dans ton crane !
_ Heu...»

La valse des corps perdus. Acceptes-tu de m'offrir le tien ?

« OK ...? »

En donnant son accord à Jiro, l'homme offrit son corps au marionnettiste. Les criminels, au début perturbés par l'arrivée de l'homme, passèrent enfin à l'action en fonçant sur Crysis et lui. Mais le criminel à l'épée, contrôlé par Jiro, dégaina son arme et, d'un seul coup, abattit dans le dos tous ceux qui venaient de le dépasser. Jiro s'écarta de Crysis pour trouver un abri. Il sauta au dessus d'une épée avec laquelle un adversaire tentait de le toucher et il prit appui sur la lame pour sauter au dessus des rangs des assassins. Il se recula et sauta dans un arbre. Il continua à grimper d'arbres en arbres jusqu'à disparaître complètement aux yeux des criminels. De son perchoir, il reprit la danse où il l'avait laissée. Il se concentra sur sa nouvelle marionnette, qui releva son épée ensanglantée, et s'attaquait à d'autres de ses ex-compagnons. Les regards troublés, ils le dévisagèrent comme s'il était fou, et sans hésiter, revinrent vers lui pour abattre, considéré déjà comme un traitre. Mais même s'ils étaient plusieurs, Jiro, lui, extérieur à la scène, était comme omniscient : il voyait toutes les failles des adversaires, chaque échappatoire. La seule marionnette, ainsi, rivalisa avec au moins cinq assassins. Jiro, trop concentré à contrôler l'homme, ne pouvait pas savoir ce qui se passait autour de lui. Misto était elle passée à l'attaque elle aussi ? Crysis se défendait-il face au reste des criminels ? Jiro ne pourrait le savoir qu'une fois débarrassé de ceux qui voulaient du mal à son jouet.

Misto hocha la tête au signe de Jiro alors que l’écho de l’Uta du jeune homme résonnait à ses oreilles. Elle s’intégra à la bataille en même temps que son compagnon. Son entrée fut nettement moins classe mais le bandit le plus proche la sentit passer. Il s’écroula assommer alors que le pied de la jeune femme fouettait l’air vers le sternum du candidat suivant.

- L’impatience me consume,
Alors que le visage du mensonge s’écoule.
Soulagement insatisfait,
Qui rembobine sournoisement ces jours inchangés.

Se plaçant dans le dos de Crysis, elle reprit son souffle. La Kashu prit son temps et informa Henning de la fin de sa diversion avant de replonger dans le groupe qui les encerclait. Elle remarqua que Jiro s’était éloigné pour trouver un abri alors que son poing rencontrait la trachée d’un des prisonniers. Elle se baissa pour en esquiver un qui s’approchait d’elle et reçut une gerbe de son sang quand la marionnette de Jiro mit fin à son existence. Elle grimaça en regardant le massacre, à la recherche du mage. Elle le trouva, dissimulé dans un arbre, la silhouette patibulaire et menaçante d’une énième crapule dans son dos. Elle se précipita, évitant de peu le retour de lame du pantin. Le nombre de blessés augmentait drastiquement alors que Jiro ne se doutait pas du danger qu’il courait. Misto, déchiré entre ses principes, abandonna la clairière pour attaquer le petit malin de service. Celui-ci, pas mauvais à l’épée, prit un grand plaisir et entailla la jeune femme, épuisée, qui tentait de protégé son ami.

- Sombre, éternelle, assurée,
La main qu’on me tend se laisse tomber.
Oh récompense douloureuse,
Je la saisie et m’échappe.

Une lame invisible dévia le coup du bandit alors que la jeune fille relevait son fleuret avec un temps de retard.

- Tss… Comme si j’avais besoin de faire de baby sitting.

Misto remercia silencieusement Crysis alors qu’elle fauchait les pieds de son adversaire. Henning déboula en plein milieu de la bataille, le pelage couvert de boue sautant sur le premier clampin qui passait pour donner un peu de panache à son entrée tardive. Sa maitresse soupira quand il fit son petit show, s’amusant à pousser les adversaires déséquilibrés vers la lame de Jiro ou celle de Crysis. La brunette sauta près de son ami embusqué et acheva de murmurer son Uta tout en transmettant ses directives à son esprit.

- Est-ce donc cela qu’on appelle l’harmonie ?
Cette volonté confuse de protéger autrui ?
Je ne faisais pourtant que sauver,
Mais le destin a décidé de me laisser rêver.


Les combats cessèrent bientôt, fautes de prisonnier en bon état. La totalité des assaillants gisaient sur le sol de la forêt, assommés ou, pour les moins chanceux, décédés. Crysis était littéralement recouvert de sang. Il portait de nombreuses estafilades et paraissait de très mauvais poil. Misto s’approcha avec un bandage mais il l’arrêta a mis chemin.

- Vous vous défendez pas trop mal pour des indépendants, lâcha-t-il alors que l’adolescente envoyait son loup cherchait les employeurs.
- Merci du compliment.
- Vous ne chercheriez pas une guilde par hasard ?

La Kashu le regarda, curieuse comme un chat. Henning lui annonça vaguement qu’il arrivait avec du monde mais elle n’y prêta guère attention. Les autres esprits remuaient à propos de la question. Le débat s’annonçait long et le mage d’air n’avait que trop attendu au goût de la demoiselle.

- Finis ton offre, on avisera ensuite. Tout dépendra de ce que tu promettras.
- Rejoignez Eagle’s Claw.
C’est un peu petit comme argument.

Il marqua une pose puis reprit.

- Si ça vous intéresse, retrouver le QG dans les montagnes de Fer de Jura. Sinon, je vous dis à la revoyure.

A ses mots, le jeune homme s’enfonça dans la forêt sans plus se préoccuper de Jiro et de la petite mage. Cette dernière soupira en constatant l’enfermement du mage d’air. Elle aurait voulu l’aider mais il ne lui en avait ni laissé l’occasion ni même le temps. Henning revint, un milicien sur les talons. Celui-ci ouvrit de grand yeux alors que Misto lui donnait les directions où il avait abandonné les autres.

- Il y’en a un au Nord-Nord-est de notre position puis un groupe de dix qui tourne en rond à l’ouest. Un certains Pablo a été tué. Ici il doit y avoir environ une vingtaine de prisonnier mal en point donc aisément transportable en cellule. Si vous nous le permettez nous allons partir. Un troisième mage nous accompagnait mais il est malheureusement partit sans sa récompense. Je vous prierais donc de l’envoyer à Eagle’s Claw ou bien de me la donner pour que je la lui rende en main propre.

Elle fit signe à Henning de s’approcher et passa la main dans son poil en berne avant de regarder Jiro.

- Ma prochaine destination sera les montagnes de Jura. Ça te dirait de m’accompagner ? fit elle dans un maigre sourire.
- Je t'ai dis que j'allais te suivre, alors allons-y.

Elle était épuisée mais elle savait maintenant où aller. Elle se mit donc en route pour la gare de Kunugi, le peu de Jewels gagné passa en billet mais elle s’en moquait. Elle était réellement curieuse de voir à quoi ressemblait la guilde des aigles. Mais avant, elle allait dormir. Profondément. Elle se réveillerait surement avant d'arriver à destination de toute façon. La tête se posa contre l'épaule de Jiro, qui était assis à sa gauche, et se laissa bercer par les mouvement du train. Elle était rassérénée. Elle n'était plus seule. Le jeune homme lui, veillait sur son sommeil, un léger sourire franc sur le visage.