Oshibana est une ville vraiment sympathique, j’ai bien fait de rester un peu plus longtemps. Après notre mission ici, moi et Maïden nous sommes séparés. Il disait vouloir rentrer immédiatement à la guilde si je me souviens bien… Moi je suis resté, j’ai dormi ici et je repars en fin de journée. Il ne sait vraiment pas ce qu’il manque. Ce que j’aime le plus dans cette ville ce sont les bâtiments. Je ne sais pas vraiment pourquoi l’architecture ici me plait, mais je la trouve sympathique. M’enfin pour le moment, j’ai juste faim. Je passe d’une rue à l’autre en jugeant d’un coup d’œil rapide les quelques restaurants que je croise. Je ne connais pas ce coin de la ville, il va donc falloir improviser. Je finis par en choisir un assez modeste et pas très rempli.

Une fois entré, une jolie jeune femme vient m’accueillir avec un sourire de courtoisie. Je lui précise que je suis seul et elle m’indique une table non loin de l’entrée et du bar, contre le mur. Ca me convient parfaitement, je pars donc m’installer en la remerciant. Par habitude, on me laisse du temps pour réfléchir à ce que je vais déjeuner. Comme je le sais déjà, je laisse mon regard se perdre dans la salle. C’est un joli restaurant, du genre coquet mais moderne. Enfin, je ne vais pas me lancer dans une description alors qu’une jeune fille vient d’entrer. Vraiment très jeune, elle doit avoir dans la douzaine, au grand maximum. C’est étonnant de voir une demoiselle de cet âge se balader seule, et surtout, dégager une aura aussi singulière.

- Puis-je prendre votre commande ?
- Des tagliatelles s’il vous plait.

Un serveur qui me sort de mes pensées comme ça… J’observe en arrière plan la jeune fille s’installer au fond du restaurant en même temps que je réponds. Elle est accompagnée d’une boule de poil possédant un magnifique pelage selon moi. Je suis étonné que les gérants du restaurant autorise sa présence ici, mais bon, vu son calme je ne pense pas qu’il posera problème. Tandis qu’on m’apporte mon plat de pâtes, une autre personne également assez intrigante fait son apparition. Une femme déjà plus proche de mon âge littéralement exténuée. Je n’aimerai pas être dans son état. Je crois que j’ai bien choisi mon restaurant. Me retenant de me mêler de tout ce qui ne me regarde pas, comme à mon habitude, je plante ma fourchette dans mon assiette. Qu’est-ce que ça fait du bien de manger quand on a faim. En plus de ça, les émotions aux alentours sont plutôt sereines, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes.

Alors que j’ai presque fini mon délicieux plat, j’entends des notes de musique provenant de l’arrière du restaurant. Des notes délicates s’assemblant pour former une mélodie claire et plaisante. Je ne suis qu’à moitié surpris lorsque je me retourne pour en voir l’origine. La jeune fille de tout à l’heure. Dancing song of the Yao tribe. Un titre bien mystérieux de mon point de vue. Ne souhaitant pas l’interrompre, j’écoute cette musique apaisante. Elle est d’origine magique, dans le sens où un titre ne s’affiche pas naturellement comme ça au dessus des musiciens pour leur bon plaisir. Mais le talent de la jeune fille est indéniable. En plus de ça, elle jongle entre les sons des différents instruments sans faute. Tout simplement magnifique.

Curieux, je me focalise sur les flux émotionnels des personnes les plus proches de moi. Cela inclut la femme épuisée de tout à l’heure. Tous réagissent de la même manière, même ceux qui riaient comme des crétins s’étaient calmés pour écouter la musique de cette petite prodige. Les émotions de la pièce devenaient uniformes, toutes sur la même longueur d’onde, celle de la mélodie. C’est un phénomène amusant, remarque. Peut être devrais-je songer à me mettre à la musique de manière un peu plus sérieuse. Un sourire s’affiche sur mon visage, j’ai la chance d’être observateur de ce qu’il se passe. Je profite silencieusement de la mélodie, tout en fixant la jeune fille avec un regard amical. Elle est concentrée sur ce qu’elle fait, ce qui est tout à fait normal. J’ai hâte qu’elle termine. Primo pour croiser son regard, deuzio pour l’applaudir et tertio pour peut être aller la voir. Si on a de la chance, elle ira même sur l’estrade au fond pour continuer.

