[ ... Précédemment ... ]

Après le dernier assaut, tout s’était passé dans une confusion totale, accentuée par le manque de visibilité que Seiren avait causé. Elle avait juste répondu à Jerenn, d’un signe de tête, qu’elle n’avait rien de grave. Mais lui… Ils ne l’avaient pas vu agir. Rien n’avait vraiment laissé présager un acte aussi ignoble.
Elle scruta les derniers instants de l’homme de foi, retenant son souffle, comme si elle essayait de lui transmettre son air ou qu’il respire à sa place. Mais la réaction de son corps était désespérée. L’effort vain. Dans un dernier souffle d’énergie, le moine tira sur le bras de Jerenn pour lui murmurer à l’oreille. De là où elle était, elle ne pouvait rien entendre, mais cela ne pouvait être que le dernier vœu d’un homme sage… Et il redevint poussière. Le silence s’installa dans la montagne en deuil.

Les gestes, automatiques, prodiguaient les premiers soins. Mais l’esprit se perdait ailleurs. Refaisant le combat pour ne pas avoir cette fin. La triste distraction permettait au visage de Seiren de laisser son mur de défense se fissurer. Le trouble visible, Jerenn tenta de l’apaiser. Des mots réconfortants résonnaient, mais aucun d’eux ne l’atteignaient. En l’entendant, le masque reprit place. Seules de furtives lueurs d’abattement étaient parfois perceptibles pour des yeux avisés. Même si l’attaque avait été surprenante. Même si le pouvoir de l’adversaire les avait surpassé. Ils avaient forcément dû faire une erreur. Sinon, le moine n’y aurait pas laissé la vie. Lui, encore moins qu’un autre n’avait à subir ce sort. Pourquoi l’ennemi s’en était pris à lui ? La question ressassée ne trouvait pas de réponses. Aucune d’acceptable aux yeux de la jeune femme.

Seiren fut un peu surprise au début, mais elle se laissa soigner. Étonnamment précautionneux, pendant quelques secondes, elle se sentit plus fragile qu’à l’accoutumée. Que l’on prenne soin d’elle de cette façon, c’était bien la première fois. L’effet de nouveauté passé, son esprit vagabonda à nouveau vers de douloureuses pensées. Sans vraiment faire attention, presque machinalement, elle emboîta le pas de Jerenn qui guidait la marche. Certainement que si elle avait été seule, Isaya serait encore au Mont Yakobe, passablement anéantie par les derniers événements. Mais la présence du mage de Phantom Lord empêchait une telle chute… Car oui, il fallait tout de même sauver les apparences.

Pendant une bonne partie du trajet, Seiren resta en retrait, presque à la traîne. Bien que ses blessures soient moins importantes que celles de Jerenn, sa brûlure à la cuisse lui affligeait une douleur lancinante… Ou bien était-ce la douleur d’avoir perdu quelqu’un, pour la première fois en tant que mage ? Cet événement l’avait affecté bien plus qu’elle ne voulait le montrer. Et la jeune femme se faisait distraite, bien malgré elle.
À plusieurs reprises, elle avait continué tout droit, alors que son coéquipier avait tourné à droite ou bien à gauche. Sans compter sur les rares pas maladroits qui manquèrent de la faire trébucher. Si il ne la rattrapait pas, elle le faisait d’elle-même. Sans un mot, sans une excuse. Certainement que la situation pouvait être pesante pour le partenaire.

Bien qu’il soit un homme plein de surprises, toujours prêt à rebondir… Lui semblait avoir conservé toute sa concentration et sa détermination. Ce qui n’arrangeait pas ce sentiment de vulnérabilité qui oppressait la jeune fée. Mais après une pause parmi les quelques heures de marche auprès de lui, petit à petit, elle recouvrait enfin toute sa personnalité et son caractère piquant.
À l’aube de leur arrivée sur le nouveau lieu de l’intrigante mission, un début de complicité semblait se nouer entre les deux partenaires. Enfin… Rien que Seiren n’avouerait réellement.

