La précédente mission avait été un cuisant échec. Sur le fond, elle avait été pourtant parfaite. Détruire Abigail Phoibos psychologiquement. Lui faire gouter la noirceur de la solitude. La dégouter de ses amis. Jiro avait été parfait pour ça. En quelques minutes, il avait assisté à la chute de la jeune fille. Mais pourtant, elle avait été également pour lui le miroir concret de sa propre solitude. Il avait toujours été seul, après tout. Et sa vie n'en était d'autant plus misérable et pathétique alors qu'il n'avait que 19 ans.

D'abord sa naissance, le fait qu'il appartienne à la longue lignée des Yu. Des fichus assassins qui se transmettent le goût du meurtre. Et depuis cette rencontre, Jiro n'ose trop penser à ce qu'était sa famille. Ils lui ont inculqué l'envie de tuer. Tuer est un plaisir des plus puissants pour lui. Mais depuis peu, c'est également un supplice indicible. De même, le sentiment qui se love en lui, l'impression qu'il ne vivait que parce que sa famille vivait elle-aussi, se renforce. Maintenant sa famille morte, il est relâché, seul, dans un monde où personne ne peut le comprendre. Car il est malheureusement différent. Sa conception de la normalité n'est pas la même que les autres humains. Tuer n'est pas normal pour la société. Il l'a comprit. Et par conséquent, jamais, il ne pourra s'intégrer dans cette société. Toujours, il sera seul.

Le constat fut plus que fatal pour Jiro. Le plaisir qu'il avait éprouvé à faire mal à Abigail était bien réel. Autant que son dégout de ce qu'il avait fait, après-coup. Il ne peut combattre la normalité. Rompre avec les bases. Tout comme un arbre qui ne peut vivre si on l’arrache à la terre d'où il vient. Rien ne pourra lui ôter l'envie, le besoin, de tuer. Ou alors, cette force lui est inconnue.

Il était donc assis comme d'habitude dans sa chambre à l'auberge qui l'hébergeait, méditant avec profondeur sur le sens de ce qu'il vivait, et encore une fois, il était en proie à une colère sans merci, un dégout de soi-même, un déni de sa famille, de ses origines. Mais pourtant, rien ne pouvait chasser ce qui faisait ce qu'il était : son désir immuable de meurtre. Depuis Abigail, il se morfondait et était dans un troublant état de torpeur. Qui allait-être sa prochaine victime ? Comment allait-il la tuer ? Il fallait qu'il déverse sa colère sur quelqu'un.

Il aurait pu songer au fait de se confier à quelqu'un, mais personne, ici dans Fiore, n'écoutait les criminels.


Soudain, arraché à ses contemplations muettes, il entendit une musique, douce et presque mélancolique, retentir au loin.


« C'est ça, de la mélancolie. Une tristesse passive, assourdissante, non pas à cause d'une brutalité, mais à cause de sa profondeur. »

Il se leva de sa chaise, essayant de localiser l'origine de la mélodie. Il sortit de sa chambre, déboulant dans un couloir obscur, et avança, toujours l'oreille ouverte. Il s'arrêta devant une porte entrouverte. Un homme joue du piano avec acharnement dans sa chambre. Jiro n'hésita pas pour entrer. Il vit alors un corps immobile sur le lit de la chambre. Une jeune femme, morte. Jiro, sans sourciller, porta à nouveau son regard sur le pianiste, qui lui faisait dos, et attendit que la mélodie se termine. Le pianiste se releva, et se tourna vers Jiro. Il avait les larmes aux yeux et ne fut pas choqué par l'inconnu dans sa chambre.

L'homme contempla longuement Jiro. Il ne semblait pas intrigué, juste ailleurs, lunatique, perdu. Enfin, après un long silence, il se mit à répondre, alors qu'il n'avait toujours pas esquissé le moindre geste.

« Oui. C'était l'air préféré de mon amie ici morte. C'est la veillée funèbre, mais personne ne vient.

_ Pourquoi est-elle morte ?

_ On l'a tuée. »

Jiro ressentit alors un frisson lui engourdir le corps. Il ressentit une sorte de rage vis-à-vis du meurtrier.