Dur retour à la réalité pour tout le monde à la fin du morceau. Au silence plein d’attention succèdent les applaudissements. Moi-même je fais claquer mes mains mais je m’arrête bien vite en sentant la réaction de la jeune fille. Je ne la vois pas très bien, étant donné que nous sommes éloignés mais je devine sa gêne d’artiste. Bourrée de talent, moi je vous le dis. C’est donc sur un sentiment négatif qu’elle s’échappe du restaurant. Mince, j’aurai du la retenir. Je termine en vitesse la fin de mon plat, toujours avec les oreilles qui trainent. Les émotions étaient revenues à la normale, à mon grand dam. L’agitation ne fait pas partie des choses que je recherche. J’entends la voix de la femme de tout à l’heure s’élever pas loin de moi

- Excusez-moi, vous n'auriez pas une carte de Fiore à vendre, par hasard?

Ca ne m’est pas destiné, mais est-ce que je dois répondre alors que j’ai la bouche pleine ? En fait c’est pire que ça, j’ai vidé la fin du plat dans ma bouche pour finir le plus vite possible et courir après la pianiste. Du coup, même si je voulais je ne pourrais pas répondre. J’avale difficilement, puis je bois ce qu’il me reste d’eau pour que le tout passe mieux. Pendant ce temps la femme aux cheveux auburn était déjà sortie. Deux fois plus pressé, je sors de quoi payer et je laisse même un pourboire pour le charmant serveur. Je me lève prestement et je me dirige en vitesse vers la sortie. Et comme d’habitude, je fais une gaffe. J’ai pas le temps de ralentir et je sens le choc de mon torse contre le dos de la personne devant moi. La collision n’est pas trop violente, ni moi ni elle ne sommes tombé à terre, mais je viens tout de même d’heurter une demoiselle. Et comme si ce n’était pas assez, la demoiselle fatiguée de tout à l’heure. Comme si son état n’était pas déjà assez moyen comme ça. Les joues un peu roses, je bafouille des excuses

- Excuse moi, je n’ai pas fait exprès, c’est que je…

Pas le temps de finir ma phrase, je vois juste derrière la pauvre rouquine, la pianiste ! Elle est assise sur un banc, avec son chat. Elle a l’air bien plus calme que tout à l’heure, la gêne est passée. Confus par l’ensemble d’évènement, je préfère éclaircir tout ça à ma manière. Sans lui demander son avis, je prends le poignet de la femme que je viens de bousculer et je me dirige droit vers la pianiste

- Viens par là, on va parler tous ensemble, ça sera plus simple.

Ce que je viens de dire ne dois avoir aucun sens pour la pauvre rouquine. Mais pour moi c’est tout à fait logique. J’ai besoin de les avoir toutes les deux avec moi pour expliquer clairement ce que je pense. Décidément, elle est épuisée, je la bouscule, et maintenant je la tire vers le banc. Je la plains un peu. Et la fillette qui va nous voir arriver va nous faire une de ces têtes… Je m’arrête juste en face, et je montre le banc d’un geste de la main, indiquant ainsi à la rouquine qu’elle pouvait s’assoir. C’est bon pour la digestion, il parait. Après cet interlude quelque peu étrange, je respire un grand coup pour me lancer dans mes explications. Avant tout, je salue la jeune pianiste d’un autre mouvement de main et d’un sourire amical et chaleureux. Puis je me tourne vers la femme plus âgée.

- Donc… Pour toi, j’ai une carte de Fiore, mais dans ma tête. J’ai énormément voyagé donc je peux t’aider, voire t’accompagner un bout de chemin. Mais d’abord, je voudrais que l’on discute avec cette jeune fille pleine de talent. J’aimerai bien faire sa connaissance.

Et puis j’ai besoin d’une tierce personne pour voir si la fillette possède d’autres morceaux capables d’influencer les émotions des gens. De manière plus magique, j’entends. Car si sa magie est basée sur la musique, ces possibilités sont envisageables. Mais ça, je me retiens bien de le mentionner. Après, on va croire que je me sers des gens. Alors que bon, j’aimerai bien faire leur connaissance, pour de vrai. Elles ont toutes les deux l’air très sympathiques. D’ailleurs, dans mon enthousiasme et ma confusion j’ai totalement perdu les règles de politesses. Je n’ai même pas demandé à la rouquine si cela lui convenait. Alors, pour me rattraper, je lance aux deux demoiselles un grande sourire made in Miku

- Au fait, moi c’est Miku ! Et vous ?

- Revuly Sonja. Mon compagnon : Idéal.
Que voulez vous savoir à propos de moi ?