Ses mots l’avaient frappés de plein fouet, alors qu’il ne faisait qu’énoncer l’évidence. Jerenn avait raison. Mais la vérité était si cruelle que l’amertume ne pouvait se dissiper aussi facilement. Et oui, cela ne faisait que commencer. D’autres combats à mener, des personnes à protéger et une mission à accomplir coûte que coûte. Écarter ces sentiments néfastes et rationaliser. Faire la part des choses et tout intérioriser. Pourquoi avait-elle plus de mal à le faire maintenant, alors qu’avant, elle était tout simplement coutumière du fait. Sa sensibilité s’exacerbait petit à petit un peu plus depuis qu’elle avait rejoint la guilde. Réactaire, Seiren jugea qu’il s’agissait là du mauvais revers de la médaille. Alors que son habituelle indifférence aurait pu être un point fort dans cette situation, aujourd’hui, son masque s’était vraiment fissuré. Ajouté à cet événement tragique, l’accumulation des expériences précédentes, et sa défense avait été ébranlée. Fort heureusement, son coéquipier avait eu la sagesse l’intelligence de la remettre sur les rails. Ils étaient deux professionnels en mission. Les objectifs étaient toujours à atteindre et seulement cet accomplissement fait, ils pourraient honorer cette mémoire.

La leçon terminée, les deux comparses reprirent leur route avec une toute nouvelle détermination. Mais c’était sans compter sur la vivacité d’esprit de Jerenn. Son esprit devait être en constante ébullition. Il déployait une énergie folle. Peut-être essayait-il de compenser le silence de la fée ? Mais elle en doutait. Car étrangement, cette honnêteté d’esprit semblait véritable. Une bonne nature, pouvait-on facilement penser de lui. Sa capacité à rebondir sur le moindre détail était quelque peu déconcertante pour Seiren. Mais, en même temps, cette « fraîcheur » était agréable et permettait d’oublier les tracas d’il y a quelques heures. Alors pour une fois, Isaya se fit conciliante et suivit son rythme sans se poser de questions. N’hésitant pas non plus à rétorquer. Cette forêt pouvait être un bon terrain de jeu pour une personne tel que lui. La preuve en était que Seiren n’aurait imaginé que quelqu’un puisse débiter autant d’âneries à la minute. Et même si leur avancée avait été légèrement périlleuse à cause de cette abondance de végétation, ils avaient trouvé. Ce qu’ils pensaient n’être qu’un indice se révéla être bien plus.

Quand elle vit la tête de Jerenn heurtait le rocher, Seiren ne put réprimer sa réaction mêlée de colère et d’inquiétude.

▬ Non mais ça va pas ?! Qu’est-ce qu…

Aussi idiote que lui certainement, elle s’était naturellement approchée, mais ne put terminer sa phrase que le sol se déroba sous leurs pieds, les emportant dans une descente vertigineuse.

Un premier choc. Que Seiren amortit douloureusement. Puis un rebond. Et les deux mages dégringolèrent de leur premier lieu d’atterrissage dans un magnifique roulé-boulé. Second et dernier choc. Là encore, ce fut Seiren qui fit office d’amortisseur. Au moins, on pouvait considérer qu’ils étaient quittes… Même si toute cela n’avait pas du tout été volontaire.
Jerenn avait atterri sur Seiren et égal à lui-même, il prit le temps de lancer une de ses répliques fumantes. Alors un simple regard désapprobateur suffit à le faire relever. Après tout, ce n’était pas non plus un poids plume. Mais pendant qu'il faisait à nouveau un commentaire, un maigre sourire se dessina sur les lèvres de la jeune femme... Comme si elle commençait à s'habituer aux frasques de ce mage.
Isaya en fit de même, bien qu’elle se bloqua un instant en sentant les douleureuses répliques dans son dos. Les hématomes seraient de la partie et il faudrait faire avec. Enfin debout, elle s’étira pour retrouver pleinement ses sensations avant de détailler des yeux le lieu où ils avaient chuter.