« Qui ça ?

_ Un homme, qui la maltraitait depuis des années durant. Un magicien, haut placé, qui s'est lavé de toutes accusations. Pour le monde entier, mon amie est ici morte accidentellement. Mais je sais qu'il l'a lui-même tuée.

_ C'est triste. Qu'allez-vous faire ?

_ Et que puis-je faire ? A part rester ainsi à attendre que quelque chose se passe... Mais rien, rien ne va se passer. Nous avons vécu dans la misère, tous les deux. Mais désormais, je suis seul. »

D'un coup, une idée folle vint en tête de Jiro. Il allait commettre l'irrémédiable. Montrer à une personne qui il était vraiment.

« Je pourrai tuer cet homme.

_ Pardon ?

_ Je pourrai venger votre amie en tuant cet homme. »

L'autre garçon observa d'un œil soucieux Jiro, tandis que ce dernier comprenait parfaitement ce qui se déroulait dans la tête du garçon. L'homme voulait absolument venger son amie, mais il ne voulait pas se salir les mains. Sans doute son amie n'aurait pas voulu qu'il soit lui-même un meurtrier. Mais heureusement, Jiro était là. Et cela changeait la donne pour cet homme. Il pouvait, sans hésiter, offrir à Jiro tous les renseignements sur l'assassin de la fille et Jiro partirait et ne reviendrait plus jamais. Il apprendrait le décès de l'assassin dans les journaux, lui seul connaissant l'assassin de l'assassin.

« Alors ?

_ Il s'appelle Talber Ed. Santoniac. Il habite à Magnolia. Il se rend souvent au marché nocturne et flâne devant les étalages. C'est un des rares moments où il sort seul.

_ Très bien. Bon, mon cher monsieur, je vous présente mes plus sincères condoléances. »

Et Jiro, après avoir légèrement baissé la tête, recula et disparu derrière la porte.

Il était donc en route pour tuer un homme. Il s'était approprié, pour la première fois, le meurtre de quelqu'un sans espérer un gage un retour. Il savait cependant que l'unique récompense qu'il percevra sera la sérénité de son âme. Pour un certain moment, en tout cas. Et il avait besoin de ce moment.
Il arriva donc en début de soirée à Magnolia. Il avançait, suivant les indications de la ville, vers les lieux du marché local. Il n'avait aucune idée de comment réagir face à sa cible. Il avait eut qu'une mince description de l'homme et ne connaissait que quelques-uns de ses attributs physiques. Pourtant, il restait confiant. Même si, pour la première fois, il ne respectait pas les règles vitales des meurtres, à savoir la discrétion et la préparation, il se sentait bien. Toujours dans un drôle d'état second, mais bien.

Alors qu'il marchait dans les rues de la ville, il se fit interpeller par un homme en uniforme.

« Excusez-moi, êtes vous mage ?

_ Oui...

_ Voulez-vous participer au grand Festival de la Fraternité ? C'est demain. Ca consiste en un lot d'épreuves magiques pour renforcer les liens entre les mages du Royaume ! Ca sera rigolo, et il reste un lot de places, tout le monde peut s'inscrire gratuitement. Venez !

_ Un lot d'épreuves magiques ?

_ Oui. Des combats, peut-être, qui sait ?!

_ Très bien. Inscrivez-moi sous le nom de Taro. Je n'appartiens pas à une guilde.

_ Taro, c'est noté ! Rendez-vous demain sur la grande place de Magnolia pour retirer votre bon de participation et recevoir les instructions ! A demain ! »

Et l'homme s'en alla pour interpeller une autre personne au loin. Jiro resta immobile quelques secondes, dubitatif. Il avait accepté sans réfléchir. Il n'avait pas vraiment de raisons de participer à un tel festival, mais il n'en avait pas vraiment pour refuser. Il haïssait les longues journées de solitude qu'il vivait, alors égayer un après-midi serait sans doute plaisant. Qui sait, il retrouvera peut-être le mage de Silver Fang. Après tout, il aurait très bien pu être lui-même un mage illégal, s'inscrire n'était pas difficile. Peut-être se ferait-il des amis...

