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Amour éternel, tendresse brisée
 MessageSujet: Amour éternel, tendresse brisée   Amour éternel, tendresse brisée EmptyDim 10 Juin - 19:59

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Amour éternel, tendresse brisée Lala10

EVERLASTING LULLABY
alors ne m’abandonne pas ainsi, préservons le temps qui nous reste.



Amarrante. Perdu dans une vallée en plein sud du pays, à quelques kilomètres de Tully, se dresse un village prisonnier du temps. Et assis sur un rocher, un vieillard, visage tourné vers l’horizon, attendait sagement quelque chose, ou plutôt quelqu’un. Seiren avait accepté la mission le matin même. Seize heure sonnait à son arrivée. Dos voûté, l’homme semblait fatigué. Ca ne pouvait être que lui. La jeune mage fit le tour pour se présenter face à lui et c’est à ce moment-là qu’elle se rendit compte qu’il somnolait sous ce soleil de plomb. Quoi faire ? Comment le réveiller sans le surprendre ? À force de tergiverser qu’elle commença à le voir immobile, comme mort. Alors, soudainement saisie par l’anxiété, Seiren posa une main sur son épaule… Un peu brutalement.
    ▬ « Monsieur ! Vous allez bien ? »

Il se réveilla dans un sursaut et légèrement confus.
    ▬ « Aah ?! Vous m’avez fichu une de ces trouilles, jeune fille ! J’aurais pu faire une attaque. Vous voulez que je meure avant de retrouver ma famille ou quoi ? Et si je meure, pas de récompense, alors ne recommencez pas. Conseil d’ami. »

Elle ne prit pas la peine de s’excuser et se contenta de lever les yeux au ciel. Bonhomme un peu bourru et très bavard, le ton était donné pour tout l’après-midi.
    ▬ « Et vous croyez que vous endormir ainsi sous ce soleil brûlant est vraiment judicieux pour une personne de votre âge ? »

L’ingratitude de la jeune femme pouvait paraître rustre mais en réalité, intérieurement, elle ne pensait pas à mal, énonçant simplement ses véritables pensées. Seiren lui tendit sa gourde d’eau qu’il saisit avec nonchalance.
    ▬ « Une personnage de mon âge ?! Pfff ! Justement, je fais c’que j’veux. Et c’pas une jeune fille -qui a, certes, de la répartie- qui va me faire la leçon... »

Haussement d’épaules, regard vif et malicieux, lui aussi se défendait plutôt bien. Seiren esquissa un sourire complice lorsqu’il se leva d’un bond et commença à se diriger vers Amarrante.
    ▬ « Mais bon. J’vous aime bien, alors allons-y. Ne traînons pas. C’est la vie de ma famille qui se joue là… »

Une vraie girouette le vieillard. Tantôt bougon, tantôt attentionné. Il faudrait savoir. Mais il a ce-je-ne-sais-quoi qui le rend attendrissant. La fée lui emboîta le pas avant d’arriver à sa hauteur. Il semblait se forcer à marcher à un rythme qui ne lui convenait pas, trop rapide. Dans la précipitation, il manqua de trébucher. Seiren eut le temps de lui tendre son bras et il s’y accrocha de justesse. Elle lui attrapa le bras, le forçant ainsi à suivre un autre rythme.
    ▬ « Alors, racontez-moi cette histoire… Votre histoire. Dites-m’en plus sur ce que vous voulez que je fasse. »

Il se racla la gorge, bafouilla un peu, puis sa voix retrouva toute sa vigueur. Ils n’étaient déjà plus très loin du village en question et le regard du vieil homme se fit soudainement morose et mélancolique.
    ▬ « Je suis né et j’ai grandi dans ce village. Tout le monde se connaît. Les vieilles pies aiment jacqueter pour rien dire. Mais, il fait bon vivre là-bas. On sait qu’on peut compter les uns sur les autres si on en a besoin. J’ai élevé ma fille tout seul. Sa mère est morte en couche. Ma fille est douée, vous savez. Elle est comme vous. Un mage. Et elle fabrique ses propres marionnettes. Même si personne ne sait véritablement apprécier son travail dans le village… Soit disant qu’elles nous ressemblent trop ces marionnettes. Foutaises ! »