▬ Rien que l’entrée est immense…

Les deux accolytes avancèrent vers cette porte. Lentement et guidés par une certaine curiosité. Le lieu semblait avoir été déserté depuis longtemps, même si il fallait reconnaître que, pour des ruines, leur état de conservation était remarquable. Les structures en voûte qui se repartissaient de part et d’autre n’avaient à souffrir que de quelques craquelures. Les seules traces du passage de l’homme pouvait se lire sur la porte qui se dressait devant eux. Mais à peine eurent-ils posé un pied sur les marches de l’escalier qu’une vingtaine de rayons lumineux apparurent pour former une barrière. Jerenn et Seiren se regardèrent septiques. Était-ce le système de défense automatique ? La jeune femme tendit la main vers un des rayons, mais la retira immédiatement à son contact.

▬ It..taye ! … Ça brûle.

Comme une enfant qui venait de commettre une bêtise pour laquelle elle était punie, Seiren afficha une moue boudeuse le temps de quelques secondes, avant de souffler sur ses doigts légèrement brûlés.
Les deux compères cherchaient à présent un moyen de désactiver le prétendu système quand résonna un rire machiavélique.

▬ Mouahahahahaha ! Bande d’ignorants ! Vous ne connaissez donc pas la magie la plus puissante sur ces terres ?

Un point lumineux apparut en hauteur, puis un deuxième, tout proche. Sortant de l’obscurité, l’homme se jeta sur les deux mages à une vitesse phénoménale.

▬ LASER BEAM !

Des rayons lumineux sortirent des ses mains et créèrent une importante explosion lors de son impact au sol. Car oui, les deux mages avaient réussi à esquiver l’attaque.
Seiren se déporta sur la gauche et Jerenn à droite pour le prendre en ciseau. Technique de déplacement activée, elle devenait plus rapide que lui. Énergie des ondes électriques hyperconcentrées autour de ses membres et un seul coup suffit pour envoyer valdinguer l’adversaire à l’autre bout de la salle.

▬ Espèce de salle pé*** !

Le sous-fifre n’était pas des plus raffinés. Mais se révélait tout de même un peu coriace. Alors que Seiren se redirigeait vers lui, il s’entoura de son bouclier de rayons laser pour se protéger des attaques de ses assaillants. Jerenn et Isaya avait su maintenir la pression sur lui, mais la fée commençait à se lasser. Et c’était là l’occasion de relâcher sa colère refoulée.
La jeune femme se planta juste devant lui et désactiva toutes ses techniques du maniement des ondes électriques. Et simplement, elle tendit le bras devant elle.

▬ JIBA ~ HIKETSU !

En les considérant comme un ensemble de masses, elle le balaya lui et son bouclier sur trente mètres. La force d’impact fut telle qu’on pouvait suivre le chemin inscrit dans le sol lors du rejet. Même si l’effort fut instinctif, Seiren dû tout de même reprendre un peu son souffle. Au moins à présent, ils pouvaient se considérer comme tranquilles pour un moment. Et leur mission pouvait reprendre sans encombre.
La jeune femme tourna les talons pour emprunter à nouveau ses escaliers qui les mèneraient vers leur objectif…

Elle n’avait rien eu le temps de faire que Jerenn s’occupait déjà de tout et surtout de cet infâme sous-fifre. Au moins, elle put en profiter pour observer le mage de Phantom Lord à l’œuvre. Première réflexion : éviter ses balles n’était pas chose évidente. Second ressenti : il détenait certainement bien plus de magie que ce qu’il utilisait à cet instant. Il savait cacher son jeu. Au final, le gringalet fut tout bêtement assez effrayé pour s’enfuir à toute berzingue. Dans le même élan, Jerenn passa à la vitesse supérieure et fit exploser la porte. Ils pénétrèrent immédiatement dans la pièce. Il n’y avait rien de particulier à y voir, la salle était plutôt dépouillée en plus d’être sombre et humide. Seul l’autel baignait dans un rayon de lumière, donnant un aspect « sacré » à cette découverte.

Seiren laissait son regard se balader ici et là, distraite et curieuse à la fois alors que Jerenn s’attelait déjà à la tâche. La jeune femme le rejoint non loin de l’autel lorsqu’il fit preuve d’un talent artistique tout particulier… Puis, suivant ses instructions, elle relâcha sa magie sur son dessin en même temps que lui. L’activation du sceau était en marche. Et la finalité ? Une tortue volante. Ou plutôt nageant, selon ses dires. Apparemment, elle nous parlait depuis une autre époque. La fée ne retint pas les détails techniques qu’elle expliquait, préférant se concentrer sur la suite de la mission. Et alors que l’échange semblait bien parti, l’esprit de la tortue fit une surprenante requête. Danser. Pour la jeune femme, cela ressemblait plus à une farce qu’à un service à rendre. Mais elle était on ne peut plus sérieuse et Jerenn était rentré dans son jeu. En même temps, ils n’avaient pas vraiment le choix, si ils voulaient avancer dans la mission.