« Tais-toi, Jiro ! A quoi penses-tu, enfin ?! Des amis ? Comme si cela pouvait exister pour une personne comme toi... »

Il arriva ensuite sur les lieux du marché, bondé de foule, et se glissa entre les personnes. La nuit tombait à une vitesse affolante, et les lueurs des lampes accrochés ici et là étaient les seuls repères, avec la lune, pour permettre aux gens d'avancer. Avec sa taille, il dépassait un bon nombre de personnes et pouvait entrevoir au loin malgré tout. Il remarqua, après quelques minutes, l'homme en question. Un pressentiment lui fit comprendre qu'il avait raison, qu'il avait bien face à lui un meurtrier.
Il s'avança, lentement, à travers la foule, ses yeux ne quittant pas une seconde sa cible. Quand il parvint à sa hauteur, il enfonça délicatement une de ses grosses aiguilles dans le dos de l'homme, prêt à le planter brutalement, et il murmura à son oreille.

« Je vais te poser une question, et tu répondras par un « Oui ! » distinct, sinon je te transperce de mon arme. Si tu as compris, acquiesce. »

L'homme s'exécuta. Dans la foule, la scène était invisible. Personne ne pouvait penser que Jiro parlait à l'homme, tellement ils étaient dans une mer d'humains. Jiro se rapprocha donc davantage de l'oreille de l'homme, et lui proposa :

« Veux-tu être ma marionnette ? »

L'homme se raidit, décontenancé, mais Jiro enfonça un peu plus son aiguille dans le dos de l'homme. La peur de la douleur contraignit l'homme à répondre. Ce fut la pire erreur de toute sa vie .
En effet, en répondant oui à cette question, il permettait à Jiro de déclencher son sort de contrôle. Cet homme deviendrait la marionnette, le pantin de Jiro, et ne pourrait plus rien faire. Jiro n'aura plus qu'à mener son jouet hors de la foule, dans une ruelle non loin de là, et d'ordonner à l'homme de se suicider. Il effectuera son meurtre sans même toucher à sa cible. Il frémit rien qu'à cette vision.
Il s'exécuta donc, guidant l'homme en dehors du marché, et ils marchèrent l'un derrière l'autre, à quelques mètres d'écart, en direction d'une ruelle déserte. Il la trouva plus loin, et ils s'y arrêtèrent tous les deux. L'éclat de la lune ne filtrait presque pas dans l'étroit lieu.

« Maintenant, éclate-toi la tête contre le mur. »

L'homme hurlait intérieurement de peur, mais sa peur ne pouvait se retranscrire sur son visage, car il adoptait désormais une expression neutre, comme un réel pantin. Jiro leva les bras, prêt à guider de ses mains de marionnettiste l'homme vers sa mort prochaine...

Talber Ed. Santoniac, assassin de la jeune femme, désormais cible du marionnettiste, s'avança vers un mur de la ruelle, prêt à obéir au dernier ordre qu'il avait reçu : se tuer. Jiro observait, légèrement en retrait, la marche lourde mais décidée de l'homme qui faisait désormais face au mur sombre. Cependant, alors qu'il s'activait, concentré dans son sort, à contrôler son pantin, il vit arriver une tierce personne dans la ruelle. Son temps de réaction, quand il était en train de contrôler une marionnette, était altéré et s'il vit une silhouette s'avancer, il ne pu réagir sur le coup.

« Hey ! Mais ça va pas ! »

Le jeune homme – car c'était un jeune homme qui venait d’interrompre l'étrange mise à mort – sauta précipitamment sur Talber, si bien qu'ils tombèrent tout deux dans une cohue monumentale. C'est seulement à ce moment que Jiro émergea de sa torpeur. Il délaissa quelques secondes sa marionnette pour reculer de quelques pas, ne sachant quelle posture adopter. Il se rendit compte que les méfaits d'un meurtre non organisé se ressentaient déjà : il avait voulu tuer l'homme sans enquêter sur lui par ailleurs, il avait choisi un endroit pour l'assassinat sans savoir la fréquence de passants dans celui-ci ; bref, il était dans un ennui des plus total. Son envie indicible de meurtre l'aura conduit à la faute, actuellement, il était en mesure d'être découvert. Pire : il pourrait être capturé. Fallait-il prendre la fuite ? Il pourrait, pour ne pas laisser de traces, tuer le jeune en même temps...