Il s’emporta sur la fin et manqua de s’étouffer. Seiren se stoppa pour le laisser reprendre son souffle et tousser une bonne fois pour toute dans un râle disgracieux. Le vieillard déglutit puis reprit sur sa lancée.
    ▬ « Et puis, Myrina, ma fille, elle est un peu naïve et sensible. Elle se laisse atteindre un peu trop facilement, autant par les railleries que par les belles paroles. C’est comme ça qu’elle s’est faite embobiner par ce coureur de jupon. Il l’a mise enceinte, puis il est parti. Si je le retrouve ce troufion, il va en prendre pour son grade ! »

Et voilà. Encore une merveilleuse envolée. Il leva le doigt vers le ciel comme si il grondait un enfant imaginaire, puis il shoota dans un caillou, risquant de perdre l’équilibre et d’entrainer la jeune femme dans son élan. Cette fois-ci, elle lâcha prise pour le laisser faire. L’effet escompté : il se ressaisit immédiatement, affichant un tout nouvel orgueil… Mal-placé, bien qu’encore un peu instable.
    ▬ « Bref. Comme vous l’aurez deviné, j’ai un petit-fils. Henry qu’il s’appelle. Je sais pas où elle a été l’chercher le prénom, m’enfin… C’t un bon p’tit gars vous savez. Curieux comme tout, souriant, inventif. On bricolait beaucoup tous les deux. Je lui ai appris pas mal de trucs quand j’étais là… Mais v’là… Il y a deux ans, j’ai dû partir. Myrina est tombée malade. Et le docteur n’arrêtait pas de dire qu’elle allait mourir. Il savait rien dire d’autre. Quel charlot c’lui-là ! Parce qu’un jour, un des vôtres est passé par le village. Il a essayé de la soigner avec sa magie, mais ça n’a pas fonctionné. Il m’a dit que la dernière chance c’était une potion. Mais ses ingrédients sont très difficiles à trouver. Rares et dispersés un peu partout dans Fiore. Il m’a donné la recette et moi, j’suis tout de suite parti chercher tout ça. J’ai mis deux ans, mais j’ai tout trouvé. Ça y est ! »

Le grand-père s’arrêta et farfouilla avec frénésie dans son sac-à-dos pour en sortir des tas de sachets précieusement empaquetés. Fier et en même temps craintif, il les montra à Seiren qui n’osa pas toucher quoique ce soit. Les mains tremblantes, les introuvables ingrédients disparurent rapidement comme si ils n’avaient été que mirage. Il se redressa sans trop de difficulté puis fixa rageusement le village qui se dressait maintenant devant eux.
    ▬ « Deux jours ! Deux jours que j’suis là et que j’me retiens de courir dans le village pour les retrouver. Il a fallu qu’un imbécile de Tully vienne fourrer son nez dans mes affaires en me disant de pas y aller. Soi-disant qu’on n’en ressort pas si on y entre. Et qu’on entend une berceuse tous les soirs à à partir de 19h. J’y croyais pas et puis d’autres personnes en ont rajouté. Il paraît qu’il y a que les gens comme vous qui peuvent entrer et sortir comme ils veulent. C’pour ça que j’vous ai appelé. Et puis… c’est vrai… La berceuse, on l’entend vraiment. Je la reconnais même. C’est c’que chante ma Myryna à mon p’tit gars… »

Seiren avait noté que quand l’émotion le submergeait, ses tics de langage se faisaient plus présent. Et là, c’était particulièrement le cas. Il se planta même devant elle, mais sur les hanches, l’air renfrogné.
    ▬ « Vous allez faire quelque chose pour ma famille pas vrai ? Ouais bon, pour tout le village aussi. Mais d’abord ma famille, ok ? Faites vos trucs… Votre boulot, quoi ! »
    ▬ « D’accord. Je m’en occupe, ne nous en faites pas. Quant à vous, vous devriez vous prendre une chambre dans une auberge à Tully, ça peut être long. On ne sait jamais. »
    ▬ « Vous rigolez ?! Pas question que je bouge de là ! J’suis devenu un vrai vagabond jeune fille. Solide comme un roc, je ne risque rien ! »

Puisqu’il insistait, Seiren n’allait pas l’obliger. Et puis têtu comme il semblait l’être, tergiverser lui aurait simplement fait perdre son temps. Elle acquiesça sans un mot et entra dans le village… Une demi-heure avant l’heure fatidique…

Amarrante. Cœur du village. Quelques âmes flânent ici et là, ne s’étonnant que très rarement du passage de l’étrangère. Seiren les observe avec attention et pourtant rien ne semble inhabituel. Tout est calme et semble normal. Même les animaux sont silencieux. Et le vent ne paraît pas vouloir faire acte de présence dans ces rues. Le doute s’installe enfin. Même si elle ne connaît rien du rythme de vie du village, cela reste bien trop calme. Alors que le soleil dore encore les pavés, plus de gens devraient être en train d’en profiter. Mais là, le vide.