▬ Très chère Seiren, m’accorderiez-vous cette danse ?

La musique qui parvint petit à petit jusqu’à eux était bien évidemment une valse. Le voyant ainsi faire la révérence et tendre sa main, Isaya se crispa, troublée. Aussi bien par la situation que par les réminiscences que cela faisait ressurgir. La danse faisait partie des compétences qu’une princesse se devait de posséder. Même si celle-ci finissait par ne jamais mettre les pieds dans une salle de bal… Seiren déglutit puis glissa sa main dans la sienne.
Elle qui pensait ne pas se souvenir de ce qu’on lui avait enseigné… Tout revint très rapidement. Certainement grâce à l’illusion de la tortue. Le décor d’une grande réception prenait vie à chacun de leur pas. L’espace d’un instant, elle s’émerveilla comme si c’était la première fois qu’elle voyait une telle magie à l’oeuvre, se laissant tout simplement porter par la mélodie. Même leurs vêtements se transformèrent. Jerenn était étonnamment élégant, mais se revoir dans une telle robe mit Seiren mal à l’aise, vulnérable. Elle n’osait même plus croiser son regard.
Jerenn avait dû remarquer sa gêne parce qu’il lui serra la main, puis la força à se rapprocher un peu plus alors qu’ils tournoyaient.

▬ Allons, allons. Il faut se détendre. Surtout quand on porte si bien les robes... lui glissa-t-il à l’oreille.

Ses paroles qui auraient pu s’avérer rassurantes, si elles n’avaient pas été suivies d’un geste déplacé dans le dos de la jeune femme. La main de Jerenn glissa. Un peu trop bas, un peu trop loin. Le regard assassin, Seiren lui écrabouilla le pied immédiatement et sans management, ce qui eut pour effet de stopper net la démonstration de danse. La jeune femme s’éloigna de son partenaire et l’illusion s’évapora.

▬ Hahaha ! Mon cher Jerenn, il fallait être plus subtile avec une telle demoiselle.
▬ Il a certainement cru qu’il l’était… lâcha-t-elle, légèrement fâchée.
▬ L’erreur sera vite oubliée, n’est-ce pas Seiren ?

La fée tourna la tête et se dissimula derrière une expression hautaine et boudeuse. L’esprit de la tortue rigola encore un moment en répétant combien les deux mages étaient intéressants et à quel point cette équipe avait été si justement formée. Mais Seiren n’était pas d’humeur conciliante et ne daigna même pas répondre à cette réflexion totalement insensée pour elle.

▬ Reprenons notre sérieux. Maintenant c’est à moi de jouer. Je vais vous autoriser à récupérer l’image votive, mais pour cela, j’ai besoin que vous concentriez un peu de votre magie sur l’autel. … Allez-y, approchez-le. Placez-vous côte à côte et… Désolée mademoiselle, mais vous allez devoir vous donner la main. Ensuite quand je vous le dirai, prêtez-moi un peu de votre énergie magique.

Bien qu’un peu de mauvaise foie, Seiren s’exécuta. Mais il était vrai, qu’elle n’était pas vraiment rancunière. Elle observa Jerenn du coin de l’oeil, soupira puis se décida à obtempérer. Concentrés et silencieux, les deux mages faisaient face à l’autel. Au-dessus d’eux l’esprit se stabilisa. L’atmosphère changea brusquement. L’air se faisait plus chaud, la lumière plus intense et des bourrasques de vent venus de nulle part s’amusaient à vouloir leur faire perdre leur équilibre, tout en emmêlant les longs cheveux de Seiren (détail qui a son importance, wouai 8D !)

▬ Tenez bon jeunes gens, ça ne sera plus très long. Et tenez-vous prêts !