Alors qu'il arrivait à cette conclusion, un autre cri retentit. Une nouvelle personne déboulait sur les lieux, et ce, de manière originale : par les airs. La chute fut d'autant plus spectaculaire ; assommant le jeune homme qui venait d'empêcher le meurtre. La situation aurait pu être comique, vue d'un œil extérieur. Mais pour Jiro, c'était la pire situation auquel il avait pu être confronté. Son visage allait être révélé ; ses agissements aussi. Il aurait pu intervenir en disant que lui aussi venait d'arriver, signalant qu'il venait de trouver cet homme en état de folie, mais cela voulait dire relâcher la victime, et cette victime pourrait signaler Jiro en tant qu'assassin. Non, immanquablement, il allait devoir tuer tous ces hommes, sans qu'ils puissent s'échapper de cette ruelle, s'il voulait éviter que son portrait robot circule dans le Royaume.

« Bordel c'est qui l'idiot qui a crié comme ça ?! »

Dans l'obscurité, Jiro n'aperçut que deux frêles silhouettes, les cheveux dans le vent, et à leur voix, il les identifia comme étant des jeunes hommes. Ils ne semblaient pas musclés, et Jiro était, par chance, plutôt en bonne condition physique, suffisamment capable de tuer quelqu'un de ses propres mains, surtout un gringalet. Mais s'attaquer à deux personnes d'un coup était risqué ; d'autant plus qu'il ne savait pas ce que leur réservaient ces garçons. En tout cas, tout deux semblaient avoir senti que la situation n'était pas amicale, et ils étaient sans doute prêts à régler la situation.

Que fallait-il donc faire pour s'échapper de cette situation où, chaque seconde un peu plus, Jiro s'enfonçait dans une impasse ? Il réfléchit à toute vitesse quand soudain un souvenir ressurgit. Le jeune pianiste avait indiqué que Talber était un mage. Parfait, avant de mourir, il allait falloir qu'il tue deux hommes. Les autorités concluraient par une bagarre de rue, et le meurtrier se serait ensuite suicidé. Aucune trace de Jiro, qui ne touchait rien, omis les fils magiques, invisibles et immatériels, qui le reliaient à son pantin.

Il questionna donc sa marionnette intérieurement pour savoir quelles étaient ses aptitudes... Il s'avéra que le vieux Tabler était un mage de rééquipement. Il pouvait visiblement seulement invoquer des armes sans vertus magiques. Mais c'était déjà un avantage : Jiro allait envoyer sa marionnette combattre jusqu'à la mort. Le pantin ne ressentirait pas la douleur, il se combattra jusqu'à ce qu'il ne puisse plus... Jusqu'à ce que les deux autres soient tués. Il parla au travers de sa marionnette :

« Rééquipement activé – Épée »

Dans un flash furtif de lumière – qui signala à Jiro que ses deux adversaires étaient, pour l'un, blond, et pour l'autre, brun – une épée en fer apparut, et Tabler s'en empara. Jiro était, lui, trop concentré à manipuler l'homme pour esquisser le moindre geste. Mais les deux autres hommes ne pourraient pas l'atteindre ; déjà ils ne sauraient pas que Jiro contrôle l'homme, et en plus, il fallait déjà passer Tabler avant d'atteindre Jiro. Et avec l'étroitesse des lieux, il fallait être agile pour passer à côté du pantin sans se prendre un coup.

Tabler commença donc, sous ordre mental de Jiro, à faire des moulinets avec son épée. Le regard sans expression, ce qui pouvait être horriblement déconcertant pour les nouveaux venu, il s'approcha d'eux deux. Il attendit quelques secondes, puis Jiro lui demanda de les tuer. Il leva l'épée et s'attaqua au premier garçon, le blond, semblait-il à Jiro, prêt à le trancher de bas en haut.