Seiren déambula encore une bonne dizaine de minutes. Elle en avait vite fait le tour. Et entourée de peupliers, la petite église, trônait fièrement, au centre de tout. Quelques pierres étaient délabrées, une fissure longeait la façade droite, mais à part ces détails, les affres du temps n’avaient eu que peu d’effets sur la bâtisse. Pensive, la jeune fée ne la quittait pas des yeux, lorsque les aiguilles de l’horloge géante bougèrent de concert pour afficher 19 heures. Et les cloches commencèrent à retentir lourdement. Isaya ressentit comme une onde de choc qui perturba ses sens pour quelques secondes. Le chant ne lui parvint aux oreilles qu’un peu plus tard…

Elle chercha dans tous les sens, tournant sur elle-même… Un mouvement, un indice, une étrangeté, mais rien. Toujours rien. Au moins, elle pouvait écouter la fameuse berceuse. Le chant était quelque chose d’angélique. Comme si l’interrompre pourrait apporter le malheur. Mais Seiren fit fit de ce ressenti et pénétra dans le lieu sacré. Mes tendres rayons de l’astre solaire faisaient leur office dans un jeu d’ombres et lumières. À chaque pas, Seiren soulevait un petit nuage de poussière comme si personne n’avait parcouru ce sol depuis des lustres. Plutôt inhabituel d’ailleurs. En général, dans les petites bourgades, les croyants sont d’autant plus présents que dans les grandes villes. Un seul cierge illuminait l’alcôve. Le chant était de plus en plus enveloppant. Il venait donc bien de l’église. Isaya releva la tête vers le clocher. Là-haut ! Regards furtifs sur les côtés et l’escalier dérobé fit son apparition derrière un cloison de bois. Alors, à pas feutrés, la jeune femme débuta son ascension. La confirmation se fit d’elle-même, le chant se faisait un peu plus fort à chaque étape. Mais tout à coup, la berceuse se stoppa et une nouvelle onde de choc résonna violemment… Éjectant Seiren par la même occasion. Projetée, elle heurta le mur derrière elle et s’échoua inconsciente dans l’escalier de bois.

À peine eut-elle les yeux ouverts que Seiren se redressa d’un bond. Et sa tête cogna contre une poutre en bois. Ittaye !
    ▬ « Héhé ! Doucement. Vous vous êtes déjà fait mal à la tête hier soir. Faites attention à vous Madame ? »
    ▬ « Madame ?! »

Tout en se frottant frénétiquement le front, la jeune mage tourna la tête vers la voix enfantine qui venait de lui parvenir. Et c’est un petit garçon qui lui apparut. Planté sur ses deux petites jambes, souriant et avec un pansement sur la joue. Un peu débraillé, ses habits étaient un peu sales. Seiren l’observa un instant avant de se rendre compte qu’elle ne savait pas du tout où elle était.
    ▬ « Où est-ce que je suis ? »
    ▬ « Chez moi ! C’est petit, mais suffisant pour deux. Ah ! Ma maman est partie travaillée, mais ce soir, elle reviendra. … Dis, comment tu t’appelles ? »
    ▬ « Seiren. Quelle heure est-il ? »

Le petit garçon était plein d’énergie. Quant à la fée, égale à elle-même, voire même un peu trop nonchalante. Conséquence probable du coup à la tête. Elle sortit du lit et se fit immédiatement tiré par la main. Elle se laissa diriger par le garçon vers la petite cuisine où trônait fièrement au milieu une table et deux chaises en bois. Du lait, du pain et du fromage y étaient posés négligemment.
    ▬ « C’est bizarre comme prénom ! Il est 8 heures, il faut prendre le petit-déjeuner. C’est le repas le plus important de la journée. C’est ce que dit toujours ma maman. »

Il l’avait gaiement poussé à s’asseoir, tandis qu’elle ruminait déjà de n’avoir fait que dormir. Isaya grignota un bout de pain tout en détaillant cet environnement. Elle remarqua la photo de famille puis, reporta son attention sur l’innocent bambin qui semblait se régaler.
    ▬ « Tu n’as pas école aujourd’hui ? »