Je suis surpris par l’aspect haché de cette réponse. Rien de mieux pour me faire comprendre que je la dérange par ma simple intervention. Le ton était neutre, tout comme le visage de la jeune musicienne. Sonja hein ? Je me frotte la nuque, signe de gêne, tandis que la rouquine se présente à son tour. C’est de ma faute si elle est perdue. Mentalement parlant, j’entends. Même si elle l’est aussi au sens premier du terme si j’ai bien compris. Il faut dire que je n’ai pensé un peu qu’à moi en la tirant par là et en imposant ma position. Mais la rouquine, qui s’appelle donc Meyla, finit par avoir la réaction que j’attends depuis un moment déjà.

- Au fait, j'admire ce que tu fais, c'était sublime.

Tout à fait ce que je voulais entendre. C’était un peu pour ça que j’avais besoin d’une tierce personne. Mais voilà, Sonja réagit de manière bien plus méfiante que je ne l’aurai pensé. Je n’imagine même pas le passé de cette jeune fille pour qu’elle se comporte ainsi avec deux étrangers aux airs aussi inoffensifs que nous. Enfin surtout moi, avec mon attitude de gamin insouciant. Moi qui voulais rebondir sur la réponse de Meyla, je crois bien que c’est fichu. Je sens la méfiance qui se dégage de Sonja quand son instrument magique surgit de nulle part. Pour le coup, cette émotion en plus de cet acte sont simples à interpréter. Qu’est-ce que je dois faire ? La laisser jouer un morceau magique pour avoir une démonstration de ses pouvoirs, au risque qu’elle disparaisse à nouveau, ou tenter de la rassurer ? La première option me semble trop contrariante, même si je pense avoir une puissance magique plus importante que les deux demoiselles. Je pourrai m’en sortir, mais cela ne me ressemble pas. Fidèle à moi-même, je préfère donc me faire conciliant

- Sonja ? Je l’interpelle dans l’espoir qu’elle me regarde dans les yeux, mon regard se voulant sincère. Mon sourire a disparu et ma voix devient sérieuse. On ne te veut aucun mal. Je sais que sortir ton instrument est un geste de défense de ta part, je le sens. Je suis juste un grand curieux et ton talent en musique m’a interpelé. Je me demandais où tu as bien pu apprendre à jouer comme ça, et, pour être honnête, ta magie m’intéresse beaucoup.

Autant mettre les choses aux claires avant que ça parte en sous entendus hostiles. Je n’aime pas les conflits. C’est nul, les conflits. Les gens se regardent mal, se parlent mal, agissent mal… En bref, ils se transforment tous en méchants-pas-beaux. Remarque, je vois vraiment mal la fillette devenir méchante et agressive. Mais il parait que les personnes les plus dangereuses sont celles qui ont l’air le plus inoffensives. Il parait hein, parce que pour moi ça ne marche pas. J’aimerai bien moi, bien cacher mon jeu, et devenir le plus fort quand il s’agit de se battre. Mais comment dire… On vit dans la réalité et non pas dans ses rêves. Et puis bon, en fait, être le plus fort c’est plutôt pourri comme concept je trouve. J’en ai jamais compris l’utilité. Et en plus c’est un prétexte parfait pour justifier les conflits. Tout pour me déplaire, en soit.

Je suis sorti de mes pensées par Meyla qui reprend la parole. Les montagnes de Fer ? Comment lui expliquer que ce n’est pas tout à fait la porte à côté ? Je toussote, la main devant la bouche, préparant mes mots et surtout réfléchissant à comment rejoindre la destination concernée depuis ici. Il faut dire que c’est à l’autre bout de Fiore en fait. A l’opposé même. Cette demoiselle ne doit vraiment pas avoir l’habitude de voyager parce que sur ce coup… En plus vu son état elle a du pas mal marcher. La pauvre

- Eh bien… On est à l’extrême opposé en fait. Je pense que tu devrais songer à prendre le train jusqu’à Hosenka. Et de là tu pourras les rejoindre plus facilement. Ou bien au moins jusqu’à Harujion, parce qu’à la marche je pense que tu seras morte de fatigue avant d’arriver. Pourquoi veux tu aller là bas ?

La question est sortie toute seule. Comme quoi je suis vraiment curieux. C’est que je suis surtout intrigué par le fait qu’elle veuille aller là bas en étant à l’autre bout du pays. Et puis tout ce qu’il y a dans les montagnes de fer, ce sont des Balkans. Ah et la guilde alliée à la mienne, Eagle’s Claw. Il faudrait que j’aille y faire un tour un jour, par pure curiosité. Mais Luxus me gronderait en m’accusant de jouer au touriste, encore.