La silhouette blonde était prête à recevoir le coup d'épée, mais l'épée, qui s'abaissait d'un geste vif, trancha uniquement l'air. Le blond avait littéralement disparu. Prit dans son élan, l'homme à l'épée fut quelque peu désarçonné, mais Jiro le remit sur place immédiatement, lui-même concentré sur cette mystérieuse disparition.
Jiro ressentait toujours la présence du jeune blond, mais pourtant, sa silhouette avait disparu, comme s'il était devenu invisible. Le marionnettiste se rendit compte qu'il n'avait pas affaire à des personnes lambdas, et que la probabilité qu'il soit confronté à un mage augmentât également. Pour ne pas perdre le contrôle de la situation, malgré l'urgence évidente qui demandait à localiser son adversaire, il reporta son attention sur son pantin pour attaquer cette fois-ci le jeune brun. Ce dernier parut tout aussi perturbé par la disparition soudaine, du moins physiquement, de ce qui se rapprochait de son coéquipier :

« Bon, alors je vais devoir me battre seul avec toi si j'ai bien compris... »

Il porta sa main dans son dos et tira une longue lame aiguisée et fine. Un katana, une arme qui demande, pour la manier, une concentration totale et une confiance en soi extraordinaire. Pour revendiquer son utilisation, il fallait être sûr de ce qu'on avançait : un novice se tuerait lui-même s'il osait prétendre manier une telle épée. Ainsi donc, les deux nouveaux adversaires de Jiro n'étaient pas des novices en la matière. Il aurait pu prendre plaisir à être ainsi confronté au danger, mais il avait apprit à fuir les situations qu'il ne pouvait prétendre contrôler. Pour l'instant, il était encore apte à se débrouiller, mais la probabilité qu'il s'en sorte indemne s'envolait à vue d’œil dans son esprit.

L'échange de coup entre Talder et le brun était donc imminent, mais un événement particulier intervint une nouvelle fois. Une poubelle, sans raison apparente, fut cognée et son couvercle renversé. Le bruit du métal résonnant sur le pavé se répercuta dans toute la ruelle, figeant la scène pour quelques secondes. Jiro, face à la proximité de la poubelle, ne pu s'empêcher de détourner le regard, de se demander pourquoi. Il fit le lien avec la subite invisibilité du blond. Il était une proie évidente, et sa survie important sur sa marionnette. Il délaissa donc Talder l'espace de quelques secondes, le temps de sortir de sa poche trois aiguilles, trois grosses aiguilles capable de s'enfoncer profondément dans la chair d'un homme, et il les lança dans la zone de la poubelle. Quiconque s'y trouvait serait touché, invisible ou non. A cause de la noirceur des lieux, il ne put déterminer si une de ses cibles avait été touchée ou pas.

Et c'est alors, devant la détresse qu'il encourait, qu'il se dit qu'il était temps de faire ce qu'il n'avait jamais fait. Invoquer une marionnette. Contrôler Talder et la marionnette en même temps serait affreusement difficile, mais au moins, il s'assurerait une défense conséquente. Sa seule et unique marionnette disponible était celle de Sayuki... Il s’appétait à ouvrir le portail quand Talder se fit attaquer de front. Même s'il ne ressentait pas la douleur, s'il se vidait de son sang, la marionnette n'aurait plus aucune valeur. Et c'était à présent la seule arme de Jiro.

« Rééquipement – Bouclier. »

Nouveau flash de lumière – Jiro vit distinctement le jeune brun, sans voir le blond – et un bouclier apparut. Talder se cacha derrière, le bouclier, suffisamment large, pouvait lui donner un laps de temps nécessaire à l'invocation.

Jiro, absolument concentré sur Talber, sa marionnette, continuait à assurer sa défense en ordonnant à l'homme de combattre. De sa longue épée, il tentait de déjouer le katana du brun, son adversaire direct, pour se défaire de ce témoin plutôt gênant. Jiro savait pertinemment qu'à sa droite se trouvait un autre témoin, le blond, et qu'il était en mesure de l'atteindre, voilà pourquoi il avait invoqué Sayuki pour mettre une ultime barrière entre lui et ce blond. Ses attentes étaient, à présent, de tuer le brun pour ensuite se concentrer principalement sur le blond. Ensuite, il tuerait Talber.