Il gloussa.
    ▬ « Bah non, on est samedi. Tu es une touriste ? »
    ▬ « Mm… Oui, on peut dire ça. Ton village est très intéressant et votre église aussi. »

Elle avait hésité un instant sur comment lui répondre. Ils discutèrent encore quelques minutes jusqu’à ce qu’il lui propose de lui faire visiter. Il serait son guide pour la journée, comme il se plaisait à le dire avec entrain. Seiren avait déjà fait le tour du village, mais peut-être qu’avec un de ses habitants et, qui plus est, un enfant… Peut-être qu’elle découvrirait d’autres choses. Et puis, il fallait bien passer le temps jusqu’au soir. Alors, elle accepta le marché en lui promettant de lui acheter de quoi manger le midi. En sortant du petit appartement, ils furent salués par une voisine qui interpela le petit garçon… « Henry ».
    ▬ « Henry ?! … Euh… Comment s’appelle ta maman ? »

Prise de court, la jeune femme s’était stoppée d’un seul coup dans son élan. Peut-être qu’avec un peu de chance, elle était tombée sur…
    ▬ « Myryna. Pourquoi ? »

Seiren garda le silence pendant un long moment, alors que Henry hochait la tête d’un côté puis de l’autre, trouvant certainement cette touriste bien étrange. Dans tous les cas, elle avait eu de la chance dans son malheur. Tomber directement sur les personnes recherchées était une aubaine. Mais fallait-il lui dire tout de suite, toute la vérité ? Son instinct lui intimait que non.
    ▬ « Ah pour rien ! Juste comme ça. C’est un joli prénom. … Bon ! Je te suis, Monsieur le guide. »

Elle le poussa délicatement en avant pour qu’il ouvre la marche et il s’exécuta avec la même énergie, haussant la voix pour approuver vivement… La beauté du prénom de sa mère était une évidence pour lui.

La journée se déroula simplement. De rencontres courtoises en rencontres plus chaleureuses, le chérubin était bavard et connu de tous dans le village. Seiren en profita pour se renseigner discrètement. Mais aucune légende, ni aucun étrange voyageur depuis longtemps -à part elle- n’était à noter. Tout était calme et routinier dans la vie des villageois d’Amarrante. Henry semblait même s’être pris d’affection pour la jeune femme. Il l’affublait de toutes sortes de qualificatifs, mais elle ne bronchait pas, en en ayant eu des plus terribles. La maladresse du petit bonhomme rythma les visites tout au long de la journée. Et maintenant, Seiren attendait -un brin impatiente- de pouvoir rencontrer sa mère… La fille de son client.
Henry, lui, paraissait avoir oublié ce détails et entraina sa « visiteuse venue d’ailleurs » dans l’église. Avec enthousiasme, (oui, même après une journée entière à marcher, il était encore tout fringant) il lui raconta l’historique du bâtiment qu’il connaissait par cœur. Mais là encore, il n’y avait rien à en tirer. Mais l’intérêt de Seiren s’éveilla lorsqu’il prononça ces mots…
    ▬ « Allez viens ! Je vais te montrer l’atelier où travail maman ! »

Il disparut en courant et se dirigea vers les escaliers qu’Isaya avait empruntés la veille. Comme si elle le poursuivait, elle s’y engouffra elle aussi. Comme si son ardeur avait déteint sur elle, elle monta les marches deux-à-deux… Avant d’arriver sous les cloches où un gigantesque plan de travail en bois et tout un tas d’instruments s’y étalaient dans un vrai capharnaüm. Les rayons du soleil couchant perçaient à travers la structure et rendaient visible la poussière de bois qui dansait un peu plus à chaque passage du petit garçon.
    ▬ « Tadam ! C’est ici qu’elle travaille ! Tu vois, elle fabrique des marionnettes. Regarde, regarde ! »