Pourtant, contre toute attente, le blond, qui semblait toujours être invisible, cria, s'adressant au brun, pour signaler sa position. Jiro se dit, à ce moment, que daigner dévoiler sa position alors qu'il tentait une approche des plus discrète possible voulait dire qu'il abandonnait une stratégie non-fructueuse, ou alors, il n'hésitait pas à se montrer à son adversaire en étant sur de lui. Et quelqu'un de sûr de lui était un danger comme adversaire. Jiro, ne pouvait relâcher son attention sur Talber, sous risque qu'il se prenne un coup d'épée, se rendit compte que la situation se détériorait toujours un peu plus pour lui. Quand soudain, venant de l'endroit où se trouvait normalement le blond d'après les estimations de Jiro, une brique orangée traversa la ruelle pour cogner le dos de Talber, qui fut légèrement déstabilise. Le brun en profita pour trancher la jambe de la marionnette, qui tomba à genou, complètement déséquilibrée.

Là, la situation était véritablement critique, et Jiro s'en rendit compte avec un effroi démesuré. Il gardait cependant son sang-froid, rien sur son visage neutre ne fut perturbé. Il relâcha son attention sur Talber, qu'il jugeait désormais inutile. Au même moment, il fut brusqué par le blond qui fonçait carrément sur Sayuki. Il se concentra sur Sayuki, lui demandant de repousser le garçon d'un coup de bouclier. Elle s'exécuta, donnant quelques secondes de répit à son maitre.

Maintenant, c'était sa vie même qui était mise en jeu, et sa vie était ce qu'il devait protéger en premier. Il devait changer ses plans. Se concentrer principalement sur la menace qui planait sur lui : ces deux impertinents qui l'avaient empêché de tuer Talber.

« J'aurai du le tuer dès le début celui-là... »

Jiro rompit alors la connexion avec la marionnette Talber. L'homme reprit alors le contrôle de son corps, et ressentit, l'espace d'une seconde, toute la douleur qu'il n'avait pu recevoir. Il resta, à genoux, la tête en l'air, à hurler d'un cri glacial sa douleur. Jiro profita de ce cri, qui allait sans doute refroidir les deux autres, pour sortir de sa poche une aiguille. Sans avertir, il la lança dans la nuque de Talber. Le cri s'évanouit, et la silhouette agenouillée de l'homme tomba lentement sur le côté. Talber était mort. Restait les deux autres.

Jiro, maintenant complètement concentré sur les deux autres, caché derrière Sayuki, analysa une dernière fois la situation. Il venait de commettre un meurtre sous les yeux de deux hommes qui semblaient prêt à le stopper. Il allait devoir, pour les abattre, leur tendre un piège. User de la ruse. C'était la seule manière qu'il avait de se défaire des deux autres.

Le bouclier de Sayuki avait disparu, Talber mort, sa magie avait été annulée. Jiro, dans un ultime élan, s’empara de sa marionnette, la portant sur son épaule, et se mit à courir vers l'autre extrémité de la ruelle. Il fuyait, il avait horreur de se dire ça, mais c'était la vérité. Il fuyait pour sa vie, il abandonnait car il était dépassé. Il sortit rapidement de la ruelle et arriva devant une rivière qui traversait la ville. Juste devant lui se trouvait un petit pont en bois assez étroit. Il s'empressa de le traverser, mais s'arrêta en plein milieu. Il posa la marionnette à côté de lui et se retourna pour faire face à ses adversaires. Il était à découvert, la lune éclairait son visage, mais il était prêt à attaquer les deux garçons, qui seraient obligés de sortir de l'ombre pour s'approcher de lui. Quand ils seront suffisamment proche et alors à la lumière de la lune, Jiro aurait une ultime chance : il pourrait sortir deux aiguilles et viser entre les deux yeux de chacune de ses cibles. S'il ratait, il se ferait surement tuer. Il ne voulait pas fuir. Il allait combattre. Le dernier round s'annonçait, il portât sa main dans sa moche, sentit, entre ses doigts, deux aiguilles, et attendit de voir ses adversaires arriver.