Il montrait du doigt des corps inanimés, eux aussi fait de bois. Seiren remarqua des ressemblances avec quelques villageois qu’elle avait croisés un peu plus tôt. C’était étonnamment identique aux proportions d’un être humain. Cela en devenait même troublant et dérangeant. Mais il fallait bien reconnaître que ces marionnettes étaient très bien faites. On pourrait s’y méprendre. Henry demanda alors à Seiren de prendre place sur une chaise et de regarder ce qu’il savait faire. Elle obéit sans dire mots. Le petit-fils du vieillard s’efforçait de donner vie à ces pantins. Mais vu leur taille par rapport à la sienne, la tâche était ardue. Plusieurs fois, la marionnette chuta ou les fils s’entremêlèrent. Mais il s’obstinait et réessayait, encore et encore. Elle voulut même l’aider, mais il refusa sèchement. Seiren ne savait pas quoi penser de cette persévérance et se contenta de regarder en le félicitant lorsqu’un effort ne se révélait pas avoir été vain. Le temps semblait comme suspendu dans cette église, dans cet atelier. L’odeur âcre du bois qui envahissait les narines et la moiteur de fin de journée rendait la scène presque nostalgique pour la jeune femme. Il lui raconta qu’il s’entrainait tous les jours, pour pouvoir être aussi doué que sa maman. Cet attachement, tout cet entêtement… Ça lui tenait vraiment à cœur, comme si quelque chose d’important en dépendait. Et quelque part, cela en devenait déchirant…

L’attention de Seiren se perdit un peu plus loin et ses yeux bloquèrent sur une zone bien plus ordonnée de l’atelier. La forme d’une marionnette s’y reposait, assise dans l’ombre, mais la fée n’était pas sûre. Elle s’y dirigea naturellement, sans penser à mal. Mais au moment où elle retirait le drap qui protéger la marionnette, Henry s’interposa brusquement.
    ▬ « Ne touches pas ! »

Mais le drap glissa et Seiren reconnut tout de suite la femme de la photo. La maman tant attendue. Aux bords des larmes, Henry tremblotait. Il hésita un moment puis reprit la parole.
    ▬ « Il… Il ne faut pas l’abîmer. Elle est précieuse. D’accord ? »

La main de Seiren qui était restée flottante, alla s’échouer sur la chevelure du petit garçon, qu’elle frotta avec précaution.
    ▬ « Promis. … Elle est très jolie. Est-ce que je peux la regarder d’un peu plus près ? »

La jeune mage s’accroupit à sa hauteur et tenta de le rassurer. Lui, acquiesça et retrouva sa bonne humeur.
Les cheveux longs et blonds de la marionnette semblaient être coiffés régulièrement. Elle était habillée de simples mais beaux vêtements. Seiren remarqua comme un foulard attaché à un poignet. Elle s’apprêtait à le toucher quand Henry l’interrompit.
    ▬ « C’est l’heure ! »

Il s’empara de la marionnette qui pesait lourd et la plaça au centre de l’atelier pour qu’elle se tienne droite sur ses genoux. Henry y déposa sa tête et attrapa dans sa main, le foulard qui avait interpelé Seiren. Les cloches retentirent brusquement au-dessus d’eux. En véritable caisse de résonance, leur tintement faisait presque mal aux oreilles. Seiren se crispa, alors qu’Henry affichait un visage serein, yeux clos et sourire aux lèvres. Et soudain, la même sensation saisit la jeune femme. Une onde sonore naquît tout doucement à l’instant même où le foulard s’illumina… Ou, plus précisément, des inscriptions s’illuminèrent tout en se détachant de leur support pour former un cercle au-dessus du pantin et de l’enfant.
À ce moment-là, la marionnette sembla prendre vie. Elle se redressa et posa une main affectueuse sur la tête de l’enfant. Son visage de bois paraissait exprimer de la tendresse mêlée à la mélancolie… Puis sa voix se fit entendre. La berceuse résonna à nouveau.



Seiren n’en croyait pas ses yeux. Le spectacle qui se déroulait devant elle était inconcevable. Mais les mots du grand-père lui revinrent en mémoire. Myryna…
    ▬ « Elle est comme vous. Un mage. »

Seule la magie pouvait permettre une telle chose. Elle en avait la certitude maintenant. Et plus son chant devenait clair et plus l’onde sonore se propageait avec puissance. Henry ne semblait pas atteint par ce phénomène, mais Seiren, elle, percevait bien un rejet. Peut-être parce qu’elle était mage. La fée fut même obliger de se plaquer au sol pour résister à la pression.
    ▬ « Hen… Henry ! Ouvres les yeux ! »

Elle avait beau l’appeler, mais rien n’y faisait, il ne bougeait pas, comme prisonnier d’un sommeil profond. La force de l’onde devenait si intense que Seiren n’arrivait plus à se retenir et elle heurta violemment les pieds de l’établi.
Argh…
Pour une fois, c’était elle qui subissait la brutalité d’une onde, d’autant qu’elle était tout près de l’épicentre. Seiren se résolut à passer à l’action. D’abord en essayant de perturber ces ondes en utilisant le Shindou no houshasen. Mais en vain.
Et encore un peu plus, elle en ressentit les effets… Ce son qui distord le temps pétrifiait le corps d’Isaya qui craignait de perdre conscience à chaque onde de choc qui la traversait de plein fouet. Et dire que chaque habitant d’Amarrante revit ça chaque soir… C’est insoutenable. Et Seiren ne pouvait plus se retenir… Il fallait que cela cesse, peu importe comment…
    ▬ « Jiba ~ Hiketsu ! »

Rejet brutal. Fêlure impardonnable. La poupée de bois fut projetée en arrière et retomba lourdement sur le plancher. Le silence s’imposa et la pression disparut immédiatement. Mais les mots dansaient encore dans le vide et Henry ne revenait toujours pas à lui. La jeune mage se releva et s’empara du foulard.
    ▬ « Denba… ~ Raitei no seisaku… »

L’onde électrique concentrée dans sa main fit entendre un crépitement, puis le foulard s’enflamma légèrement… Le charme rompu, le petit garçon s’éveilla dans un sursaut, comme perdu.
    ▬ « Maman ?! Maman ?! … Où elle est ? Qu’est-ce que tu as fait ?! »

Seiren se décala d’un pas pour laisser apparaître la marionnette allongée sur le sol. Henry se précipita vers elle et vit tout de suite les brisures à la tête. Des sanglots inondèrent ses joues.
    ▬ « Pourquoi… Pourquoi ?! Pourquoi tu as fait ça ? … Pourquoi tu as tué ma maman ?! »

La violence de ses mots brisa le visage habituellement neutre de Seiren. Elle s’avança tout de même vers lui et s’agenouilla à ses côtés. Elle étala soigneusement par terre les restes du foulard.
    ▬ « Je suis désolée… Mais ta maman était morte depuis longtemps déjà. »

    Mon ange, mon Henry,
    Aujourd’hui, je me sens faible, je crois qu’il est temps de rejoindre ta grand-mère. J’ai peur de te laisser. Mon cœur se déchire rien qu’en y pensant. Alors pour une dernière fois, je ferais ce tour de magie qui te plaît tant. Et je te laisse…
    Un petit bout de moi…
    Pour que jamais tu ne sois seul.
    Un petit bout de moi…
    Pour que jamais tu ne t’endormes triste.
    Un petit bout de moi…
    Pour que jamais tu ne m’oublies.
    Un petit bout de moi…
    Pour que toujours je sois à tes côtés.
    Ta maman, le 8 juin 785

Difficile à décrypter, ces mots résonnaient tristement.
    ▬ « Jte crois pas ! T’es qu’une menteuse ! Jte déteste ! »

Le petit garçon s’enfuit en courant, laissant seule la jeune femme. Seiren improvisa alors un bandage sur la tête de la marionnette et l’installa convenablement à sa place d’origine, avant de quitter l’église.

Peine d’une promesse rompue. Rage de ne pas avoir eu à mener un vrai combat et d’avoir, au lieu de cela, briser les illusions d’un enfant. L’amertume l’envahit.
Isaya retrouva Henry recroquevillé sur lui-même, devant son foyer qui n’est plus. Elle hésita une seconde puis l’attrapa pour le porter dans ses bras.
    ▬ « Lâche-moi ! Vas-t’en ! »

Plus elle resserrait son étreinte, plus il se débattait. Mais ses coups de pieds et ses coups de coude, elle les acceptait.
    ▬ « Je suis désolée… Mais quelqu’un veut te voir. Quelqu’un dont tu as besoin et qui va avoir besoin de toi. »

Elle le conduisit à son grand-père qui remarqua tout de suite la gravité sur le visage de Seiren et les joues rougies par les larmes de son petit-fils. Ils n’échangèrent aucun mot. Isaya lui rendit sa famille, un peu brisée… Et les laissa à leurs retrouvailles… Quant à la récompense… Elle la refusa un jour plus tard lorsqu’ils se retrouvèrent à Tully. Et pour une fois, retourner à la guilde ne la dérangeait aucunement. Bien au contraire…

   
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